Débats du Sénat (Hansard)
2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 11
Le lundi 4 novembre 2013
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- L'Association canadienne des professeurs d'immersion
- Le projet Hope Blooms
- Visiteurs à la tribune
- Le décès d'Alexander Colville, C.P., C.C., O.N.S.
- L'honorable Denis Coderre, C.P.
- M. Régis Labeaume
- M. Yves Lévesque
- AFFAIRES COURANTES
- Régie interne, budgets et administration
- Projet de loi sur les restrictions applicables aux promoteurs du crédit d'impôt pour personnes handicapées
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Les travaux du Sénat
- Le Sénat
- Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Patrick Brazeau, l'honorable sénateur Michael Duffy et l'honorable sénatrice Pamela Wallin et à maintenir leur couverture d'assurance-vie, santé et dentaire—Adoption de la motion de fixation de délai
- Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Patrick Brazeau, l'honorable sénateur Michael Duffy et l'honorable sénatrice Pamela Wallin et à maintenir leur couverture d'assurance-vie, santé et dentaire—Motion subsidiaire—Votes reportés
- Annexe - Liste des sénateurs
LE SÉNAT
Le lundi 4 novembre 2013
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
L'Association canadienne des professeurs d'immersion
L'honorable Claudette Tardif : Honorables collègues, le 25 octobre dernier, pour la première fois à Calgary, se tenait le congrès national de l'Association canadienne des professeurs d'immersion (ACPI), dont le thème était L'immersion, plein d'esprit.
Je tiens à féliciter M. Philippe Le Dorze, président de l'Association canadienne des professeurs d'immersion, Mme Chantal Bourbonnais, directrice générale, et Mme Lesley Doell, présidente du congrès, et toute son équipe, pour avoir réussi à rassembler plus de 700 participants, en grande partie des enseignantes et des enseignants en immersion française.
L'ACPI est une organisation qui se démarque par son mandat, qui est d'améliorer la qualité de l'éducation et la formation professionnelle de ses membres.
De plus, cette association joue un rôle très important, non seulement pour les éducateurs et les éducatrices impliqués dans l'enseignement du français, mais aussi pour toute notre société. C'est grâce au dévouement, à l'engagement de tous ces professionnels, que le Canada peut poursuivre l'atteinte de son idéal, soit un pays officiellement bilingue, et que nos jeunes peuvent s'enrichir par l'apprentissage d'une deuxième langue.
Honorables collègues, c'est un formidable défi que celui de faire valoir l'importance d'apprendre une nouvelle langue, car nous savons tous que les retombées sont nombreuses et avantageuses pour notre pays.
L'éducation en langue seconde contribue au fondement et au maintien de la dualité linguistique en tant que valeur canadienne. La dualité linguistique et la diversité au Canada sont deux traits caractéristiques qui rendent la société canadienne unique, et qui ont mené à la création d'une société qui reconnaît et respecte les différences.
Les éducatrices et éducateurs en immersion peuvent être fiers de participer à ce grand projet de société. Aujourd'hui, environ 350 000 jeunes Canadiens sont inscrits dans des programmes d'immersion française.
Je rends hommage aux enseignants et enseignantes, administrateurs et administratrices, conseillers et conseillères pédagogiques, et aux chercheurs qui travaillent avec beaucoup de dévouement à promouvoir le bilinguisme dans notre pays. Grâce à leur détermination et à leur expertise, nos programmes en immersion française sont de grande qualité et ont une très bonne réputation aux niveaux national et international.
[Traduction]
Le projet Hope Blooms
L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, il n'y a rien de nouveau à encourager les enfants à jouer un rôle actif dans leur collectivité. Comme parents, nous le faisons constamment. Pourtant, lorsqu'une nutritionniste d'Halifax a vu une possibilité d'améliorer la qualité de vie dans le Nord d'Halifax, elle l'a saisie et, maintenant, d'autres possibilités plutôt étonnantes ont surgi.
Jessie Jollymore, nutritionniste au North End Community Health Centre d'Halifax, voulait améliorer l'alimentation des résidants du quartier. Elle a donc planifié et démarré un projet d'agriculture urbaine dans le cadre duquel les enfants cultivent leur nourriture et la rapportent à la maison pour préparer de meilleurs repas. Ce qui est vraiment intéressant, c'est ce qui est arrivé par la suite.
Les enfants ont commencé à fabriquer des vinaigrettes. Si vous avez envie de rehausser votre salade avec du pesto au basilic frais ou de la vinaigrette balsamique à la sauge et à l'érable ou de la vinaigrette à la moutarde de Dijon, au romarin et à l'orange ou à l'origan grillé, vous pouvez en acheter en tout temps au marché fermier au port maritime d'Halifax. Vous pouvez même vous en procurer toute une bouteille.
Actuellement, 43 enfants de 7 à 15 ans prennent part à ce projet, baptisé « Hope Blooms », qui comprend un potager de 3 600 pieds carrés et une serre le jouxtant. Cette année, les enfants devraient remplir 6 000 bouteilles.
Honorables sénateurs, des restaurants du coin achètent la vinaigrette ainsi que les nombreux touristes qui se rendent au port et, bien entendu, les Haligoniens.
Devant la popularité des produits, on a suggéré de proposer l'idée à une émission de télé populaire que je suis certain que vous connaissez, Dragons' Den. Elle a effectivement été présentée à l'émission, et les résultats seront diffusés à CBC le 13 novembre. Nous avons tous hâte de voir si une affaire a été conclue.
Aux dernières nouvelles, les dragons auraient été impressionnés, même que Jim Treliving, le fondateur de Boston Pizza, s'est rendu à Halifax cet été, après l'enregistrement, pour visiter les lieux du projet Hope Blooms.
Honorables sénateurs, le pouvoir de la collectivité est incroyable. Dans la partie nord d'Halifax, où j'ai grandi, je peux dire qu'il y avait un esprit communautaire et qu'on l'inculquait très tôt aux enfants.
Le projet Hope Blooms, qui cherche à améliorer le sort des enfants et de leur famille, touche au cœur même de la collectivité.
Je félicite les organisateurs du projet Hope Blooms et du jardin communautaire du Nord d'Halifax, les employés du North End Community Health Centre ainsi que les bénévoles, surtout les enfants, pour leur ardeur au travail et leur engagement dans ce projet louable. Bonne chance le 13 novembre. Nous regarderons tous l'émission.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du gouverneur général de M. Dwane Drost, de Fredericton, au Nouveau-Brunswick, qui a écrit la chanson Thank a Vet et qui l'a chantée, ce matin, lors de l'interlude musical de la cérémonie du Souvenir qui a lancé la Semaine des anciens combattants. M. Drost est accompagné de sa femme, Gail Drost, ainsi que de M. Larry Gullison et de M. Peter Hiltz, qui viennent aussi de Fredericton, l'une des grandes capitales de notre pays.
Je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le décès d'Alexander Colville, C.P., C.C., O.N.S.
L'honorable Elizabeth Hubley : Honorables sénateurs, je tiens aujourd'hui à rendre hommage à un artiste marquant, Alex Colville. Alex est né à Toronto le 24 août 1920 et il est décédé le 16 juillet dernier, chez lui à Wolfville, en Nouvelle-Écosse, à l'âge de 92 ans.
(1410)
En 1929, il déménage avec sa famille en Nouvelle-Écosse. En 1942, il obtient un baccalauréat en beaux-arts de l'Université Mount Allison. Il devient ensuite un peintre, un graveur, un dessinateur et un muraliste renommé.
Il a produit de nombreuses œuvres d'art tout au long de sa vie, mais il s'est surtout fait connaître pour ses toiles s'inspirant de moments simples et tranquilles de la vie quotidienne.
Parmi ses peintures les plus connues, citons Cheval et Train, Chien de chasse dans un champ et Vers l'Île-du-Prince-Édouard, qui est peut-être la plus connue.
Au fil des ans, Alex gagne en notoriété et reçoit de nombreuses distinctions, notamment des diplômes honorifiques de la part d'universités et de collèges de partout au Canada. En 1982, il est fait Compagnon de l'Ordre du Canada et, en 2003, il est lauréat du Prix du gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques.
Ses nombreuses œuvres ont été exposées d'un bout à l'autre du Canada et dans le monde entier, notamment à la Tate Gallery, à Londres, en Grande-Bretagne, et au Centre d'exposition de Pékin. Je suis convaincue que son héritage artistique tiendra une place importante dans le monde des arts pour de nombreuses années à venir.
[Français]
L'honorable Denis Coderre, C.P.
Félicitations pour son élection à la mairie de Montréal
L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, j'aimerais saluer aujourd'hui un grand Canadien, un député qui a siégé à la Chambre des communes, de 1997 à 2013. Je parle du nouveau maire de Montréal, l'honorable Denis Coderre.
Pour ceux et celles des autres provinces qui ne le connaissent pas, Denis Coderre a un baccalauréat en sciences politiques de l'Université de Montréal et une maîtrise en administration des affaires pour cadres de l'Université d'Ottawa. Il a occupé le poste de secrétaire d'État aux Sports amateurs — poste que j'ai aussi occupé par le passé. À ce titre, il a travaillé sur la question du contrôle de l'usage de la drogue chez les athlètes. Il a aussi livré bataille pour que l'Agence mondiale antidopage soit située à Montréal. Cette agence fait aujourd'hui un travail remarquable pour les athlètes.
M. Coderre est devenu, en 2002, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. À ce titre, il a fait un travail remarquable.
En 2007, sous le nouveau chef du Parti libéral de l'époque, l'honorable Stéphane Dion, il a occupé le poste de critique de l'opposition officielle pour la défense nationale.
Nous constatons que M. Coderre a touché à plusieurs dossiers. S'agissant de Montréal, il n'y a pas si longtemps, nous avons uni nos efforts pour obtenir la réfection du pont Champlain avant qu'un de nous ne tombe dans le fleuve.
Également, il a fait une promesse qui, je pense, devrait se tenir sous peu, soit celle d'avoir une personne indépendante du conseil municipal qui s'assurera de la bonne conduite des appels d'offres, pour ramener la paix fiscale à Montréal.
Denis Coderre est celui qui peut redorer le blason de Montréal. J'aimerais lui souhaiter toute la chance pour remettre en état la Ville de Montréal et aussi nous débarrasser des cônes orange, que l'on croise à chaque coin de rue, afin de nous permettre de circuler librement dans notre ville.
M. Régis Labeaume
Félicitations pour son élection à la mairie de Québec
L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, j'aimerais à mon tour souligner l'éclatante victoire du maire de Québec, qui a obtenu 75 p. 100 de la faveur populaire. Cet appui est très fort. Il a reçu un mandat clair, net et précis pour un travail qui s'impose dans la plupart des grandes villes du Québec, soit la réforme des fonds de pension.
Le maire de Québec a tenu sa promesse de 2009 de construire un colisée pour le futur retour des Nordiques. Le maire de Québec est le premier à avoir discuté fermement avec les gouvernements provinciaux de la refonte des fonds de pension des employés municipaux, devenus une charge exubérante pour les contribuables.
M. Yves Lévesque
Félicitations pour son élection à la mairie de Trois-Rivières
L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, j'aimerais également souligner, en l'honneur de ma région sénatoriale, la victoire de M. Yves Lévesque, qui a remporté un quatrième mandat pour la gouverne de la Ville de Trois-Rivières.
AFFAIRES COURANTES
Régie interne, budgets et administration
Dépôt de documents
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre de renvoi adopté par le Sénat le lundi 28 octobre 2013, j'ai l'honneur de déposer les documents des réunions du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, tenus les 8 et 9 mai 2013, au cours de la première session de la 41e législature.
Projet de loi sur les restrictions applicables aux promoteurs du crédit d'impôt pour personnes handicapées
Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu de la Chambre des communes un message accompagné du projet de loi C-462, Loi limitant les frais imposés par les promoteurs du crédit d'impôt pour personnes handicapées et apportant des modifications corrélatives à la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous ce projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après- demain.)
PÉRIODE DES QUESTIONS
La sécurité publique
Le service correctionnel du Canada—les compressions budgétaires
L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Elle touche un sujet que nous avons étudié assez souvent, dans nos vies antérieures, au Comité des affaires juridiques.
[Traduction]
Ma question a trait aux conséquences des politiques de répression de la criminalité du gouvernement actuel. Selon le Service correctionnel du Canada, les agressions commises par des détenus — c'est-à-dire des agressions de la part des personnes incarcérées — ont augmenté de 33 p. 100 au cours d'une période de quatre ans qui a pris fin en 2010-2011. J'ignore combien de spécialistes ont dû expliquer, à maintes et maintes reprises, que la hausse de la population carcérale, les possibilités moindres de libération conditionnelle pour le détenu moyen, la diminution des programmes d'aide et de réadaptation ont tous pour effet de créer un climat de plus en plus malsain dans les centres de détention canadiens.
Au lieu de sabrer dans le budget du Service correctionnel du Canada, le gouvernement est-il à tout le moins disposé à l'augmenter afin que les détenus de plus en plus nombreux puissent bénéficier des installations et des programmes dont ils ont besoin?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, comme on en a déjà discuté au cours de cette vie antérieure, au moment où je siégeais au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, notre objectif n'a pas changé. L'objectif du programme de répression de la criminalité est de faire en sorte que les contrevenants dangereux et les récidivistes restent derrière les barreaux, hors d'état de nuire. La croissance de la population carcérale n'a atteint que le quart des prévisions des Services correctionnels. Elle est de beaucoup inférieure aux prévisions de l'opposition, prévisions dont on discutait d'ailleurs au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.
Le budget de 2012 était clair. Nous n'avons pas construit de prisons neuves, et nous n'avons pas l'intention d'en construire. Nous fermons les prisons désuètes et les remplaçons — dans le respect des budgets existants — par des cellules plus efficaces, de manière à accroître la sécurité des agents de première ligne.
(1420)
En ce qui concerne la double occupation, c'est une pratique tout à fait normale établie dans de nombreux pays de l'Ouest.
Les Services correctionnels fournissent de l'aide et du soutien aux prisonniers — des conseillers spirituels, des aumôniers — pour s'assurer qu'ils reçoivent les soins auxquels ils ont droit.
[Traduction]
La sénatrice Fraser : Honorables sénateurs, je ne sais trop par où commencer. Ils ont coupé dans les services d'aumônerie, diminué le nombre de psychologues et augmenté de façon vertigineuse le nombre de détenus logés en occupation double, même si cette pratique est contraire aux engagements que nous avons pris à l'égard des Nations Unies en vertu du droit international. Ils ont en fait réécrit les règles et règlements des Services correctionnels afin que l'occupation double, qui était — et devrait toujours être — une pratique extraordinaire et extrême ne soit plus considérée comme telle. Cette pratique est presque considérée comme normale.
D'accord, le gouvernement actuel n'aime pas les criminels, comme la plupart d'entre nous d'ailleurs. Le gouvernement prétend que l'aide aux victimes et la protection des citoyens canadiens sont au centre de ses préoccupations. Or, les gardiens de prison sont des citoyens canadiens et, depuis un certain temps, ils disent, avec de plus en plus d'insistance, que leur travail devient de plus en plus dangereux en raison des tensions créées par les conditions de détention de plus en plus inappropriées dans notre système carcéral. Vous n'êtes pas obligé de me croire, mais pourquoi ne croyez-vous pas les gardiens de prison?
[Français]
Le sénateur Carignan : Nous nous intéressons beaucoup à la question des prisons. C'est la raison pour laquelle nous fermons celles qui sont désuètes pour les remplacer, dans le respect des budgets existants, par des cellules plus efficaces, de manière à accroître la sécurité des agents de première ligne.
Vous avez parlé des conseillers spirituels et des aumôniers; j'aimerais vous rappeler que plus de 2 500 personnes fournissent des services spirituels aux prisonniers, même à titre gratuit parfois. Les prisonniers peuvent profiter d'un soutien permanent et efficace.
L'honorable Céline Hervieux-Payette : J'aurais une question complémentaire. Parmi toutes les statistiques favorables au gouvernement, j'aimerais vous faire remarquer que, dans les pays occidentaux, dans les pays démocratiques, le Canada a le privilège d'être le deuxième pays qui incarcère le plus de citoyens. Je ne sais pas si un parti peut être fier d'une telle statistique. Je crois personnellement que la prévention est une meilleure solution, et on n'a pas vu beaucoup de législation et d'investissements à cet égard.
J'ai écouté le discours de votre chef en fin de semaine. Il a tenté de rassurer les Canadiens en annonçant que les gens ayant reçu une sentence à vie seront emprisonnés à vie. Êtes-vous conscients que vous mettez en danger tout le monde à l'intérieur des murs en faisant cela, qu'une personne qui n'a plus d'espoir est une bombe vivante? Allez-vous vous pencher sur ces questions, contacter des experts et réaliser que, dans les pays démocratiques, cette pratique est totalement immorale?
Le sénateur Carignan : Premièrement, je suis en désaccord avec votre statistique. Je vous invite à vérifier les statistiques mondiales d'emprisonnement par 1 000 habitants, elles sont complètement différentes de celles que vous nous rapportez.
Si j'ai bien compris votre question, elle est la suivante : êtes-vous conscients que, en emprisonnant une personne dangereuse, vous mettez en danger la population carcérale? Si j'ai bien compris votre question, cela signifie que vous préférez qu'elle soit à l'extérieur pour constituer un danger pour le reste de la population?
La sénatrice Hervieux-Payette : Le leader du gouvernement parle la même langue que moi et il devrait comprendre. J'ai parlé des pays occidentaux, je n'ai pas parlé de tous les pays siégeant aux Nations Unies. Nous sommes en deuxième position, vous vérifierez les statistiques des Nations Unies.
Êtes-vous conscients qu'une personne qui entre en prison à 25 ans, et qui n'en sortira que pour aller au cimetière, n'a plus rien à perdre et qu'elle utilisera tous les moyens pour s'enfuir et commettre d'autres délits? Vous n'aurez pas assez de cellules pour les isoler des autres prisonniers. Non seulement la population carcérale ne sera pas protégée, mais on va mettre en danger la population en général.
Ma question est simple : sur quelle base enlevez-vous tout espoir à une personne en lui disant qu'elle passera le reste de ses jours en prison, sans possibilité de libération?
Le sénateur Carignan : Je comprends que votre position est plutôt soft on crime, mais ce n'est pas notre position. Nous croyons que ce n'est pas l'approche qui doit être établie et que les gens qui commettent des crimes doivent en subir les conséquences, particulièrement les récidivistes. On s'attend à ce qu'ils restent derrière les barreaux, hors de portée de nuire.
[Traduction]
Les anciens combattants
La durée du service—Les pensions et les avantages sociaux
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, récemment, nous avons appris que beaucoup de militaires blessés obtiennent leur congé avant d'être admissibles à une pension indexée. Pour qu'un militaire soit admissible à une pension indexée, il doit avoir fait dix années de service.
Ces hommes et ces femmes ont été blessés dans l'exercice de leurs fonctions, en protégeant des Canadiens et des personnes moins fortunées partout dans le monde. Voici donc ma question : pourquoi le gouvernement conservateur a-t-il rompu la promesse qu'il a faite en juin 2013, à savoir que les militaires blessés pourraient servir aussi longtemps qu'ils le voudraient dans l'armée canadienne?
Des voix : Bravo!
Le sénateur Mercer : Bonne question! Nos pauvres troupes.
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Comme nous l'avons promis, nous maintenons les prestations aux anciens combattants dans le budget 2012, nous respectons notre engagement de les servir le mieux et le plus rapidement possible et nous avons également mis sur pied un programme très apprécié des anciens combattants : Embauchez un ancien combattant. Nous croyons que c'est ce type de mesures pratiques qui peut le mieux aider les anciens combattants à réintégrer la société active lorsqu'ils reviennent de mission.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Vous n'avez pas respecté l'engagement que vous avez pris en juin 2013. Vous aviez promis que les Canadiens blessés au combat, que cette blessure prenne la forme d'une lésion corporelle ou d'un trouble de stress post-traumatique, pourraient rester dans l'armée tant qu'ils le pourraient. Cet engagement n'a pas été respecté. Nous savons que l'on demande à des soldats de quitter l'armée avant qu'ils aient terminé leurs dix années de service afin qu'ils n'aient pas droit à une pension.
L'année dernière, Peter MacKay, qui était à l'époque ministre de la Défense nationale, est intervenu pour empêcher le licenciement anticipé de l'armée du caporal Glen Kirkland pour des raisons médicales. Cependant, une exception avait été faite pour le caporal seulement parce que son histoire avait été rendue publique.
Quand il a appris que ses collègues blessés ne bénéficiaient pas du même traitement spécial, le caporal Kirkland a démissionné de son propre gré. Il a expliqué sa décision de la manière suivante :
Je me suis engagé dans l'armée pour faire partie d'une équipe, d'une famille [...] Le fait qu'on m'ait offert une chance qui n'était offerte à personne d'autre va à l'encontre de toutes les raisons pour lesquelles je me suis enrôlé.
Nous apprenons maintenant que le caporal David Hawkins, qui deviendra admissible à une pension indexée dans un an, a été libéré des forces armées parce que son trouble de stress post-traumatique l'empêche d'être déployé à l'étranger.
(1430)
Le caporal Hawkins n'est pas admissible à une pension militaire.
Une voix : Quelle honte!
La sénatrice Cordy : C'est honteux. Ces hommes et ces femmes sont allés combattre pour nous, et maintenant, le gouvernement les libère à peine un an avant qu'ils soient admissibles à une pension.
Pouvez-vous bien me dire pourquoi le gouvernement Harper se montre aussi insensible envers nos anciens combattants, qui sont allés au front pour l'ensemble des Canadiens?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénatrice Cordy, je dois, une fois de plus, corriger vos affirmations quant aux traitements accordés aux anciens combattants. Nous sommes un des gouvernements qui porte le plus d'attention à ses anciens combattants. Lorsque vous parlez de soldats blessés, ai-je besoin de vous rappeler que, avant d'être libérés, les membres des Forces canadiennes cherchent à s'entendre avec l'armée sur un plan de transition?
Des soldats ne sont libérés qu'au moment où c'est approprié à la fois pour eux et pour leur famille et où ils sont prêts à passer au secteur privé. Notre gouvernement s'est engagé à ce que les membres des Forces armées canadiennes aient accès aux meilleurs soins de santé possible. C'est pourquoi nous avons bonifié les investissements en service de santé mentale et doublé le nombre de travailleurs en santé mentale dans les forces. Comparées à nos alliés de l'OTAN, les Forces canadiennes affichent la plus grande proportion de travailleurs en santé mentale pour nos soldats.
Nous avons investi dans 24 centres intégrés de soutien du personnel au Canada afin de concentrer d'importants efforts de services offerts par Anciens combattants Canada et les Forces armées. Nous avons investi des millions de dollars dans l'infrastructure et de la nouvelle technologie afin de mieux soutenir et soigner les militaires malades et blessés. Nous avons fait de grands progrès dans le traitement de personnel militaire souffrant de problème de santé mentale à la suite de leur déploiement. Le traitement de l'état de stress post-traumatique repose sur des pratiques exemplaires, en particulier sur la détection précoce et les soins fondés sur des données probantes. Les Forces ont un programme exhaustif préalable et postérieur au déploiement visant à aider les militaires à relever les défis d'un déploiement.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Vous avez bien appris votre discours, sénateur, mais je me pose la question suivante : pourquoi après avoir passé neuf ans dans l'armée le caporal Hawkins a-t-il été congédié parce qu'il souffre de trouble de stress post-traumatique et que, par conséquent, il ne peut pas être déployé à l'étranger? Le caporal Hawkins aura-t-il droit à une pension indexée?
Des voix : Bravo!
[Français]
Le sénateur Carignan : Je ne sais pas si c'était une question, mais je peux vous réitérer l'engagement de notre gouvernement envers les soldats qui ont combattu et défendu les valeurs canadiennes à travers le monde. Je vous réitère que notre gouvernement s'est engagé à ce que les membres des Forces armées canadiennes aient accès aux meilleurs soins de santé possible.
[Traduction]
La sénatrice Cordy : Vous avez tout à fait raison. Ces hommes et ces femmes ont défendu les valeurs canadiennes dans le monde entier. C'est pourquoi je pense que nous devrions leur témoigner énormément de respect, au lieu de les congédier après neuf ans dans l'armée, soit à peine un an avant qu'ils soient admissibles à une pension.
Les sénateurs et les députés reçoivent une pension après six ans. Nos militaires ne devraient-ils pas être au moins admissibles à une pension? Pourquoi le gouvernement congédie-t-il des militaires qui ont servi pendant neuf ans et qui ne peuvent pas être déployés en raison des blessures qu'ils se sont infligées en défendant les intérêts des Canadiens?
[Français]
Le sénateur Carignan : Comme je vous l'ai expliqué, sénatrice Cordy, avant d'être libérés, les membres des Forces canadiennes cherchent à s'entendre avec l'armée sur un plan de transition. Des soldats ne sont libérés qu'au moment où c'est approprié à la fois pour eux et pour leur famille et où ils sont prêts à passer au secteur privé.
[Traduction]
L'honorable Terry M. Mercer : Le sénateur Carignan a dit que ces gens défendent les valeurs canadiennes. Parmi ces valeurs, mentionnons l'importance d'un gouvernement compatissant, à visage humain et honnête, qui se soucie du bien-être de ses anciens combattants.
Dans une telle situation, monsieur le Président, un bon gouvernement ne serait pas en train d'essayer d'expulser ces hommes et ces femmes des forces armées. À la vue du nombre d'hommes et de femmes qui sont affectés par des blessures psychologiques et physiques, il agirait différemment. Il s'efforcerait de trouver un poste d'une durée de deux ans dans les forces armées pour le soldat auquel il ne reste que cette période avant d'être admissible à la retraite et de toucher une pension. Mais ce n'est pas le choix du gouvernement actuel. Afin d'économiser quelques dollars, il fouille partout pour trouver des gens à congédier, que ce soit dans la fonction publique ou dans les forces armées, comme dans le cas présent, ce qui est encore plus grave.
Honte à vous, monsieur le sénateur, et honte à votre gouvernement pour ce que vous faites aux soldats canadiens.
Des voix : Bravo!
[Français]
Le sénateur Carignan : Je n'ose pas répéter à nouveau les investissements qui sont faits et le soin qui est accordé aux militaires. Je veux juste vous réitérer que comparées à nos alliés de l'OTAN, les Forces canadiennes affichent la plus grande proportion de travailleurs en santé mentale par rapport aux soldats. Je sais que ce sont des actions concrètes faites par notre gouvernement auprès des anciens combattants et des soldats libérés. Je sais que vous n'aimez pas entendre les bonnes actions ou les bonnes nouvelles et que vous voulez revenir à la charge avec des questions insidieuses, mais les faits sont les faits, et la réalité est là, qu'elle plaise ou non.
[Traduction]
Le Fonds du Souvenir
L'honorable Wilfred P. Moore : Ma question s'adresse également au leader du gouvernement au Sénat.
Le gouvernement actuel est connu pour sa tendance à faire passer les symboles avant la substance, et le gouvernement a été beaucoup critiqué pour avoir failli à la tâche d'aider les anciens combattants et leur famille et pour avoir négligé le Fonds du Souvenir.
Depuis que le gouvernement est au pouvoir, monsieur le leader, 67 p. 100 des demandes d'aide pour l'inhumation des anciens combattants ont été rejetées. Nous savons également qu'en raison des pressions intenses exercées par les anciens combattants et le public, votre gouvernement a été forcé d'agir pour remédier à la situation. À la dernière minute, il a ajouté 65 millions de dollars, ce qui devait prétendument résoudre le problème.
Mais les règles d'admissibilité n'ayant pas changé, les anciens combattants qui n'étaient pas admissibles avant ne le sont pas davantage maintenant. S'ils gagnent 1 000 $ par mois, ils n'ont pas le droit de faire une demande d'aide dans le cadre du Fonds du Souvenir. Les critères d'admissibilité sont censés être le reflet d'un esprit d'équité, et non d'un esprit de mesquinerie.
Vous pouvez annoncer n'importe quelle somme d'argent. Vous pouvez annoncer des milliards de dollars, mais vous savez que vous ne les dépenserez pas. C'est d'ailleurs une tendance qui se dégage clairement. Pourquoi votre gouvernement continue-t-il de croire que faire des annonces est plus important que de mettre en œuvre des mesures concrètes qui aident vraiment les anciens combattants canadiens et leur famille?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Les anciens combattants ont accès à différents types de programmes. Vous avez parlé du Fonds du Souvenir et du Programme pour l'autonomie des anciens combattants (PAAC) qui offrent maintenant des paiements forfaitaires uniques pour l'entretien paysagé et pour l'entretien ménager par exemple, en vertu du Programme pour l'autonomie des anciens combattants. Quelque 100 000 anciens combattants, leurs survivants et les principaux fournisseurs de soins n'auront plus à remplir de paperasse répétitive. Nous faisons confiance aux anciens combattants et, grâce à ces modifications, nous n'aurons plus à payer pour ensuite les faire rembourser. Différents autres fonds ont été bonifiés, notamment les dépenses en matière de funérailles ou d'inhumation des anciens combattants.
Comme vous l'avez dit, dans le Plan d'action économique 2013, nous avons doublé l'aide financière — adressée à ce titre — versée aux familles des anciens combattants tout en sabrant dans la paperasse répétitive. Nous avons, avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, stipulé que la Commission de la fonction publique peut désigner des groupes jouissant d'accès prioritaire pour permettre d'embaucher des anciens combattants libérés pour des raisons médicales.
(1440)
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur le leader, vous vous souviendrez peut-être que, le 7 février dernier, j'ai demandé à votre prédécesseur, l'honorable sénatrice LeBreton, s'il était possible de modifier les règlements pour qu'un plus grand nombre d'anciens combattants puissent avoir droit à une aide du Fonds du souvenir. La sénatrice a alors répondu ceci : « Anciens Combattants — c'est-à-dire le ministère — examine et étudie continuellement ces programmes afin d'aider les anciens combattants. Bien sûr, cela se poursuivra. »
Eh bien, permettez-moi de signaler que cela n'est pas le cas. Selon un rapport publié ce matin par le directeur parlementaire du budget, sur les 65 millions de dollars prévus au budget pour le Fonds du souvenir, seulement 18,4 millions de dollars seront réellement versés aux anciens combattants canadiens. La grande majorité des demandes soumises par les anciens combattants continuent d'être rejetées, c'est le cas de 67 p. 100 des demandes, comme je l'ai mentionné. Cela s'ajoute au fait que nos anciens combattants sont près de la mort. En effet, chaque mois, environ 2 000 anciens combattants qui ont servi notre pays décèdent. Si aucun changement n'est apporté aux critères d'admissibilité à ce fonds, le gouvernement sait très bien que les 65 millions de dollars prévus ne seront pas dépensés.
Ma question est donc la suivante : pourquoi le gouvernement continue-t-il de traiter les problèmes humains réels de nos anciens combattants comme si cela n'était rien de plus qu'un problème de relations publiques?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur Moore, nous prenons connaissance de ce rapport, mais j'aimerais attirer votre attention sur le fait qu'il dit également que 57 p. 100 des demandeurs recevront le maximum d'avantages dans le cadre du programme. Notre gouvernement continue de travailler avec les intervenants afin de s'assurer que les programmes de services funéraires continuent de répondre aux besoins des anciens combattants et de leur famille.
[Traduction]
Le sénateur Moore : J'ai une question complémentaire à ce sujet. Samedi soir, le premier ministre Harper a dit ceci, et je cite :
[...] c'est un excellent moment pour les Canadiens.
Au cours des prochaines années, de grands anniversaires souligneront les événements où le Canada a pris la défense de la liberté, [...] de Queenston Heights à Kapyong, en passant par Vimy et la plage Juno.
Notre mission en Afghanistan, qui aura duré 12 ans, sera bientôt terminée. Nos troupes reviennent au pays avec honneur.
Il a également dit qu'il se « moque éperdument » de ce que pensent ses adversaires de ses politiques, et c'est justement ce que l'on peut constater en l'occurrence. Il a mentionné les anciens combattants canadiens, les combats qu'ils ont menés et les sacrifices qu'ils ont faits, tout cela pour donner bonne figure à son propre gouvernement. Ce qu'il a omis, cependant, c'est que pour beaucoup d'entre eux, le combat n'est pas terminé. La sénatrice Cordy l'a mentionné aujourd'hui. Ils vont se battre contre le gouvernement de M. Harper pour obtenir les faibles sommes dont ils ont besoin pour pouvoir se payer un enterrement décent.
Voici ce que j'aimerais savoir : pourquoi notre premier ministre préfère-t-il se cacher derrière les anciens combattants plutôt que de les épauler?
[Français]
Le sénateur Carignan : J'aime cela quand vous citez le premier ministre Harper, c'est de la musique à mes oreilles. J'espère que vous avez eu accès au discours fantastique de notre premier ministre lors du congrès, discours qu'il a présenté aux membres et qui a été accueilli par 15 ovations debout. C'était un discours empreint de vision, d'énergie et aussi de beaucoup d'empathie.
Il y a plusieurs messages du premier ministre dans ce discours. Je vous invite à l'écouter. On peut vous envoyer une transcription si vous n'étiez pas devant votre téléviseur ce jour-là. Vous pourrez porter une attention particulière au plaidoyer du premier ministre envers les anciens combattants et de l'importance de leur porter une attention toute particulière. C'est le bilan de ce gouvernement et aussi ce sur quoi il s'attardera au cours des prochaines années.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Ne vous laissez pas trop emporter, honorables sénateurs.
J'ai une question complémentaire : M. Bill Mont est propriétaire du cimetière Pleasant Hill à Lower Sackville, tout près de Halifax. En mars dernier, il a annoncé qu'il offrirait aux anciens combattants une place dans son cimetière pour 500 $ plutôt que le prix habituel de 1 500 $. Voilà un simple citoyen qui fait, volontairement, ce que le gouvernement devrait faire pour aider nos anciens combattants. J'imagine que toute personne normale trouverait cela embarrassant, encore plus quelqu'un en position de pouvoir qui ne fait rien malgré le fait qu'il pourrait le faire.
J'aimerais donc savoir ceci : quand donc le gouvernement modifiera-t-il le règlement afin qu'un plus grand nombre d'anciens combattants soient admissibles à de l'aide dans le cadre du Fonds du souvenir?
[Français]
Le sénateur Carignan : Nous avons doublé, dans le Plan d'action économique 2013, l'aide financière à ce titre versée aux familles des anciens combattants tout en sabrant, comme je l'ai dit, la paperasse répétitive. L'ensemble des modifications permet de verser presque 10 000 dollars à la famille d'un ancien combattant pendant cette période difficile.
L'Association des services funéraires du Canada a dit que les mesures du gouvernement fédéral permettent aux anciens combattants d'avoir les funérailles qu'ils méritent.
[Traduction]
L'honorable Percy E. Downe : J'aimerais simplement savoir quelle partie de la question du sénateur Moore le leader du gouvernement n'a pas comprise. Le gouvernement a beau avoir investi plus d'argent, il demeure que 67 p. 100 des demandes d'enterrement des anciens combattants sont rejetées. Voilà maintenant que d'anciens membres du fonds cherchent à recueillir de l'argent à titre de particuliers. Jusqu'à présent, ils ont dépensé 93 000 $ pour enterrer 26 anciens combattants dont la demande avait été rejetée par le fonds.
Les membres du gouvernement qui se targuent de sévir contre la criminalité seront sans doute intéressés par un point soulevé dans ces lettres de demande de financement. Dans ces lettres, on dit que Services correctionnels Canada paie les funérailles et les pierres tombales des prisonniers décédés. « Un vétéran n'est pas un condamné; il mérite notre gratitude », écrit le président du comité.
Pourquoi donc le gouvernement refuse-t-il de payer ces anciens combattants à faible revenu? Le gouvernement a l'argent nécessaire, mais refuse de le dépenser.
Pourquoi?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur, 57 p. 100 des demandeurs recevront le maximum d'avantages dans le cadre du programme. Notre gouvernement continue de travailler avec les intervenants afin de s'assurer que les programmes des services funéraires continuent de répondre aux besoins des anciens combattants et de leur famille. Je veux réitérer que l'Association des services funéraires du Canada a dit que les mesures du gouvernement fédéral permettent aux anciens combattants d'avoir les funérailles qu'ils méritent.
[Traduction]
Le sénateur Downe : Soixante-sept pour cent des anciens combattants à faible revenu voient leur demande rejetée. La question est là. Ils en sont réduits à amasser des fonds auprès de simples citoyens pour venir en aide à d'anciens combattants qui ont servi leur pays.
Pourquoi, comme on le dit si bien dans les lettres, le gouvernement est-il prêt à enterrer les prisonniers, mais non les anciens combattants?
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai dit que 57 p. 100 des demandeurs recevront le maximum d'avantages dans le cadre du programme.
[Traduction]
Le sénateur Downe : Vous devriez peut-être vérifier vos chiffres.
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément à l'article 4-13(3), j'informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l'ordre suivant : la motion no 6, suivie de la motion no 5, suivie par les autres points dans l'ordre où ils figurent au Feuilleton.
[Français]
Le Sénat
Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Patrick Brazeau, l'honorable sénateur Michael Duffy et l'honorable sénatrice Pamela Wallin et à maintenir leur couverture d'assurance-vie, santé et dentaire—Adoption de la motion de fixation de délai
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) conformément au préavis donné le 31 octobre 2013, propose :
Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étude de la motion no 5 sous la rubrique « Affaires du gouvernement », portant sur les suspensions des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin.
Honorables sénateurs, nous discutons aujourd'hui de la pertinence d'imposer une limite de temps au débat sur la motion du gouvernement de suspendre sans salaire, jusqu'à la fin de la session, les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin pour grossière négligence dans l'administration de leur budget de fonctionnement de bureau.
[Traduction]
Le 22 octobre, le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Carignan, a présenté trois motions. Depuis, nous avons longuement débattu ces motions. Nous n'avons pas entendu un seul nouvel argument de la part de nos collègues libéraux depuis au moins une semaine. Le débat a été plutôt répétitif.
(1450)
Nous avions décidé de présenter une motion non gouvernementale, croyant que nos collègues d'en face saisiraient l'occasion pour engager une discussion dépourvue d'esprit partisan sur l'avenir de notre institution et la façon dont nous pouvons mieux rendre compte de nos activités aux contribuables canadiens.
Toutefois, l'opposition a eu recours à des mesures dilatoires pour retarder le débat et masquer le vrai problème. Ce faisant, elle a oublié que c'est tout le Sénat qui est traîné dans la boue.
[Français]
Honorables sénateurs, tout comme une vaste majorité de Canadiens, je suis profondément déçue de la tournure qu'a prise la gestion de cette affaire. Les Canadiens qui observent cette saga depuis maintenant un an veulent des résultats. La semaine dernière, un sondage Ipsos révélait que pas moins de 73 p. 100 des Canadiens étaient favorables à la suspension sans solde des trois sénateurs dont il est question.
[Traduction]
Je crois que le message est clair : nous devons agir, et tout de suite. Je ne peux pas penser à un meilleur moment qu'aujourd'hui pour terminer le débat sur la fixation d'un délai et passer à la discussion de la motion principale, car c'est aujourd'hui le premier jour de la Semaine des anciens combattants. Il est opportun de penser au passé, aux occasions et aux privilèges que nous avons — que tous les honorables sénateurs ont — et à ce que nous pouvons faire pour mieux servir les Canadiens.
Ainsi, tandis que nous portons nos coquelicots, pensons au fait que, cette année, en reconnaissant l'Année des vétérans de la guerre de Corée, en tenant le débat qui nous a permis d'adopter à l'unanimité le projet de loi d'initiative parlementaire, nous avons pu, au moment voulu, permettre à nos anciens combattants d'obtenir un témoignage de respect bien mérité et longuement attendu.
C'est pourquoi nous avons décidé d'aller de l'avant et de recourir aux dispositions du Règlement sur la fixation d'un délai pour mettre fin à ce débat, décider du sort des trois sénateurs en cause et revenir enfin aux travaux dont le Sénat est censé s'acquitter : l'étude des mesures législatives et des autres questions qui sont importantes pour l'ensemble des contribuables canadiens.
Son Honneur le Président : Questions et commentaires.
L'honorable Jane Cordy : Puis-je poser une question? Je suis très surprise que vous ayez formulé ces observations concernant nos anciens combattants. Croyez-vous vraiment qu'ils ont combattu pour défendre la notion de fixation de délais?
La sénatrice Martin : Sénatrice Cordy, honorables sénateurs, j'ai mentionné nos vétérans parce que c'est aujourd'hui que commence la Semaine des anciens combattants. Cela met en évidence la nécessité pour nous tous d'agir d'une manière responsable et de faire ce qui est attendu de nous, comme sénateurs. Ayant tenu ce débat, comme je l'ai expliqué, nous avons parfois l'impression de tourner en rond. Cela a semé la confusion même parmi les journalistes les plus expérimentés parce que le débat devenait redondant au point où il nous arrivait tous de ne plus vraiment savoir de quelle motion il était question.
Compte tenu de ce processus, nous avons proposé une motion du gouvernement. Il est temps pour nous d'examiner la question posée dans cette motion et d'agir de concert pour mettre fin à ce débat d'une manière raisonnable. En ce jour, je trouve important — et je ne dis pas du tout cela par manque de respect, bien au contraire — de souligner qu'il est temps de terminer ce débat.
La sénatrice Cordy : Il n'y a pas de doute qu'il y a de la confusion. Personne de notre côté ne le contesterait. Il semble bien qu'en face, il y a eu bien des moments où nos vis-à-vis ne savaient pas vraiment ce qui viendrait ensuite.
Mon père a combattu au cours de la Seconde Guerre mondiale. En toute franchise, je trouve un peu blessant qu'une semaine avant le jour du Souvenir, vous disiez que nous devrions penser à nos anciens combattants et aux idéaux pour lesquels ils se sont battus. Mon père ne s'est certainement pas battu pour la fixation de délais.
Des voix : Bravo!
[Français]
L'honorable Dennis Dawson : Madame la sénatrice, ne trouvez- vous pas que dans les deux dernières semaines, on a appris plus d'informations au Sénat sur les chèques, les courriels, les appels téléphoniques, les menaces et les négociations en coulisse...
[Traduction]
Nous avons obtenu davantage de renseignements ces deux dernières semaines que le gouvernement ne nous en a transmis en six mois. Si nous n'avions pas eu ce débat, et si nous ne réussissions pas à le poursuivre, nous ne connaîtrions pas la vérité. Nous croyons en avoir beaucoup appris durant ces deux dernières semaines, et nous voulons en apprendre davantage parce que nous ne connaissons pas encore toute la vérité.
Croyez-vous que nous avons appris tout ce qu'il y avait à apprendre?
La sénatrice Martin : Je reviens à ce que le sénateur Nolin a dit concernant les points qui devraient retenir notre attention en ce moment. Nous disposons de rapports que nous avons tous eu l'occasion d'examiner.
Je sais quel travail la Régie interne a fait, tout ce qu'elle a accompli dans le passé et fera à l'avenir. J'ai beaucoup de respect pour tous les membres du Comité de la régie interne. J'ai entendu le sénateur Cowan dire la même chose du travail approfondi et soigneux que le comité a fait. Les rapports que nous avons ont été établis par des tiers. Par conséquent, nous avons les preuves qu'il faut.
Pour ce qui est des autres renseignements présentés au Sénat, oui, nous avons reçu beaucoup d'information. Toutefois, en ce qui concerne la décision que nous devons prendre, je crois que le débat que nous avons tenu et les six heures de délibérations qui viendront suffisent.
L'honorable Jim Munson : Puis-je poser une question ou faire une observation?
C'est un peu agaçant. Vous m'avez énervé un peu en parlant des anciens combattants. Oui, nous arborons tous un coquelicot et sommes conscients de la situation. Nous avons tous participé au débat ces deux dernières semaines. Liberté d'expression, démocratie... En toute franchise, j'ai beaucoup de difficulté à digérer ce que vous avez fait, sénatrice. Je pense à mes oncles qui ont combattu en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale pour s'opposer à la tyrannie, et à mon oncle Lloyd Munson qui est mort en terre étrangère en se battant contre les Japonais pour faire triompher la liberté d'expression et la démocratie. Vous êtes parvenue à introduire cet élément dans le débat.
Je ne peux croire que vous puissiez faire un tel lien. Pensez-vous que les anciens combattants, ou ceux qui sont morts afin que nous puissions jouir de la liberté d'expression, seraient d'accord avec votre prémisse selon laquelle ils sont morts parce que vous nous empêchez de traiter d'un sujet qui préoccupe les Canadiens et que nous voulons nous assurer d'en examiner tous les aspects? Je ne comprends tout simplement pas comment vous pouvez associer ces deux éléments.
Le premier est un épisode très douloureux de notre passé et de notre histoire. Ce n'est pas que les mots me manquent, mais je ne comprends pas comment vous pouvez faire un tel lien entre ces deux éléments. Nous sommes ici — vous, moi, nous tous — grâce à nos mères, à nos pères et à tous les autres. Nous sommes ici parce que nous voulons nous exprimer, faire valoir notre point de vue. Nous aurions certainement pu en arriver à une solution, mais le gouvernement a encore une fois recours à l'attribution de temps. C'est pourtant une mesure qu'à l'époque l'actuel premier ministre reprochait au gouvernement libéral, qu'il accusait de ne pas respecter le Parlement.
J'aimerais que vous m'expliquiez comment vous pouvez associer ces deux éléments.
L'honorable Gerald J. Comeau (Son Honneur le Président suppléant) : Je signale à la sénatrice Martin que son temps de parole est écoulé. Demande-t-elle plus de temps?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président suppléant : D'accord.
(1500)
La sénatrice Martin : Je vais simplement répondre.
Je m'excuse auprès de tous les sénateurs si, en faisant allusion aux anciens combattants, je me suis éloignée du point que je faisais valoir. C'est parce que j'étais ici ce matin même. Les anciens combattants de la guerre de Corée, qui sont tellement heureux de l'honneur spécial qui leur a été décerné, étaient à mes côtés et m'encourageaient. Je n'aurais pas dû associer ces deux éléments. Je m'excuse.
Tout ce que je peux dire c'est que, selon moi, le moment est venu. Un grand nombre de sénateurs ont pris la parole plus d'une fois. Tous ont le droit de le faire. Je défends ma position pour ce qui est de la motion d'attribution de temps. Encore une fois, je n'avais pas l'intention d'associer les deux éléments, de dire que c'était pour cela qu'ils avaient combattu. Je le sais pertinemment, comme nous tous d'ailleurs. Par conséquent, et en manifestant le plus grand respect à l'égard des anciens combattants, je scinde mes propos. Je dis donc tout simplement que le moment est venu pour nous de travailler ensemble et de conclure ce débat.
L'honorable Terry M. Mercer : Sénatrice Martin, ne vous excusez pas auprès de nous. Si vous voulez présenter des excuses, faites-le auprès de mon père, qui est un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale. Levez-vous et présentez vos excuses à mon oncle, qui a combattu en Corée. Excusez-vous auprès de la famille du sénateur Munson, qui a combattu à l'étranger. Offrez vos excuses aux anciens combattants que vous avez insultés ici aujourd'hui, lorsque vous pensiez faire un bon coup. Vous n'avez pas fait un bon coup. Sénatrice, vous avez fait un mauvais lien et vous devriez avoir honte.
L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'ai bien suivi le débat. J'étais en bas et j'ai écouté attentivement les propos de la sénatrice Martin. Sa déclaration m'a semblé brève, très ponctuée et remarquablement déficiente, en ce sens qu'elle ne se fondait sur aucun pouvoir ou précédent.
Normalement, lorsqu'on s'éloigne sensiblement des pratiques habituelles, ces écarts doivent être expliqués ou justifiés en invoquant des pouvoirs ou des précédents. J'aimerais savoir sur quels pouvoirs et précédents la sénatrice s'est fondée pour rédiger cette motion.
Le sénateur Mitchell : Le Cabinet du premier ministre.
La sénatrice Martin : Sénatrice, j'ai dit dans mes remarques, qui étaient brèves, que nous allions avoir un débat de deux heures et demie et que d'autres sénateurs vont prendre la parole. Je voulais m'en tenir au sujet et dire simplement que 73 p. 100 des Canadiens nous ont demandé de mettre un terme à ce débat.
Pour ce qui est des pouvoirs, ces outils sont à la disposition du Sénat et, si nous nous en servons en faisant preuve d'une grande prudence — nous discutons d'ailleurs de cette question en ce moment même —, tous les sénateurs ont le droit de prendre la parole. Je dis simplement que, si nous utilisons les procédures qui sont prévues dans le Règlement du Sénat, ces procédures constituent le pouvoir qui nous permet d'agir.
La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, si j'ai demandé à la sénatrice de préciser les pouvoirs et les précédents, c'est parce que sa motion ne se fonde sur aucun. La motion de suspension dont nous sommes saisis — et qui va faire l'objet d'un débat d'ici peu — ne se fonde sur aucun pouvoir ou précédent. En fait, les précédents et les pouvoirs s'opposent à une telle motion.
Ce que j'entends la sénatrice dire, c'est que, de la même façon qu'elle n'avait aucun pouvoir ou précédent lui permettant de proposer la motion de suspension comme telle, elle n'en a pas non plus pour justifier cette motion de clôture. Pourrait-elle répondre?
Son Honneur le Président suppléant : Sénateur Cowan, à moins que la sénatrice Martin...
Le sénateur Cowan : Je pensais que la sénatrice Martin réagirait à cette observation.
La sénatrice Martin : Je dirais simplement que...
La sénatrice Cools : Ce que je voulais dire à la sénatrice...
La sénatrice Martin : Allez-y, sénatrice. Souhaitez-vous terminer ce que vous vous apprêtiez à dire?
La sénatrice Cools : Non. Je préférerais que vous répondiez à la première question.
La sénatrice Martin : Tout ce que je voulais dire, c'était que nous débattons à l'heure actuelle d'une motion de clôture. Vous m'avez demandé de vous exposer l'autorité ou les précédents sur lesquels je me fondais; or, j'ai simplement fait valoir que le présent débat fait partie du processus.
En ce qui concerne la motion même, nous en discuterons lorsque nous serons saisis de la motion principale.
Des voix : Bravo!
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, depuis que je siège au Sénat, je n'ai jamais rien vu de plus troublant que le débat visant les sénateurs Brazeau, Wallin et Duffy. Nous souhaitons parfois que les Canadiens s'intéressent davantage aux travaux du Sénat, mais je suis convaincu qu'aucun d'entre nous ne souhaite ce genre d'attention.
La conduite de quelques-uns de nos collègues a entraîné cette réaction en chaîne.
Comme je l'ai répété à maintes reprises, à mon avis, ce n'est pas le Sénat ou les dispositions du Règlement qui régissent notre conduite qui sont en cause. Pour des raisons que je ne saurais m'expliquer, quelques-uns de nos collègues ne semblent pas vouloir ou ne pas pouvoir respecter les règles que la vaste majorité d'entre nous comprennent et respectent. Ces gens ont été identifiés, et les mesures appropriées ont été prises à leur égard au titre du Règlement du Sénat; il faut d'ailleurs continuer ainsi. Les principes fondamentaux que sont le respect des garanties procédurales, l'équité et la primauté du droit doivent être honorés; il ne faut pas simplement se plier à la volonté politique à court terme du premier ministre.
Étant donné la nature de la question, qui est sans précédent, la gravité des infractions qui font l'objet d'une enquête criminelle et la sévérité des sanctions qu'on nous demande d'imposer, il est troublant de constater que la façon dont le gouvernement a décidé de procéder est pour le moins inhabituelle, voire étrange, certains diraient même bizarre.
Permettez-moi de rappeler brièvement comment nous en sommes arrivés là où nous sommes aujourd'hui.
Le 9 mai, le Comité de la régie interne, qui était alors présidé par le sénateur Tkachuk, a déposé ses rapports concernant les sénateurs Brazeau et Duffy. Il n'y était nullement question de la nécessité de sanctions ou d'une enquête plus poussée, même par la police.
J'ai publié ce jour-là une déclaration dans laquelle j'ai écrit que même si j'appuie la recommandation du comité concernant le remboursement des montants indûment réclamés, « [...] je suis personnellement déçu que le comité n'ait pas débattu de la question de savoir si d'autres mesures disciplinaires étaient nécessaires. »
Cela me semblait fondamental, chers collègues. Si on enfreint les règles, une peine, une sanction s'ensuit. Le jour de séance suivant, j'ai présenté au Sénat une motion visant à remettre le rapport concernant le sénateur Duffy à la GRC pour qu'elle fasse une enquête plus poussée sur l'affaire.
Le gouvernement a répondu, par la bouche de la personne qui était alors leader du gouvernement au Sénat, que tout ce qui importait, c'était que la somme soit remboursée et que le dossier soit clos. Pas de sanctions, pas d'enquête policière, qu'on classe l'affaire le plus vite possible et qu'on n'en parle plus.
Mes collègues se rappelleront sûrement que le gouvernement a cherché avec acharnement à nous faire adopter les rapports du 9 mai le jour même où ils ont été déposés, sans débat, en fait, sans même que nous ayons eu, du moins ceux de ce côté-ci, la possibilité de les lire. Nous avons refusé et on nous a rapidement accusés de faire de l'obstruction et de retarder les travaux.
Nous savons tous ce qui s'est passé ensuite. Peu après, le réseau CTV a dévoilé que le chef de cabinet du premier ministre avait remis en secret un chèque de 90 000 $ au sénateur Duffy afin qu'il puisse rembourser les sommes dues au Sénat. Depuis, nous avons appris que contrairement à ce que le premier ministre a affirmé aux Canadiens, il ne s'agissait pas d'une affaire privée mettant uniquement en cause deux personnes. En fait, plusieurs personnes, que ce soit au Cabinet du premier ministre ou dans les plus hautes sphères du Parti conservateur, ont été impliquées dans cette affaire.
Le gouvernement ne voulait pas que les Canadiens sachent ce qui s'est passé. Les ententes secrètes devaient demeurer secrètes et les conversations qui se sont déroulées en privé devaient demeurer privées.
Le rapport du comité sur les dépenses de la sénatrice Wallin a été étudié par le Comité de la régie interne à huis clos, en secret. Ce rapport, qui a été déposé par le greffier en août, n'a pas encore fait l'objet d'un débat au Sénat et n'a pas non plus été adopté.
Au fur et à mesure que la vérité a été révélée, le gouvernement s'est empressé de prendre ses distances avec les personnes nommées par le premier ministre Harper. Tout à coup, le gouvernement a changé son fusil d'épaule et a accepté de confier à la GRC le soin de mener une enquête sur les allégations visant d'abord le sénateur Duffy, puis la sénatrice Wallin.
(1510)
De plus, lors de la rentrée parlementaire du Sénat, en octobre, le gouvernement a fait volte-face au sujet des sanctions. En octobre, la position du gouvernement était diamétralement opposée à celle qu'il défendait en mai. Le remboursement ne suffisait plus. Il fallait proposer les sanctions les plus sévères possible, qu'elles soient imposées sans examen préalable, et que les sénateurs ne puissent pas retenir les services d'un avocat. Il n'y a eu ni étude de la proposition par un comité, ni procédure équitable, ni consultation de juristes. Il fallait simplement suivre les ordres du premier ministre à la lettre, et sans délai.
Chers collègues, je dois dire que, lorsqu'il a prononcé son discours au congrès conservateur, le week-end dernier, le premier ministre m'a fait rire en disant, sans sourciller, que c'était les sénateurs libéraux qui empêchaient l'imposition de sanctions à ces trois sénateurs. En fait, nous réclamons des mesures depuis le 9 mai, et c'est le gouvernement Harper qui, pendant des mois, a tenté de camoufler l'affaire.
Bien sûr, ce n'est que le plus récent exemple d'une série de contradictions de la part du premier ministre.
Il a commencé par dire aux Canadiens que personne au sein du Cabinet du premier ministre, hormis Nigel Wright, n'avait été informé au sujet du chèque secret de 90 000 $. Il a tenté de défendre cette version des faits même quand les médias ont révélé que Benjamin Perrin était impliqué. Il y a quelques jours seulement, M. Harper a finalement admis du bout des lèvres que certaines personnes au sein du Cabinet du premier ministre étaient au courant de l'affaire. Chers collègues, selon certains, pas moins de 13 personnes étaient au courant.
On a d'abord dit aux Canadiens que Nigel Wright était un homme honorable, dont la démission a été acceptée « avec un profond regret » par le premier ministre. Ce sont les mots que le premier ministre a employés à l'époque.
Et maintenant, le premier ministre rejette tout le blâme sur M. Wright, affirmant que celui-ci a concocté le stratagème en question. Le premier ministre affirme aussi l'avoir congédié sans détour dès qu'il a été informé de la situation.
Chers collègues, que se passe-t-il réellement? Le premier ministre Harper est un politicien chevronné. Il a consacré sa vie à la politique et à la quête du pouvoir. Il ne commettrait pas de lapsus à propos de faits aussi importants, et il est sûrement conscient que ses propos étaient tout à fait contradictoires.
On demande aux Canadiens de croire que M. Wright — un homme d'affaires respecté et prospère qui détient deux diplômes de droit, un homme d'une telle loyauté à l'égard du premier ministre Harper qu'il n'a pas fait le moindre commentaire à propos de cette affaire — serait soudainement sorti du droit chemin sans aucune raison. D'après ce qu'on nous dit, il aurait pris seul la décision de donner 90 000 $ de ses fonds personnels au sénateur Duffy, un homme dont il n'était pourtant pas particulièrement proche.
Maintenant, le premier ministre Harper tente de convaincre les fidèles partisans de son parti que son gouvernement lutte depuis le début pour que ces trois sénateurs soient punis, sans jamais mentionner qu'il les a lui-même choisis et nommés. Dans les faits, pourtant, ce sont des sénateurs libéraux qui ont lutté pour la tenue d'une enquête et l'imposition de sanctions, tandis que le gouvernement se contentait de répéter que l'affaire était close.
Qu'a fait le gouvernement quand il s'est finalement rendu compte qu'il y aurait peut-être lieu d'imposer des sanctions? Le sénateur Carignan a présenté trois motions. Elles ont délibérément été présentées comme des motions non gouvernementales, du moins je le croyais alors, puisqu'il revient au Sénat de gérer les mesures disciplinaires des sénateurs, et non au gouvernement de dire au Sénat comment voir à la discipline de ses membres.
Voilà comment les choses devraient se dérouler, chers collègues.
Un vote comme celui-là ne devrait pas être soumis à la discipline de parti.
Je dis depuis le début, et je le redis maintenant : je n'ai pas imposé mon point de vue personnel à mes collègues et n'ai nullement l'intention de le faire. S'il y a une chose sur laquelle on doit voter selon sa conscience, c'est bien celle-ci. Nous devons tous assumer notre propre décision. Nous ne pouvons nous délester de notre responsabilité individuelle en nous cachant derrière la ligne de parti.
J'espérais et, honnêtement, je présumais, qu'il en serait de même pour mes collègues d'en face. Puisque les motions étaient explicitement non gouvernementales, je croyais que le vote serait libre des deux côtés de la Chambre. D'ailleurs, plusieurs collègues d'en face ont pris la parole et exprimé leurs propres préoccupations à l'égard d'une motion en particulier ou de l'ensemble. C'est ainsi que cela devrait être. Nous devrions tous être libres d'exprimer notre propre opinion et de voter selon notre conscience.
Nous avons entendu de nombreuses interventions intéressantes, y compris les sept heures où le leader du gouvernement a eu la parole, et plusieurs sénateurs ont proposé des amendements visant à modifier la façon de procéder pour étudier la question.
Puis, chers collègues, le tout a pris une tournure très étrange.
Le vendredi 25 octobre, après seulement trois jours de débat, la leader adjointe du gouvernement a pris la parole et donné avis d'une motion commençant par l'expression « [...] nonobstant toute disposition du Règlement ou toute pratique habituelle [...] » puis transformant de fait les motions non gouvernementales du sénateur Carignan en un genre de motion hybride monstre pré-Halloween, dans le but d'imposer, au moyen d'une motion du gouvernement, l'attribution de temps sur ces trois motions non gouvernementales.
C'était la première indication claire que le gouvernement Harper s'ingère ouvertement dans cette décision interne du Sénat portant sur la discipline de trois de ses membres. Nous avons protesté contre cet emploi inapproprié d'une motion du gouvernement. Le Président nous a donné raison et a jugé, mercredi dernier, que celle-ci était irrecevable.
Mais ce jour-là, comme l'avait dit Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles, les choses sont devenues de plus en plus curieuses.
Avant même que le Président ne rende sa décision, la leader adjointe du gouvernement avait donné avis d'une autre motion encore. Cette fois, c'était une seule motion du gouvernement regroupant les trois sénateurs. Ainsi, mercredi dernier, nous étions saisis de trois motions non gouvernementales distinctes proposant une seule sanction pour chacun des trois sénateurs : la suspension sans rémunération et l'interdiction de l'accès aux ressources et aux assurances du Sénat. De plus, nous avions une motion gouvernementale imposant la fixation d'un délai pour l'étude des trois motions, apparemment pour nous presser de terminer le débat sur ces trois motions. Maintenant, nous avions un préavis nous annonçant une nouvelle motion du gouvernement regroupant les trois précédentes et prévoyant une sanction différente, puisqu'elle leur permettait de conserver leurs assurances vie, santé et dentaire.
J'ai alors pris la parole pour demander au leader du gouvernement s'il pouvait nous expliquer ce qui se passait. Comme je l'ai dit, la situation était bizarre. Comme vous vous en souviendrez, il n'y a pas eu de réponse.
Plus tard, ce jour-là — il s'agit encore de mercredi dernier —, nous avons voté sur plusieurs des amendements proposés aux trois motions non gouvernementales. Le débat s'est poursuivi. Autrement dit, dans ce monde bizarre, nous avons continué en dépit du fait qu'il y avait une autre motion gouvernementale qui devait être présentée plus tard.
Qu'est-il arrivé le lendemain? Eh bien, jeudi dernier, le gouvernement a proposé sa motion, celle qui mettait les trois sénateurs dans le même sac et leur permettait d'obtenir leurs médicaments pour le cœur. Tout aussi étrange. Vous vous souviendrez que la leader adjointe a commencé à parler de sa motion, après quoi son patron, le sénateur Carignan, l'a interrompue, littéralement en plein milieu d'une phrase, a pris les papiers de sa main et a essayé de prendre le relais. Cela a provoqué une grande confusion, qui a en fait nécessité l'intervention de notre Président. Avec l'accord du Sénat, j'ai brièvement pris la parole et proposé une motion d'amendement. Ensuite, le sénateur Carignan a parlé, puis a ajourné le débat.
À ce stade, la leader adjointe du gouvernement a encore une fois pris la parole pour donner préavis d'une motion de fixation d'un délai, celle dont nous sommes actuellement saisis. Non seulement nous n'allions pas pouvoir renvoyer l'affaire à un comité, mais on ne nous permettait pas de poursuivre le débat.
Chers collègues, nous examinons des questions d'une grande gravité. La réputation et le gagne-pain de trois de nos collègues sont en jeu. On nous demande de prendre une décision sans que les intéressés aient la possibilité d'en appeler devant les tribunaux ou un autre organisme. Au lieu d'envisager sérieusement la manière appropriée d'aborder chacune de leurs situations très particulières, le gouvernement nous oblige à consacrer de nombreuses heures d'abord pour comprendre, puis pour débattre ses différentes motions, tout en contestant sa mauvaise application de notre Règlement. Bien entendu, une interprétation et une application appropriées du Règlement sont absolument essentielles. Vous vous souviendrez en effet que c'est l'abus des dispositions du Règlement qui a entraîné la présentation de ces motions de suspension contre les trois sénateurs en cause.
J'ai déjà dit — et je le répète encore aujourd'hui — que je n'appuie pas ce qu'ont fait les trois sénateurs. Bien au contraire, je crois que si un sénateur agit à l'encontre du Règlement, le Sénat a le droit et le devoir d'envisager des mesures disciplinaires et des sanctions.
Toutefois, chers collègues, tous les Canadiens, peu importe ce qu'ils ont fait et même s'ils se sont rendus coupables de meurtre, ont droit à une procédure équitable. Le crime consistant à embarrasser le gouvernement et le premier ministre ne change rien à ce principe fondamental du système de justice canadien.
(1520)
Le premier ministre Harper évite soigneusement de reconnaître le rôle qu'il a joué dans tout cela, mais soyons clairs. Ces trois sénateurs ont tous été nommés, en grande pompe, par le premier ministre. En effet, il y a quelques jours, à l'émission The National à CBC, Peter Mansbridge a montré une photo du premier ministre Harper et du sénateur Duffy, sur laquelle le premier ministre avait écrit :
À Duff,
Un grand journaliste et un grand sénateur. Merci d'être, parmi tous ceux que j'ai nommés, un des meilleurs et des plus travailleurs!
Stephen Harper
Je comprends, chers collègues, que l'image de marque des conservateurs en a pris un coup en raison des agissements de ces trois sénateurs, car leurs agissements donnent une très mauvaise impression du jugement du premier ministre Harper et je conçois que l'heure est aussi à l'histoire révisionniste. Mais, chers collègues, il y a sûrement des limites. L'opportunisme politique ne peut pas passer avant la justice. On ne peut pas passer outre à l'application régulière de la loi, en faire fi et la remplacer par des procès pour l'exemple quand les faits contredisent le récit du premier ministre.
Nous sommes censés être la Chambre chargée du second examen objectif — la Chambre qui devait défendre les principes fondamentaux, surtout à une époque où les exigences de la politique permettaient de balayer ces principes. Chers collègues, si nous ne faisons pas cela — si nous permettons que notre jugement, notre engagement à l'égard des principes canadiens fondamentaux d'application régulière de la loi et de la primauté du droit soient écrasés par la politique —, nous aurons fait un tort énorme à la dignité et à la réputation du Sénat ainsi qu'à la confiance du public envers le Parlement, sans doute autant — et peut-être plus — que les trois sénateurs en cause ici.
Aucun tribunal ne couperait court à des délibérations parce que cela fait l'affaire du procureur ou même pour répondre aux besoins du juge, comme le gouvernement — dans ce cas, indiscutablement, le procureur vengeur — tente de le faire ici.
Ma collègue la sénatrice Dyck a fait d'excellentes recherches sur certains des aspects juridiques soulevés par les actions du gouvernement en l'espèce, dont elle a eu l'amabilité de me faire part. J'espère qu'elle fera connaître le fruit de ses recherches au Sénat. Ses recherches m'ont notamment mené à la décision rendue le 27 août 1991 par la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire Demicoli c. Malta. Le sénateur Baker n'a probablement pas lu ce jugement. Ce sera maintenant chose faite.
Dans cette affaire, le requérant a entre autres réussi à faire valoir qu'il n'avait pas eu droit à une audience équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Le tribunal en question, chers collègues, était la Chambre maltaise des représentants, et l'affaire reposait sur la conclusion voulant que le requérant ait porté atteinte aux privilèges de la Chambre. Le requérant a fait valoir ceci « Le contexte politique dans lequel la procédure se déroula aurait ``tourné en dérision tout le concept de l'indépendance et de l'impartialité du judiciaire'' ». Il a fait remarquer que les représentants siégeaient « à titre de victimes, d'accusateurs, de témoins et de juges ».
Chers collègues, pouvons-nous sincèrement prétendre aujourd'hui que nous donnons droit à ces trois sénateurs à une audience équitable devant un tribunal indépendant et impartial?
La motion dont nous sommes saisis est une motion d'attribution de temps — c'est-à-dire qu'elle vise à mettre fin à la discussion et à forcer le vote. Or, dans ce débat, le leader du gouvernement — le procureur principal, si l'on veut — a accaparé environ sept heures du débat pour défendre le bien-fondé de sa motion. Au cours des quelques jours consacrés à ce spectacle, le gouvernement a présenté de nombreuses motions incompatibles, changeant son plan chaque jour — voire chaque heure, comme ce semble être le cas aujourd'hui —, nous faisant ainsi perdre des heures à débattre de la procédure plutôt que du fond de la question, soit le bien-fondé des sanctions à imposer.
Qui peut encore prétendre que nous sommes un tribunal indépendant et impartial alors que le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec une motion du gouvernement contre d'anciens membres de son propre gouvernement?
À l'origine, il y avait trois motions individuelles, une pour chacun des trois sénateurs, mais dans le cadre de ce procès qui leur est fait au Sénat, ils sont maintenant jugés collectivement, pas individuellement. Les trois sénateurs sont traités sur un pied d'égalité, en dépit des allégations voulant que le gouvernement, dans un autre revirement bizarre de cette histoire sordide, ait offert une autre entente secrète à l'un des sénateurs, aux termes de laquelle il se verrait imposer une sanction différente, plus clémente, s'il s'excusait.
Honorables sénateurs, comment peut-on demander aux Canadiens de croire que c'est le Sénat qui discipline ses membres alors que c'est le gouvernement qui impose les sanctions et qui, de surcroît, propose des ententes secrètes pour modifier la sanction que nous sommes ensuite censés imposer?
J'ai déclaré, à maintes reprises, qu'on nous demande de faire les choses à l'envers. Plus tôt, j'ai cité Alice au pays des merveilles écrit par Lewis Carroll. Comme l'a écrit Ramsay Cook, un éminent historien, dans une lettre adressée au Globe and Mail la semaine dernière, les délibérations de cette Chambre ressemblent beaucoup à celles dans Alice au pays des merveilles. « Que les jurés délibèrent pour rendre leur verdict », ordonna le Roi. « Non, non! », s'écria la Reine. « La condamnation d'abord, la délibération ensuite. »
Honorables sénateurs, il n'est pas possible de régler ces questions en quelques jours de débat au Sénat et encore moins en quelques heures de débat sous le couperet de l'attribution de temps, alors que le premier ministre s'exprime publiquement sur le verdict auquel il s'attend.
Je l'ai déjà dit et je le répète : nous devrions faire ce que nous avons toujours fait lorsque nous sommes saisis d'une question aussi complexe, c'est-à-dire la renvoyer à un comité qui l'examinera avec tout le sérieux qu'elle mérite. Nous pourrions imposer un délai et exiger que le comité fasse rapport d'ici une date donnée, afin d'éviter tout retard excessif. Cela permettrait aux sénateurs accusés de comparaître accompagnés d'un avocat, s'ils le souhaitent. De plus, les membres du comité, ainsi que les sénateurs accusés, pourraient examiner et analyser les preuves.
Le sénateur Mercer : Un nouveau concept.
Le sénateur Cowan : Chose très importante, cela nous permettrait d'obtenir des avis juridiques sur la pertinence d'imposer des sanctions sans nuire de quelque façon que ce soit aux enquêtes que mène actuellement la GRC. Le sénateur Baker et d'autres collègues ont expliqué en long et en large pourquoi cette question soulève de graves préoccupations. Je suis persuadé — et j'ose espérer — que tous les sénateurs conviennent avec moi que nous devons être bien certains de ne nuire aucunement au travail des policiers qui font enquête sur d'éventuels actes criminels ni aux poursuites criminelles qui pourraient en découler.
Le sénateur Carignan a fait preuve d'une grande franchise dans cette enceinte : il n'a pas obtenu — ni même cherché à obtenir — d'avis juridiques auprès d'experts sur cette question très importante. Il nous a dit qu'il avait effectué ses propres recherches et qu'il était convaincu d'avoir bien agi. Toutefois, chers collègues, il n'est pas un expert reconnu en la matière; il pourrait donc avoir tort. En fait, le sénateur Carignan et le leader adjoint ont eu tort lorsqu'ils ont présenté une motion du gouvernement visant l'attribution de temps. En effet, le Président a déclaré la motion irrecevable, et sa décision n'a pas été contestée dans cette enceinte.
Chers collègues, les enjeux sont tout simplement trop grands pour que nous allions de l'avant sans avoir entendu les avis juridiques des experts. Pourtant, c'est ce que le gouvernement nous demande de faire.
Ce n'est toutefois pas la seule question qu'il est nécessaire d'examiner. Nous devons aussi nous interroger sur le moment choisi, c'est-à-dire comprendre pourquoi le gouvernement est convaincu qu'il faut imposer ces sanctions maintenant, plutôt qu'au mois de mai, comme je l'avais proposé. Toutefois, le gouvernement avait rejeté la proposition à l'époque et ne tient pas non plus à ce qu'on attende que la GRC ait terminé ses enquêtes.
Chers collègues, ce n'est qu'après avoir examiné convenablement toutes ces questions que nous pourrons déterminer la sanction qui s'impose pour chacun des sénateurs. Le sénateur Eggleton et d'autres collègues ont demandé au sénateur Carignan d'expliquer les critères utilisés pour déterminer la sanction qu'il a proposée pour chacun des sénateurs. Il n'a fourni aucun critère; en fait, on nous a dit qu'un sénateur fait une proposition, puis le Sénat prend une décision. Aucune justification; aucune explication.
Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder pour décider du sort de ces trois Canadiens. Le sénateur Carignan a parlé du précédent de la Chambre des lords, qui, en 2010, a sanctionné plusieurs de ses membres ayant fait des demandes de remboursement inappropriées. Honorables sénateurs, la Chambre des lords a imposé des sanctions différentes à chaque personne visée. On n'a certes pas appliqué de solution universelle. En outre, comme je l'ai déjà dit, on a imposé des sanctions en fonction des recommandations formulées par un comité qui a étudié les circonstances de chaque violation aux règles, puis recommandé dans chaque cas une sanction appropriée.
Le gouvernement a clairement dit que, selon lui, il ne fallait pas soumettre ces questions à un comité. On nous a dit qu'un débat au Sénat suffisait.
Honorables sénateurs, en conclusion, je voudrais m'adresser directement aux sénateurs conservateurs.
J'ai exprimé mon opinion et j'ai expliqué pourquoi je ne peux appuyer ni cette motion ni le processus qui nous a menés là où nous en sommes.
Bien des sénateurs de ce côté-ci du Sénat et la plupart des sénateurs indépendants ont participé au débat, mais, hélas, très peu de sénateurs conservateurs l'ont fait.
Avec tout le respect que je vous dois, honorables sénateurs, ce n'est pas suffisant. Avant de vous prononcer demain après-midi, vous avez l'obligation, envers nous et surtout envers les milliers de Canadiens qui suivent le débat, de prendre la parole pour expliquer pourquoi vous appuyez le processus actuel et la motion dont nous sommes saisis.
(1530)
Des principes importants sont en jeu — les principes de l'équité, de l'application régulière de la loi, de la primauté du droit, de l'indépendance du Sénat et de l'intégrité de nos travaux — dans cette enceinte et au sein des comités.
Des questions et des allégations sérieuses ont été soulevées à propos des influences qui s'exercent sur le Sénat, de l'ingérence au Sénat et de son indépendance par rapport aux pouvoirs externes, y compris le Cabinet du premier ministre du Canada. À l'heure actuelle, nous ne savons pas si ces allégations sont vraies. En temps et lieu, les enquêtes de la GRC nous fourniront certaines réponses, mais, entretemps, des soupçons pèsent sur le Sénat et tous ceux qui y siègent.
Nous savons qu'au beau milieu d'une vérification juricomptable sur les frais de déplacement et de subsistance de l'un de nos collègues, le chef de cabinet du premier ministre a fait un chèque personnel pour rembourser les sommes réclamées.
Nous savons que ni M. Wright ni le sénateur Duffy n'ont admis l'existence de ce cadeau avant qu'elle ne soit divulguée dans les médias.
Nous savons que, les membres du comité de direction du Comité de la régie interne étant majoritairement dans le camp du gouvernement, ils avaient à l'origine accordé un traitement préférentiel au sénateur Duffy, comparativement à celui qu'ils avaient réservé aux sénateurs Brazeau et Harb.
Nous ne savons pas s'il y a un lien entre ces évènements ou s'ils ne sont que pure coïncidence.
J'ai écouté avec intérêt le discours du premier ministre Harper à Calgary, vendredi soir. Certains d'entre vous y étaient peut-être. Il s'est arrogé le mérite de tout ce qui a pu arriver de bon ou d'apparemment bon depuis 2006, tout en minimisant sa responsabilité pour tous les problèmes, toutes les mauvaises nouvelles, toutes les erreurs et tous les mauvais calculs au cours de cette période.
Chers collègues, on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. On ne peut pas s'attribuer les journées ensoleillées et mettre la pluie sur le dos de quelqu'un d'autre.
Le premier ministre a d'abord dit que Nigel Wright avait agi de son propre chef, puis il a admis que quelques personnes, une dizaine maintenant, étaient au courant. Il a dit qu'il avait refusé sa démission, puis qu'il l'avait acceptée, mais il dit maintenant que Nigel Wright a été congédié et il l'accuse de tromperie. Quelle version est la bonne?
Honorables sénateurs, comme je l'ai dit au début de mon intervention, ce scandale a été présenté comme propre au Sénat, mais c'est un scandale à propos de quelques sénateurs qui ternissent l'image du Sénat, et surtout, selon les récents sondages — puisque la sénatrice Martin a parlé plus tôt de sondages — qui ternit encore davantage l'image du premier ministre du Canada.
Je comprends donc aisément pourquoi le premier ministre veut étouffer ce débat. Il veut suspendre sans salaire et priver de leur immunité parlementaire trois des personnes qu'il a nommées au Sénat du Canada et, surtout, leur refuser l'accès à cette tribune, où ils pourraient entacher davantage ce qui reste de sa crédibilité minée par la façon dont il a géré cette affaire sordide.
Cependant, honorables sénateurs, acceptons-nous, et vous surtout — je m'adresse à vous qui siégez en face —, de devenir complices de cette mascarade ou sommes-nous, mais vous surtout, prêts à nous lever et à refuser de participer à ce simulacre de processus et à ce camouflage. Nous pouvons, et vous surtout, nous incliner sous les pressions du Cabinet du premier ministre et accepter cette machination ou nous pouvons, mais vous surtout, affirmer l'indépendance de cette Chambre et faire ce que nous savons tous être ce qui s'impose : appuyer l'application régulière de la loi, le franc-jeu et la primauté du droit.
Honorables sénateurs, les Canadiens sont nombreux à nous regarder avec un intérêt inégalé depuis des décennies. Ils ne veulent pas seulement savoir ce que nous allons faire, mais aussi de quelle façon nous allons le faire. Nous devons aux Canadiens, à notre institution et à nous-mêmes de choisir la bonne voie.
Des voix : Bravo!
L'honorable Donald Neil Plett : Je me demande si le sénateur Cowan accepterait de répondre à une question.
Le sénateur Cowan : Bien sûr.
Le sénateur Plett : Sénateur Cowan, vous avez fait un excellent discours avec lequel je suis d'accord en grande partie. Vous avez dit que nous ne pouvons pas jouer sur les deux tableaux. Je suis l'un des rares sénateurs conservateurs à s'être prononcé contre la motion. Je prévois prendre la parole de nouveau lorsque nous en arriverons à la motion principale et j'espère avoir le temps de le faire.
Vous avez dit que ne pouvions pas jouer sur les deux tableaux. J'ai beaucoup de respect pour tous mes collègues d'en face. Cependant, même si ce n'est peut-être pas le cas ici, à l'autre endroit, vos collègues réclament la tête de ces trois sénateurs depuis des mois. Je trouve cela étrange. Je n'agis pas ainsi à des fins politiques. Si c'était le cas, mon intervention aurait été différente. J'agis ainsi parce que j'ai des convictions. Je suis sûr que c'est la même chose pour vous. Il va sans dire que les députés libéraux ont réclamé la tête des trois sénateurs et celle de Nigel Wright. Cependant, quand des mesures sont prises pour répondre à leurs demandes — que je sois d'accord avec elles ou non — ces mêmes députés s'empressent de dire que nous nous y prenons une fois de plus de la mauvaise manière.
Vous avez parlé de Nigel Wright. Il ne travaille plus pour le premier ministre. Soit le premier ministre a accepté sa démission, soit il l'a renvoyé. Quoi qu'il en soit, s'il ne l'a pas renvoyé, il a accepté volontiers son départ.
Je me demande comment vous pouvez parler de jouer sur les deux tableaux. Je pense que ce message devrait s'adresser aussi à mes collègues de l'autre parti. Vous ne pouvez pas jouer sur les deux tableaux. Soit vous adoptez une position de principe à ce sujet, soit vous en tirez des gains politiques. Ce n'est pas ce que je vous accuse de faire, monsieur le sénateur, mais j'ai de gros soupçons à l'égard de vos collègues de la Chambre des communes.
Le sénateur Cowan : Merci, sénateur Plett. Je vous félicite d'avoir participé au débat plus tôt. J'ai hâte de vous entendre plus tard, aujourd'hui.
Le sénateur Nolin a souligné ce point à plusieurs reprises et je pense que nous sommes tous d'accord que nous avons la responsabilité — ce n'est pas la responsabilité des députés de la Chambre des communes ou d'un tribunal quelconque — et le devoir d'adopter nos propres règles et de prendre des mesures disciplinaires à l'endroit de nos membres. Nous ne pouvons pas refiler cette responsabilité à qui que ce soit. C'est à nous qu'elle incombe.
Je me bats afin que nos trois collègues fassent l'objet d'un processus équitable. La prochaine fois ce pourrait être l'un d'entre nous qui soit visé, et nous sommes en train de créer un précédent. La façon dont nous traitons nos trois collègues crée un précédent qui pourrait plus tard être suivi dans le cas d'autres sénateurs. Ce n'est pas une menace. C'est la situation telle qu'elle existe. Nous avons une responsabilité.
J'insiste afin que nos collègues ici soient traités en vertu d'un processus équitable. Les collègues à d'autres endroits ont aussi une responsabilité au sein de leur institution. Je pense que nous avons assez de travail ici sans nous inquiéter de ce qui se passe à l'autre endroit. Je m'intéresse uniquement aux processus qui nous occupent ici relativement à des personnes envers lesquelles nous avons une responsabilité.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément au Règlement, les leaders disposent de 30 minutes. Je dois informer le Sénat que la période de 30 minutes accordée au leader de l'opposition est écoulée, à moins qu'il demande plus de temps et qu'il obtienne le consentement unanime.
Une voix : Trente minutes supplémentaires.
Son Honneur le Président : Honorable sénateur, demandez-vous plus de temps?
Le sénateur Cowan : Je n'aime pas prendre trop de temps, mais si le sénateur Plett a une autre question, je serai heureux d'y répondre.
Son Honneur le Président : Êtes-vous d'accord pour accorder cinq minutes de plus au sénateur?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Plett : Je vais être bref parce que je veux laisser du temps à mon leader, qui était en train de se lever pour poser une question. Je vous invite à demander aux gens de l'autre endroit de nous laisser faire notre travail et de s'occuper de ce qui est important, c'est-à-dire diriger le pays.
Le sénateur Cowan : Vous voulez que nous demandions aux gens de l'autre endroit de nous laisser tranquilles, mais je vous rappelle que c'est le premier ministre qui nous a dit ce qu'il voulait que nous fassions. Je serai heureux de demander à mes collègues de l'autre endroit de ne pas commenter ce que nous faisons ici, si vous êtes disposés à faire de même auprès de vos collègues.
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Ma question s'adresse au leader de l'opposition. J'ai revu une partie de ses discours durant la fin de semaine et je l'ai aussi écouté tout à l'heure. Dans le même discours, il traite de la notion de due process. Également, il condamne les gestes qui ont été posés par nos trois collègues. Je crois que le due process a été respecté, ainsi qu'à l'intérieur de notre Chambre.
Si je pousse votre argument du due process, cela signifie qu'on ne doit pas avoir de préjugé. Lorsqu'on écoute les gens, on ne doit pas avoir un préjugé sur la situation. Alors comment faites-vous, dans le même discours, pour plaider pour le due process et qu'au même moment vous condamniez les gestes qui ont été posés par les sénateurs? Quelle est la logique, sinon une logique purement partisane?
(1540)
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Je ne suis pas certain que les commentaires du sénateur Carignan sont appropriés.
Je vais répéter ce que j'ai dit. Nous avons été clairs : nous acceptons le travail effectué par le Comité de la régie interne. Nous ne demandons pas que ce travail soit refait. En mai dernier, j'ai posé la question à savoir si des sanctions additionnelles devraient être imposées. Votre gouvernement a dit non, la sénatrice LeBreton a décrété qu'il suffisait de rembourser l'argent pour clore le dossier. Nous sommes en droit de nous demander pourquoi — car nous n'avons jamais reçu de réponse satisfaisante à cette question — vous présentez ces motions maintenant, ou en octobre, pour ensuite tenter de les faire adopter à la hâte sous différentes formes, alors que vous auriez pu adopter cette position en mai si vous pensiez qu'il était approprié d'imposer des sanctions additionnelles ou d'attendre que la police ait terminé son enquête? Selon moi, sénateur Carignan, nous n'avons jamais reçu de réponse valable de votre part expliquant pourquoi vous souhaitez maintenant procéder de la façon que vous proposez, peu importe ce que vous proposez. En effet, vous avez adopté une dizaine d'approches différentes, alors c'est un peu difficile de ne pas perdre le fil.
Fondamentalement, notre position se résume à exiger qu'il y ait garantie procédurale. Nous ne voulons pas réexaminer ou refaire le bon travail effectué par le Comité de la régie interne, qui se résume à une mesure comptable. Le sénateur Tkachuk et le sénateur Comeau l'ont répété à maintes reprises durant l'enquête : ils ont examiné les faits simplement et non de la façon dont vous nous demandez de le faire maintenant, c'est-à-dire en songeant à imposer des sanctions additionnelles. En fait, ils ont déclaré qu'ils n'auraient pas eu les compétences pour s'y prendre ainsi et qu'une telle tâche aurait outrepassé le mandat du comité.
J'ai demandé s'il serait pertinent que le Sénat, après avoir reçu ces rapports, impose des sanctions additionnelles. Le gouvernement a répondu non. Pour des raisons que je ne comprends pas, sauf — étant donné que le sénateur Carignan a soulevé la question de la politique — les impératifs politiques du premier ministre, pourquoi maintenant? Je ne connais pas la réponse à cette question.
Son Honneur le Président : Nous devons maintenant poursuivre le débat, le temps de parole du sénateur étant écoulé. Le sénateur Wallace a la parole.
L'honorable John D. Wallace : Honorables sénateurs, la motion de la sénatrice Martin visant à suspendre les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin est, de toute évidence, une question extrêmement grave. Elle comporte, à l'endroit de ces trois sénateurs, de sérieuses allégations de grossière négligence dans la gestion de leurs ressources parlementaires, allégations qui pourraient entraîner pour eux, ou pour certains d'entre eux, de lourdes conséquences à long terme, y compris la perte de leur rémunération et de leur emploi. Ils pourraient être expulsés du Sénat, leur réputation pourrait être irrémédiablement ternie, leur carrière ruinée, leur capacité de chercher et d'obtenir un emploi compromise à tout jamais et leur santé minée.
Les enjeux personnels, dans tout cela, ne pourraient être plus élevés. De plus, en ce qui concerne les allégations de grossière négligence, et la façon dont tout ce qui se rapporte à chacun de ces sénateurs sera examiné, débattu et traité ici aura sûrement une très grande incidence sur la crédibilité à long terme de l'institution qu'est le Sénat.
Honorables sénateurs, j'attirerai d'abord votre attention sur les aspects de la motion de suspension présentée par la sénatrice Martin, que je juge d'une importance capitale, et je vous expliquerai pourquoi l'adoption de la motion d'attribution de temps nuirait à notre examen de chacun de ces aspects.
Premièrement, chacun des trois sénateurs est accusé de négligence grossière relativement à la gestion des ressources parlementaires qui lui étaient allouées. Par conséquent, les allégations de négligence grossière qui pèsent sur chacun d'eux constitueraient un motif suffisant pour que les sénateurs ordonnent leur suspension du Sénat du Canada.
Deuxièmement, les seuls faits et renseignements dont les sénateurs disposent pour tirer leurs propres conclusions en ce qui concerne ces allégations de négligence grossière sont ceux qui seront présentés dans cette enceinte, lorsque nous étudierons la motion de suspension. Les faits, les rumeurs, les insinuations et les allégations non fondées qui sont rapportés par les médias ou dans d'autres contextes, à l'extérieur de cette enceinte, y compris les allégations sans fondement qui, selon les médias, auraient été faites par la GRC en lien avec les enquêtes, n'ont absolument rien à voir avec nos délibérations portant sur les questions qui peuvent être soulevées en lien avec cette motion de suspension.
Troisièmement, je suis persuadé que nous conviendrons tous qu'en tant que sénateurs du Canada, nous sommes tenus de respecter les règles. Bien entendu, celles-ci ne s'appliquent pas seulement à la façon dont nous nous conduisons et participons aux activités du Sénat; elles s'appliquent également à la façon dont nous menons les audiences disciplinaires dans cette enceinte et y participons.
Quatrièmement, après avoir bien pesé tous les renseignements qui nous ont été communiqués en ce qui concerne ces allégations de négligence grossière, nous devons également être convaincus que toutes les sanctions proposées pour chacun des trois sénateurs, y compris la durée des suspensions proposées, sont justes et raisonnables dans les circonstances et proportionnelles aux allégations qui pèsent contre eux.
Comme je l'ai mentionné, nous devons nous en tenir uniquement aux faits et aux renseignements qui ont été présentés dans cette enceinte afin de tirer nos propres conclusions en ce qui concerne la motion de suspension. Il va sans dire qu'il faut absolument qu'on nous accorde le temps nécessaire ici, dans cette enceinte, pour que nous puissions étudier adéquatement ces faits et les autres renseignements dont nous disposons, les remettre en question et en débattre.
D'après ce que nous savons, sur quoi ces faits se fondent-ils? Premièrement, il y a les rapports individuels que Deloitte LLP et le Comité de la régie interne ont établis à l'égard des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin et qu'ils nous ont présentés. Deuxièmement, il y a tous les autres renseignements fournis au Sénat par lesdits sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin. Troisièmement, il y a les renseignements et les points de vue découlant des délibérations du Sénat.
Honorables sénateurs, ayant lu tous ces rapports de Deloitte et du Comité de la régie interne, je crois qu'il est extrêmement important de comprendre que ni l'un ni l'autre n'avait à déterminer si des actes de négligence grossière avaient été commis par chacun des trois sénateurs. De plus, Deloitte et le Comité de la régie interne n'ont formulé aucune opinion de ce genre dans leurs rapports.
Dans ces rapports, Deloitte et le Comité de la régie interne nous ont présenté des renseignements concernant les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin. J'estime qu'il appartient à chacun d'entre nous d'examiner soigneusement ces renseignements et de déterminer le poids à leur accorder pour aboutir à nos conclusions relativement à la négligence grossière alléguée dans chacun des trois cas.
Honorables sénateurs, je voudrais vous présenter quelques autres réflexions au sujet du processus disciplinaire résultant de la motion de suspension de la sénatrice Martin.
En regroupant dans une seule motion les allégations de négligence grossière formulées contre chacun des trois sénateurs et en adoptant une approche commune quant à la sanction réclamée contre chacun d'entre eux, on laisse entendre qu'il existe ou pourrait exister un but ou un résultat commun dans les trois cas.
Honorables sénateurs, cette approche est diamétralement opposée à la réalité puisqu'il s'agit de trois personnes distinctes et de trois ensembles distincts de faits et de circonstances. Je soutiens de la façon la plus énergique possible que notre examen des allégations de négligence grossière contre chacun des trois sénateurs doit non seulement être distinct, mais ne laisser à personne le moindre doute quant à son caractère indépendant compte tenu des circonstances différentes de chacun des trois sénateurs en cause. Je suis d'avis que l'adoption d'une approche unique comme le propose la motion de suspension dont nous sommes saisis ne nous serait pas utile à cette fin.
(1550)
Honorables sénateurs, en ce qui concerne le processus qui devrait être suivi dans le cadre de toute audience ou motion de nature disciplinaire, il ne faut absolument pas prendre de raccourci si l'on souhaite que la décision visant les accusés soit juste et équitable.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Wallace : Nous devons absolument résister à cette tentation, et ce, aussi grande soit-elle. Une décision prise avec trop d'empressement peut être source d'injustice.
Il est de notre responsabilité, comme nous l'avons juré lorsque nous avons été nommés au Sénat du Canada, de toujours nous pencher de façon attentive et exhaustive sur les questions dont nous sommes saisis. Et il ne faudrait certainement pas faire exception dans le présent débat.
Il m'est impossible de croire qu'un seul d'entre nous puisse penser que nous ne devrions pas accorder aux trois sénateurs tout le temps et toutes les chances nécessaires pour qu'ils puissent répondre précisément aux allégations de négligence grossière dont ils font l'objet et pour qu'ils puissent le faire aussi exhaustivement et efficacement qu'ils le souhaitent.
À mon avis, et j'en suis absolument convaincu, nous porterions gravement atteinte au principe de justice naturelle si nous limitions le débat à six heures au total pour la présentation, les réponses et le débat concernant trois allégations de négligence grossière qui n'ont aucun lien entre elles et qui visent les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin. Peu importe comment ces six heures seraient réparties entre les trois sénateurs, le tout serait, à mon avis, complètement inapproprié.
Honorables sénateurs, durant l'examen et le débat sur les trois motions du sénateur Carignan inscrites sous la rubrique « Autres affaires » au cours de huit jours de séance, au total, les sénateurs Cowan et Fraser ont présenté sept motions de forme et motions d'amendement distinctes qui, bien évidemment, ont dû faire l'objet d'un débat et d'un vote au Sénat. La nature de toutes les motions d'amendement était la même et il est devenu clair après le vote sur les deux premières que la volonté de la majorité des sénateurs était évidente et que les amendements n'allaient pas jouir de la majorité requise à la Chambre.
Quel impact ces motions d'amendement à répétition ont-elles eu sur l'examen par le Sénat de chacune des motions de suspension du sénateur Carignan et, plus spécifiquement, sur la capacité des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin de se défendre et de présenter leur position et leurs explications de façon cohérente, exhaustive et ininterrompue? Les amendements ont privé le Sénat du temps dont il disposait pour débattre et pour arriver à des conclusions sur les questions pertinentes, eu égard à chacune des trois motions de suspension.
Surtout — et je n'ai aucun doute que ce n'était pas l'intention des sénateurs Fraser et Cowan —, les tentatives d'amendement ont considérablement nui à la capacité des trois sénateurs en question de se défendre contre les allégations de la façon attendue et que l'on devrait exiger dans cette enceinte.
En conclusion, honorables sénateurs, tâchons de ne plus compromettre et, selon moi, limiter de façon déraisonnable la capacité des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin de répondre à ces allégations graves de négligence grossière qui pourraient donner lieu à leur suspension du Sénat du Canada. Voilà ce qui se passerait, selon moi, si nous devions approuver la motion de clôture et d'attribution de temps de six heures dont nous sommes saisis. Merci.
Des voix : Bravo!
[Français]
L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, j'interviens au sujet de la motion d'attribution de temps. Je persiste à dire qu'il faut traiter judicieusement de la question des sanctions pour trois de nos collègues. Cette Chambre a la responsabilité de se pencher sur le comportement de ses membres. Lorsqu'il y a des abus, nous avons la responsabilité de prendre des mesures correctives. Cependant, nous devons être prudents, non seulement dans les mesures que nous prenons, mais également dans notre façon de faire. Avant de déterminer si nous devrions suspendre trois de nos collègues, il est nécessaire de procéder de manière à respecter nos principes fondamentaux de justice en trouvant une voie à suivre juste et équitable. Désormais, le gouvernement y va de tout son poids afin d'imposer de façon précipitée des sanctions à l'aide de cette motion bâillon. Pourtant, après plusieurs jours de débat, le leader du gouvernement au Sénat n'a toujours pas exposé les raisons pour lesquelles les trois cas exigeaient que soient appliquées la même approche et les mêmes sanctions. Non seulement le gouvernement refuse-t-il de considérer une procédure qui, à mon avis, respecterait les principes de justice et d'équité, voilà qu'il veut retirer aux sénateurs le droit de s'exprimer en coupant court aux délibérations. Nous ne pouvons prétendre que nous remplissons notre mandat de réflexion et de second examen objectif avec l'imposition de telles contraintes, dès que les sénateurs s'opposent aux désirs du gouvernement.
Pourquoi devrions-nous nous empresser de clore le débat sur ces trois cas? D'après le gouvernement, cette motion d'attribution de temps est nécessaire, car la question des sanctions pour nos trois collègues nous empêcherait de procéder avec l'ordre du jour des travaux du Sénat.
Honorables sénateurs, je trouve incroyable que le gouvernement nous dise, indirectement du moins, que nous faisons obstruction aux autres travaux du Sénat, que l'unique façon de procéder est de mettre fin au débat, de procéder au vote et de tourner la page sur toute cette affaire et que si nous sommes en désaccord sur cette façon de procéder, nous sommes responsables de retarder l'ordre du jour.
Le gouvernement a décidé et déterminé l'ordre du jour dont nous sommes présentement saisis. Cette situation dans laquelle nous nous trouvons depuis l'ouverture de cette session est le fruit de ses propres décisions. Par ailleurs, rien ne nous empêche de passer à d'autres points à l'ordre du jour, à part le refus du gouvernement de les proposer.
La sénatrice Ringuette a prononcé un excellent discours sur son projet de loi visant à réduire les frais imposés aux marchands par les émetteurs de cartes de crédit. Comme le sénateur Mercer l'a mentionné l'autre jour, le discours du Trône a été prononcé il y a plus de deux semaines et personne n'a encore proposé la motion tendant à son étude. Personne de ce côté de la Chambre ne peut le faire à la place du gouvernement.
(1600)
Si le gouvernement veut sérieusement régler ce dossier, dans un délai raisonnable et d'une façon équitable, l'amendement proposé par le sénateur Cowan ouvre une voie à suivre qui me semble très sensée. Pour aller au fond des choses et s'assurer de mener une réflexion attentive et sobre qui se conforme à la responsabilité constitutionnelle de cette Chambre, il me semble très raisonnable de charger un comité d'examiner la motion et d'entendre les sénateurs impliqués, ainsi que tout autre témoin et expert qui pourrait alimenter notre réflexion. Nous procédons d'une façon similaire afin d'étudier les projets de loi. Pourquoi devrions-nous alors nous contenter de moins afin de prendre une décision sur une affaire historique et sans précédent dans cette Chambre, qui aura des répercussions importantes, non seulement sur trois de nos collègues, mais également sur la dignité et la réputation du Sénat?
Il reste trop de questions sans réponse pour balayer cette affaire sous le tapis, comme le voudrait le gouvernement, en suspendant les trois sénateurs sans leur avoir donné la chance de se faire entendre dans le cadre d'une procédure digne de nos principes de justice et d'équité.
[Traduction]
Honorables sénateurs, il y a longtemps que je ne compte plus le nombre de fois où j'ai parlé de l'attribution de temps, de la clôture ou des motions de guillotine. Cela devient une habitude chez le gouvernement en place, qui force le Sénat à adopter à la hâte des projets de loi et des motions, comme si l'approbation par le Sénat n'était qu'une formalité.
Cette motion n'est pas la seule mesure imposée par le gouvernement au cours des dernières années pour clore le débat. Par exemple, le gouvernement s'est servi de la clôture pour clore de façon expéditive le débat sur le projet de loi C-10, le projet de loi omnibus sur la criminalité; le projet de loi C-18, portant sur la Commission canadienne du blé; le projet de loi C-19, qui visait l'abolition du registre fédéral des armes à feu; le projet de loi C-27, concernant la reddition de comptes et la transparence en matière financière chez les Première Nations; et le projet de loi C-31, sur la réforme du système d'immigration. Le gouvernement a désormais l'habitude d'imposer la clôture pour faire adopter à la hâte des projets de loi omnibus qui prévoient des centaines de modifications à plusieurs lois, ce qui dépasse les limites raisonnables en matière de politique financière.
Aujourd'hui, nous sommes saisis d'une motion omnibus sur les sanctions, présentée sous la rubrique Affaires du gouvernement, qui regroupe des mesures qui faisaient auparavant l'objet de trois motions différentes proposées sous la rubrique Autres affaires. Cette pratique inquiétante porte ombrage au Sénat.
Aujourd'hui encore, les leaders du gouvernement au Sénat s'attendent à ce que nous adoptions d'ici demain une motion importante dont les conséquences seraient considérables. Bien des sénateurs et des Canadiens sont fort préoccupés par la motion présentée par le gouvernement. Au lieu de recourir à une manœuvre procédurale pour faire adopter la motion à toute vapeur, le Sénat devrait prendre le temps d'établir une procédure juste et équitable pour traiter les questions dont il est saisi. Les Canadiens veulent avoir l'assurance que le processus est équitable, et qu'il respecte la primauté du droit ainsi que le principe voulant qu'une personne soit présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. Ils veulent connaître l'ensemble des faits.
Honorables collègues, je ne m'attends pas à convaincre les leaders du gouvernement de revoir leur position au sujet de cette motion, mais j'espère que les sénateurs de l'autre côté de la salle examineront avec soin la motion de clôture qu'on nous demande d'appuyer aujourd'hui. Je crois qu'en choisissant d'agir ainsi, le gouvernement nuit à l'institution que nous représentons. Je dois m'opposer à cette motion d'attribution du temps, et j'encourage tous les sénateurs à en faire autant.
Son Honneur le Président : Honorable sénatrice Cools, avez-vous des questions et des observations?
La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, je prends la parole pour m’opposer très fermement à la motion de la sénatrice Martin, qui m’apparaît non parlementaire, inconstitutionnelle et injustifiée. Étant donné que les affaires du gouvernement ont toujours priorité sur les autres affaires du Sénat, je ne comprends pas pourquoi cette question devrait soudain être traitée de manière si urgente.
Honorables sénateurs, comme vous le savez tous, j’ai quelques années d’expérience ici, un certain nombre d’années je l’avoue, et j’ai donc pu voir beaucoup de facettes du Sénat. Quand je suis arrivée ici, le Règlement ne contenait absolument rien à propos de l’éventuelle suspension d’un sénateur. Il n’existait aucune règle à propos de la suspension d’un sénateur, ni de règles sur la distinction entre les affaires du gouvernement et les autres dossiers.
Honorables sénateurs, il faut le reconnaître, le principe de la priorité des affaires du gouvernement a été établi en 1991 et les règles concernant la suspension, en 2001. J’exhorte mes collègues à examiner ces règles de très près.
Je serai peut-être la seule personne en cette enceinte à dire ce que je suis sur le point de dire, mais le Canada et le gouvernement se dirigent vers une crise constitutionnelle. Le jour viendra où le gouverneur général devra intervenir. Chers collègues, la motion de clôture de la sénatrice Martin, tout comme sa motion de suspension, est illégale. Telle que libellée, elle se fonde sur le rejet total et absolu des règles concernant la suspension inscrites au chapitre 15 du Règlement du Sénat. Ces motions sont illégales.
Honorables sénateurs, commençons par les motions de suspension. Chacune d’entre elles commence par une disposition autorisant la dérogation. Il est possible de suspendre l’application d’une règle, mais la pratique veut que l’on précise la partie du Règlement du Sénat ou la règle dont l’application est suspendue et qu’on demande au Sénat l’autorisation de le faire. Toutefois, ces motions commencent en suspendant l’application de tout le Règlement du Sénat. En pareil cas, que reste-t-il pour nous guider?
Honorables sénateurs, j’ai examiné très attentivement les motions et je remarque qu’on retrouve dans chacune d’entre elles l’expression « pour cause », en français, et « for sufficient cause », en anglais. Je mets au défi quiconque au Sénat de me dire d’où sort cette expression.
Je me suis demandé pourquoi les sénateurs qui appuient le gouvernement devaient faire abstraction de toutes les règles existantes du Sénat en matière de suspension pour suspendre ces sénateurs. La raison, chers collègues, c’est que les règles actuelles du Sénat en matière de suspension ne permettent pas d’imposer des sanctions d’une dureté et d’une sévérité correspondant à celles qui sont prévues dans les motions de suspension à l’étude.
Comprenons bien que même les règles du Sénat en matière de suspension sont, dans une certaine mesure, discutables — je me suis d’ailleurs opposée à beaucoup d’entre elles à l’époque où elles ont été instaurées — mais elles ne sont rien en comparaison avec ce qui est ordonné dans ces motions. Je souligne que l’on rejette les règles du Sénat en matière de suspension parce qu’elles indiquent très clairement que lorsqu’un sénateur est accusé, on doit lui accorder un congé. Les sénateurs Martin et Carignan refusent de nous dire pourquoi il est nécessaire d’avoir recours à une telle procédure extrajudiciaire. Il en va de même pour les autres sénateurs qui sont en faveur de cette procédure; ils semblent prêts à voter, mais refusent de prendre part au débat.
Honorables sénateurs, la motion de la sénatrice Martin stipule que les trois sénateurs en question sont suspendus « pour cause », un concept adapté de l’article 15-2(1) du Règlement du Sénat, qui dit :
Le Sénat peut ordonner le congé ou la suspension d'un sénateur s'il l'estime justifié.
Cet article est répudié et on en fait abstraction, parce qu'il prévoit qu'un congé devrait être ordonné avant une suspension.
L'article 15-4(5) dit expressément :
[...] le Sénat confirme le droit du sénateur accusé d'une infraction criminelle d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable [...]
Selon l'article 15-4(1), lorsqu'un sénateur est accusé d'une infraction criminelle, il doit en aviser le Sénat au moyen d'un avis écrit qu'il signe. L'article 15-4(2) explique que, lorsque cet avis est donné :
[...] le sénateur se voit accorder un congé des séances du Sénat dès le moment où l'avis est déposé sur le bureau. Pendant la durée du congé, le sénateur est considéré comme étant absent en raison d'un engagement public.
(1610)
Honorables sénateurs, ils ont fait fi de l’article 15-5(1), qui est crucial puisqu’il dit :
Le sénateur qui est déclaré coupable d'une infraction criminelle par mise en accusation...
— non par procédure sommaire, par mise en accusation —
...et qui reçoit une sentence autre qu'une absolution est suspendu du Sénat dès la réception de sa sentence.
Honorables sénateurs, toutes ces règles ont été rejetées, car, si la motion devait respecter les règles du Sénat sur la suspension, ils n’auraient pas pu produire ces motions. Et ces motions sont rédigées — et j’ai bien examiné le libellé — avec quelques expressions tirées des nombreux articles du Règlement, de sorte qu’elles ressemblent aux articles du Règlement du Sénat et qu’elles réussissent à faire ce qu’elles ne devraient pas pouvoir faire, c’est-à-dire imposer des peines et des conséquences sévères rendues possibles par le fait que les articles du Règlement du Sénat pertinents ont été écartés et mis de côté.
J’espère que la sénatrice Martin écoute attentivement, car quelque chose cloche vraiment quand une motion commence par le mot « nonobstant ». En l’occurrence : « Nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement […] »
Cela s’applique à tous les articles du Règlement, pour la raison infantile suivante: « […] afin de protéger la dignité et la réputation du Sénat et de préserver la confiance du public envers le Parlement […] ».
Chers collègues, voici en quoi consiste le vrai scandale au Sénat. Ce que le gouvernement demande au Sénat de faire, ces entorses à la justice naturelle et à l’application de la loi et l’abandon complet de tout le système réglementaire qui régit la procédure au Sénat, voilà le scandale. Ce n’est pas ces trois sénateurs. C’est là le vrai scandale. Et c’est ce que je veux dire lorsque je dis que nous nous dirigeons vers une crise constitutionnelle.
Honorables sénateurs, en 1991, après une bataille terrible sur la TPS — et j’étais là —, le gouvernement a instauré ces règles qui donnent désormais au gouvernement priorité en ce qui concerne les travaux du Sénat.
Chers collègues, je veux qu’il soit bien clair que, de nos jours, le mot « gouvernement » est un mot fourre-tout. Je vais le répéter. Il n’y a pas un seul membre du gouvernement au Sénat. Lorsque ces règles ont été créées, en 1991, elles reposaient sur la prémisse qu’il existait au Sénat un sénateur qui serait également membre du gouvernement, membre du Cabinet.
Honorables sénateurs, ces règles n’ont pas changé depuis. On ne peut continuer à faire les choses comme on les faisait avant ces changements. Il est illusoire de croire que le leader actuel à la Chambre — qui n’est pas un membre du gouvernement, qui n’est pas un ministre, — puisse invoquer les privilèges qui viennent avec le fait d’être à la fois membre du Cabinet et sénateur. J’aimerais le signaler officiellement. C’est une question très sérieuse.
Honorables sénateurs, j’ai vérifié la définition d’« affaires du gouvernement ». N’oubliez pas que le mot « gouvernement » peut signifier n’importe quoi, autant les ministères que le Cabinet. La définition d’« affaires du gouvernement » est très intéressante. Voici ce que j’ai trouvé dans l’annexe I du Règlement du Sénat, intitulé Terminologie : « Projet de loi, motion, rapport ou interpellation présentés par le gouvernement ».
Or, chers collègues, aucune de ces motions n’a été présentée par le gouvernement. Il faut bien comprendre ce qui se passe ici. Ni le leader au Sénat — ou la personne qui se qualifie de leader du gouvernement au Sénat — ni la leader adjointe du gouvernement n’est membre du Cabinet. Les non-membres du gouvernement ne peuvent présenter des affaires du gouvernement. Cette pratique a cours dans cette enceinte. Je siège ici depuis 30 ans, et la règle veut que seul un ministre de la Couronne puisse répondre aux questions au nom du gouvernement.
Je ne sais pas ce qui en était à l'époque de Diefenbaker, lorsque le leader du gouvernement n'était pas sénateur, mais je peux dire qu'il n'y avait pas la distinction que nous faisons aujourd'hui entre les affaires du gouvernement et les autres initiatives.
Chers collègues, la question des affaires du gouvernement présentées par des ministres de la Couronne est extrêmement importante.
Honorables sénateurs, j’ai consulté le site web du Bureau du Conseil privé et plus particulièrement la section sur les ministres du BCP. Je veux seulement porter certaines choses à votre attention.
On nous dit à la page sur les ministres du BCP que le BCP appuie le premier ministre et les ministres relevant du BCP. Le nom du sénateur Carignan ne se trouve pas dans cette page. Nous sommes donc certains qu’il n’est pas ministre. Chers collègues, je demande alors comment le Sénat, notamment dans nos publications et notre Règlement, sait-il que le sénateur Carignan est le leader du gouvernement au Sénat.
Honorables sénateurs, je ne suis pas convaincue que ce que croient les sénateurs est vrai, c’est-à-dire que le leader du gouvernement peut sans être ministre qualifier une initiative d’affaire du gouvernement et que cela devient automatiquement une affaire du gouvernement. Il faut examiner très sérieusement cette question. Les affaires du gouvernement et la priorité du gouvernement ont été créées au moment de l’adoption du nouveau Règlement en 1991.
Honorables sénateurs, je sais depuis longtemps que les Chambres peuvent accorder des congés autorisés aux parlementaires. Habituellement, ils prennent la parole pour en faire la demande et ils les obtiennent. Mais je tiens à dire aux sénateurs que les suspensions et les destitutions sont la prérogative exclusive du gouverneur général. Il nous faut comprendre ce vers quoi ces motions nous mènent. Je m’en remettrai donc au texte qui fait autorité en la matière.
Le gouverneur général du Canada est institué non pas par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, mais par un document signé par la reine elle-même. Je cite les lettres patentes de 1947, signées de la main de la reine. L’article V des lettres patentes dit :
Et nous autorisons en outre Notre gouverneur général, dans la mesure où cela Nous est validement possible, pour une raison lui apparaissant suffisante, à démettre de ses fonctions, ou à suspendre de l'exercice de celles-ci, toute personne remplissant une charge au Canada, sous le régime ou en vertu d'une commission ou d'un brevet accordé, ou qui pourra être accordé, par Nous en Notre nom ou sous Notre autorité.
Il n’y a pas d’erreur possible, chers collègues. Le pouvoir de suspendre un titulaire de charge publique est une prérogative royale. Et, au Canada, les gens qui travaillent là-dessus aiment énormément le secret. Des amis avocats d’autres pays du Commonwealth me disent que le Canada est l’un des pays les plus impénétrables en ce qui concerne l’exercice des prérogatives royales.
Je voulais vous dire, chers collègues, que certains d’entre vous sont très inquiets au sujet de cette motion. Certains en sont troublés et se sentent mal à l’aise. Je tiens à dire que la procédure me semble totalement irrégulière.
Son Honneur le Président : Je suis désolé de vous interrompre, madame la sénatrice, mais ce que j'ai à dire pourrait être utile aux autres sénateurs. L'article 7-3(1)f) du Règlement prévoit que les sénateurs qui participent au présent débat disposent de dix minutes pour prononcer leur discours. Si la sénatrice Cools veut bien demander cinq minutes de plus pour terminer ce qu'elle a à dire, je suis certain que le Sénat les lui accorderait.
Des voix : D'accord.
La sénatrice Cools : Nous ne devons pas nous imaginer que nous pouvons simplement faire un vœu et que ces lettres patentes et ces pouvoirs se volatiliseront. Beaucoup de gens s'emploient constamment, de nos jours, à faire semblant que le gouverneur général du Canada n’a qu’une fonction d'apparat. Je dis toujours que la résidence du gouverneur général est le siège du gouvernement. Ce n’est pas l’édifice Langevin, mais bien Rideau Hall. Le gouverneur général passe ses journées à signer des instruments de pouvoir: des mandats, des lettres patentes, des ordres, et ainsi de suite. J’espère qu’il observe ce qui se passe actuellement d’un œil très attentif.
Je voudrais dire que, lorsque les règles concernant les suspensions au Sénat ont été créées en 2001, on y a mis une bonne dose de créativité et d’inventivité. Toutefois, ce sont des attitudes que j’ai vues se manifester souvent dans cette enceinte. J’ai vu cette tendance dans la création des « affaires du gouvernement » et de la priorité du gouvernement au Sénat.
Les règles concernant les suspensions ont été créées en 2001 et, comme d'habitude, j'ai défendu alors une position minoritaire. J’ai souvent fait partie de la minorité. Cela semble être mon destin. Toutefois, j’ai aussi passé beaucoup de temps à me battre contre ce type de tyrannie.
(1620)
Honorables sénateurs, en 2001, j’ai demandé quelle était l’autorité pour les règles relatives à la suspension, parce que, pendant 140 ans, les sénateurs ne pensaient pas que le Sénat avait le pouvoir de suspendre. On m’a parlé d’une affaire intitulée Bradlaugh c. Gossett. Joseph Maingot a beaucoup écrit sur ce sujet dans la deuxième édition de son ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, paru en 1997.
Il parle du pouvoir disciplinaire de la Chambre des communes sous la rubrique « La compétence de la Chambre sur ses membres est absolue et exclusive. »
Maingot précise que la Chambre des communes tire son pouvoir de suspendre des députés d’un jugement rendu en 1884 dans l'affaire Bradlaugh c. Gossett. Bradlaugh était un député que le sergent d’armes avait expulsé de la Chambre des communes sur ordre de la Chambre. On lui avait interdit l’accès à la Chambre parce que, apparemment, M. Bradlaugh avait perturbé les travaux de la Chambre. Il avait agi ainsi parce qu’on ne l’avait pas laissé prêter serment de la manière qu’il désirait. En tout cas, il avait troublé l’ordre à la Chambre, et on l’a expulsé. M. Bradlaugh a intenté des poursuites contre le sergent d’armes.
Le nom Gossett est très célèbre. C’était un sergent d’armes. Cette affaire est vraiment très intéressante.
Honorables sénateurs, nous nous fondons sur cette affaire pour la prise de mesures disciplinaires. Il existe une différence entre la prise de mesures disciplinaires et l’imposition de sanctions, et je pense que nous devrions en être conscients.
Or, dans la décision concernant l’affaire Bradlaugh c. Gossett, lord Coleridge a dit ceci à la page 4 de la version anglaise :
Ce qui se fait ou se dit dans l'enceinte du Parlement ne peut faire l'objet d'un examen judiciaire. Tous les juges qui ont présidé aux deux grandes affaires qui couvrent l'ensemble de la question — Burdett c. Abbott et Stockdale c. Hansard — s'entendent catégoriquement sur ce fait. La compétence des Chambres sur leurs propres membres, leur droit d'imposer des mesures disciplinaires à l'intérieur de leur enceinte, est absolu et excessif. Pour reprendre les propos de lord Ellenborough, si elles perdaient cette compétence, elles s'ouvriraient au mépris le plus total et sombreraient dans l'inefficacité.
Les sénateurs qui préconisent la suspension n’ont jamais caché aux autres que ce pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires trouve son fondement dans l’affaire Bradlaugh c. Gossett. Je me suis toujours montrée dubitative, car la plupart des députés avaient été suspendus parce qu’ils avaient troublé l’ordre ou à cause d’événements de ce genre.
En ce qui concerne un député qui perturbe les travaux de la Chambre, je me réfère à la quatrième édition du livre An Encyclopedia of Parliament, datant de 1972, rédigé par Philip Laundy et Norman Wilding. Ces auteurs définissent notamment l’expression « nommer un député » à la page 484 de leur ouvrage, :
Si un député défie l'autorité de la présidence en refusant de retirer des propos offensants ou enfreint d'une autre façon le Règlement de la Chambre, le Président peut lui ordonner [...] de quitter la Chambre pour le reste de la séance. Si le député refuse et continue de faire fi de l'autorité de la présidence, le Président renvoie la question à la Chambre [...]
Chers collègues, comme vous pouvez le voir, Laundy — et je vais parler de ce fait de 1641, parce que la sénatrice LeBreton y fait référence tous les jours — reconnaît le pouvoir de discipline. Il poursuit ainsi :
La pratique consistant à « désigner un député par son nom » a été instaurée par le Président Lenthall (q.v.) en 1641.
Et voici ce que disent Abraham et Hawtrey dans leur ouvrage :
La peine imposée par la Chambre des communes à un député qui a été « désigné par son nom » par le Président [...]
Honorables sénateurs, ce que j’essaie de dire, c’est que la suspension, telle qu’elle est utilisée maintenant en vue de porter atteinte à notre devoir premier de présence, et au droit à vie qui incombe aux titulaires de hautes fonctions est inconstitutionnelle, non parlementaire et sans précédent. Selon moi, les motions dont nous sommes saisis, qui ne relèvent absolument pas du régime de suspension du Sénat, sont totalement irrégulières. J’invite donc les sénateurs à voter contre cette motion de clôture, qui est absolument inutile. Nous aurions dû débattre plus longuement de cette question. Les sénateurs sont des gens responsables, et les dirigeants d’en face ont l’obligation de se demander s’il n’y a pas quelque chose qui cloche dans leur façon de procéder.
Honorables sénateurs, nous savons tous que je m’oppose à cette motion, mais je suis aussi très consciente du fait que le gouvernement ne m’écoute jamais. C’est une habitude chez lui. Je ne m’en formalise pas trop et, contrairement à plusieurs d’entre vous — peut-être est-ce la raison pour laquelle je siège comme indépendante —, je sais que je n’ai pas l’oreille du premier ministre ou de qui que ce soit d’autre, mais c’est le prix à payer pour mon indépendance.
Sénateur Meredith, vous connaissez mes origines. Nous descendons de gens de couleur libres qui étaient indépendants.
Contrairement à d’autres, nous n’avons pas eu de tels choix, mais je veux dire aux sénateurs qu’ils devraient voter selon leur conscience. Cette motion et tout ce processus sont inadmissibles. Ils heurtent toutes mes convictions, tout ce qu’on m’a appris à respecter, notamment la justice humaine, l’application régulière de la loi et le droit de réplique.
Le sénateur Wallace voyait juste dans son analyse. Les accusations de négligence grossière n’ont pas été prouvées. Leur bien-fondé n’a pas été établi et le processus approprié aurait inclus la représentation juridique. J’ai observé ces trois sénateurs. Ils n’ont pas la capacité de se défendre au niveau juridique.
Quoi qu’il en soit, honorables sénateurs, j’invite mes collègues à être des sénateurs libres, comme notre institution est censée l’être, et à voter contre la motion de clôture.
Des voix : À l'ordre.
L'honorable Hugh Segal : Monsieur le Président, chers collègues, je prends brièvement la parole relativement à la motion d'attribution de temps. C'est une motion du gouvernement, présentée au Sénat par la sénatrice Martin, qui a pour but d'accélérer le traitement de la motion qui vise nos trois collègues.
Même si cette façon de faire n'est probablement pas contraire au Règlement, et même si la motion qui s'applique aux trois sénateurs respecte sans doute elle aussi le Règlement, je pense que nous sommes les témoins d'un effort visant à mener à terme un processus très déficient qui est à la fois injuste et non équilibré, ce qui ne correspond pas au principe de l'application régulière de la loi.
Les Canadiens qui assument les coûts de notre institution avec leurs dollars durement gagnés ont le droit d'obtenir des réponses au sujet du processus appliqué et des décisions rendues pour déclarer que trois sénateurs ont enfreint les règles en matière de dépenses. Les Canadiens ont le droit de connaître la méthodologie appliquée, de savoir si les règles pertinentes ont été appliquées, si elles l'ont été de façon juste et si, comme je le crois, le comité qui s'est penché sur les trois cas a rendu des verdicts qui, à des degrés divers, ne tiennent pas compte des faits comme tels.
Porter un jugement hâtif est peut-être attrayant pour certains et je comprends les pressions politiques qui existent dans ce processus.
Je fais respectueusement valoir à tous mes collègues qui prennent ce dossier aussi au sérieux que je le fais — et qui, j'en suis sûr, souhaitent prendre la bonne décision — que nous ne devons pas prendre de décision précipitée. Nous ne devons pas ternir des réputations et, surtout, nous ne devons pas entraver le cours des enquêtes policières indépendantes. Peu importe ce que le Sénat devrait faire dans ce dossier disciplinaire, nous ne devrions pas agir de la sorte. Or, cette motion d'attribution de temps nous contraint d'agir ainsi sans suivre les procédures normales, qui permettraient peut-être d'examiner ces cas de façon exhaustive.
(1630)
Cette motion a un caractère historique. Il n'y a pas de précédent lié au sénateur Andy Thompson. C'était un cas complètement différent. Le sénateur Thompson était à l'étranger durant une grande partie du temps où il aurait dû être ici. Il a été convoqué par un comité, mais il a refusé de se présenter. Il a carrément rejeté une ordonnance du Sénat. En fait, il n'en a pas tenu compte. Le Sénat a donc agi en fonction de ces événements.
À ma connaissance, aucun de nos trois collègues n'a refusé de faire quoi que ce soit qui lui aurait été ordonné par un comité sénatorial ou par le Sénat. Même s'ils ont pu être contrariés par l'absence d'équité du processus, ils s'y sont conformés. Par conséquent, l'allusion au cas du sénateur Andy Thompson ne peut être invoquée pour écourter le débat, parce que ce n'est pas un précédent qui s'applique à la motion dont nous sommes saisis.
Compte tenu du caractère historique de cette motion, je veux poser une ou deux questions liées à l'histoire afin que mes collègues puissent réfléchir en toute bonne foi. Avons-nous résisté à l'invasion américaine de 1812 à 1814 pour maintenant renoncer aux principes de la jurisprudence britannique ici même dans cette Chambre? Honorables sénateurs, je ne crois pas que c'est pour cette raison que nous avons lutté contre cette invasion.
Les Forces canadiennes ont-elles pris la crête de Vimy il y a près d'un siècle pour que nous cessions maintenant de défendre l'application régulière de la loi, ainsi que l'égalité devant la loi et sous la Couronne ici même dans cette Chambre? Les Canadiens sont-ils débarqués sur la plage Juno pour combattre les ultimes excès arbitraires de l'Allemagne nazie pour que nous renoncions maintenant à l'héritage de liberté et à la présomption d'innocence pour lesquels ils se sont battus et ont donné leur vie au nom des générations futures ici même dans cette Chambre? Je ne crois pas.
J'aimerais citer, avec la permission de la personne qui me l'a envoyé, un extrait d'un courriel que j'ai reçu il y a quelques jours :
Ce n'est pas pour qu'un citoyen, qu'il soit sénateur ou non, se voie priver de la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire que j'ai servi dans l'armée pendant 39 ans et demi dans le but de protéger...
... mon pays. Et c'est signé : major-général Andrew Christie, retraité.
Une motion de procédure soi-disant inoffensive ne l'est pas si elle permet de compromettre les libertés et de prononcer une peine avant que toutes les règles et les procédures n'aient été respectées.
C'est le résultat de la présente motion d'attribution de temps. Puisque je ne suis pas en mesure d'appuyer sous sa forme actuelle la motion dont elle tente d'accélérer l'adoption, les sénateurs des deux côtés du Sénat comprendront que je ne peux pas appuyer la motion d'attribution de temps dont nous sommes saisis.
J'exhorte les sénateurs de tous les partis, qui représentent toutes les régions du Canada, sont issus de toutes les sphères d'activité et de différents milieux et appartiennent à différentes catégories d'âge, à se joindre à moi et à s'opposer à cette motion d'attribution de temps. C'est ce que nous devons faire si nous croyons vraiment à l'application régulière des règles.
Des voix : Bravo!
L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, c'est avec une grande déception que j'interviens aujourd'hui pour participer à ce débat sur la motion d'attribution de temps présentée par le gouvernement conservateur.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il a recours à l'attribution de temps sur un sujet aussi important. Il s'agit peut-être de l'une des décisions les plus importantes jamais prises par le Sénat, une décision dont les répercussions se feront sentir pendant de nombreuses années.
La question évidente est la suivante : pourquoi refuse-t-on au Sénat et aux Canadiens un débat sain sur un sujet sérieux et de plus en plus important? Le gouvernement tente sans cesse de limiter le débat et de refuser aux sénateurs le droit d'être entendus au Parlement. Qu'il s'agisse d`un énorme projet de loi d'exécution du budget, d'une mesure législative globale sur la lutte contre la criminalité, du projet de loi sur la Commission canadienne du blé ou d'autres mesures, le gouvernement refuse d'accorder aux sénateurs le temps de dire ce qu'ils pensent et d'exprimer leurs préoccupations très concrètes à l'égard des dossiers dont ils sont saisis.
Cette situation ne fait pas exception à la règle. Au cours de la dernière semaine, j'ai reçu des courriels de Canadiens. La majorité d'entre eux sont d'avis que l'application régulière de la loi fait partie intégrante de notre système de justice. Ils s'inquiètent des répercussions des décisions que le Sénat prendra en ce qui concerne la suspension de ces trois sénateurs.
De nombreux Canadiens suivent ce débat au Sénat. Je me réjouis que tant de gens prennent le temps de nous communiquer leur point de vue au sujet de ces motions. Dans la plupart des cas, il s'agit de courriels individuels. Il ne s'agit pas de lettres types. De toute évidence, les Canadiens accordent une grande importance à l'application régulière de la loi.
J'aimerais vous lire certains de ces courriels. Celui-ci était à l'origine adressé au premier ministre; j'en ai reçu une copie.
En tant que fonctionnaire fédéral à la retraite qui a représenté avec fierté notre pays pendant plus de 25 ans au sein de délégations auprès d'organismes spéciaux des Nations Unies, je suis révolté de constater que les partisans de votre parti au Sénat participent à un simulacre de justice et qu'ils semblent bénéficier de votre appui. Quelles que soient les erreurs que ces trois sénateurs ont pu commettre et les lacunes du Sénat sous sa forme actuelle, il n'en demeure pas moins que ces sénateurs ont droit à l'application régulière de la loi, un concept qui caractérise notre pays. Nous devons donner l'exemple à l'échelle internationale, surtout pour nos diplomates, qui doivent accomplir un travail important. Cette façon de faire n'aide en rien.
J'aimerais également lire un autre courriel qu'un habitant de l'Île- du-Prince-Édouard a fait parvenir à certains sénateurs de cette province.
J'habite à Charlottetown, à l'Île-du-Prince-Édouard. En tant que citoyen d'un pays démocratique, je me sens l'obligation de vous dire à quel point je suis préoccupé par le vote visant à suspendre le salaire et les avantages de trois sénateurs, soit le sénateur Brazeau, le sénateur Duffy et la sénatrice Wallin. Même si je n'appuie pas du tout les gestes que ces trois sénateurs sont accusés d'avoir commis en ce qui concerne leurs dépenses, j'adhère au concept de l'application régulière de la loi et à celui voulant que toute personne ait droit à la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire.
De nombreux insulaires m'ont envoyé des courriels. Une femme m'a écrit pour réclamer que les sénateurs appuient sans délai les motions de suspension. Elle était en colère. Elle disait que ce qui s'est prétendument passé la fâchait et lui faisait honte.
Je lui ai écrit pour expliquer mon point de vue et ce qui se passe actuellement au Sénat.
Elle a répondu à mon message. J'aimerais vous lire ce qu'elle a dit :
Je vous remercie de prêter attention à cette question et de m'expliquer ce que fait le Sénat en ce moment. Je vous en suis reconnaissante et je suis soulagée que la question soit entre les mains d'une personne aussi réfléchie que vous. Sachez que de bonnes pensées vous accompagnent durant les délibérations.
Les Canadiens sont épris de justice et veulent bien faire, même lorsqu'ils sont en colère.
Comme je l'ai déjà dit, je ne défends pas les actes présumés de ces trois sénateurs. J'ai été très claire là-dessus. Néanmoins, ils ont droit à un processus juste et équitable. Au Canada, nous croyons au droit fondamental d'être présumé innocent jusqu'à preuve du contraire.
Le 25 octobre, j'ai pris la parole dans cette enceinte pour appuyer la motion du sénateur Cowan qui tendait à renvoyer toute cette question au Comité du Règlement. Je suis toujours d'avis que cette question devrait être renvoyée à ce comité ou à une autre entité.
(1640)
Ma plus grande préoccupation, à ce stade-ci, c'est que certains sénateurs qui sont avocats nous ont dit que la suspension de ces sénateurs pourrait nuire à l'enquête de la GRC et peut-être empêcher que des accusations criminelles soient portées plus tard. Il se pourrait que nous nous retrouvions dans une situation de « double incrimination » et que la GRC ne puisse pas porter d'accusations même si elle le voulait.
Avant de procéder aux suspensions, nous devons déterminer si c'est approprié. Un comité pourrait entendre l'avis de juristes à cet égard.
S'il y a lieu de porter des accusations, nous devons nous assurer que la façon d'agir du Sénat n'empêchera pas que cela se fasse. C'est la dernière chose que les Canadiens veulent. Je puis vous affirmer que la dernière chose que je veux, c'est empêcher que les accusations qui auraient pu être portées le soient, ou nuire de quelque façon à l'enquête.
Chaque jour apporte de nouveaux rebondissements, de nouvelles allégations et de nouvelles questions, mais les questions demeurent toujours sans réponse. Il nous faut un processus qui nous permette d'obtenir des réponses aux questions. Un comité, permanent ou non, le permettrait. Les trois sénateurs en cause auraient la possibilité de se défendre et d'avoir recours à des conseillers juridiques. D'autres témoins pourraient être appelés à comparaître pour que nous puissions faire la lumière sur toutes les questions soulevées. J'exhorte encore une fois les sénateurs à examiner la motion visant à renvoyer l'affaire à un comité sénatorial.
Encore une fois, le gouvernement conservateur a jugé bon de limiter le débat sur une question qu'il a lui-même soulevée au Sénat. Encore une fois, comme pour le projet de loi omnibus sur la criminalité et le projet de loi omnibus sur le budget, on empêche les sénateurs de débattre adéquatement de la motion dont nous sommes saisis. Je suis profondément déçue que le gouvernement impose encore une fois la clôture pour une question d'une telle gravité.
L'honorable Grant Mitchell : Chers collègues, je souhaite moi aussi me prononcer contre la motion de clôture et vous faire savoir que je m'y opposerai certainement. J'ai dit il y a quelque temps dans le présent débat que l'on peut, à mon avis, affirmer sans se tromper que tous les sénateurs veulent rétablir la réputation du Sénat et rehausser l'estime que les Canadiens ont pour nous, et cette estime est justifiée vu l'essence même du Sénat, sa riche histoire, sa longue tradition et les nombreuses réalisations qu'il a accomplies au cours de ses 146 ans d'existence. Les Canadiens nous regardent en ce moment même pendant que nous débattons de la nature et, d'une certaine façon, de l'âme et de l'essence du Sénat.
Je répète que je ne doute aucunement que tous les sénateurs ici présents veulent rétablir les choses, et le débat porte essentiellement sur la manière de s'y prendre. On pourrait, d'une part, punir ces trois sénateurs pour leur inconduite, sanction qui serait, d'une certaine façon, limitée et, de bien des façons, insignifiante.
D'autre part, il y a le respect des garanties procédurales habituelles. Prenons du recul un instant et essayons de comprendre ce qu'un Canadien qui regarde le débat depuis deux semaines pourrait penser de la question suivante : comment les sénateurs régleront-ils ce problème et rétabliront-ils leur réputation et celle du Sénat?
Gardez à l'esprit qu'ils ont été témoins d'un débat orchestré par les ministériels et des fiascos successifs de nature procédurale qui en ont résulté : on a essayé en vain de remplacer des motions d'initiative parlementaire distinctes par une motion d'initiative ministérielle, puis une seule et unique motion d'initiative ministérielle a été présentée plutôt qu'un amendement.
Pensez aux Canadiens qui nous regardent et qui se demandent comment le Sénat se comporte dans le cadre d'un processus aussi important que celui-ci. Les contraventions fondamentales aux règles et au processus ne cessent de se succéder.
Pensez ensuite au fait que pour les Canadiens, il était déjà clair que le Sénat cherchait à porter un jugement hâtif et que, conjuguée à cette réalité, la motion de clôture donne l'impression que le Sénat cherche encore à accélérer la prise de ce jugement hâtif. D'innombrables Canadiens nous ont fait savoir, notamment dans les lettres et les courriels qui ont été cités aujourd'hui, qu'ils s'intéressent moins aux détails des sanctions envisagées qu'aux enjeux plus vastes et plus nobles que sont l'application régulière de la loi et la primauté du droit ainsi que le respect des droits, de la Charte des droits et libertés et d'autres grands principes similaires. Il est, selon moi, très clair qu'en affirmant qu'il est indispensable d'agir tout de suite pour régler le problème et qu'il faut imposer une punition sans égard à l'application régulière de la loi, on fait preuve d'un manque de foi fondamental dans les Canadiens.
La sénatrice Callbeck a très bien décrit la situation. Les Canadiens comprennent qu'on a très peu à gagner en agissant avec précipitation, peu importe la colère que l'on ressente. Il semble que beaucoup de Canadiens partagent cette colère à l'égard de l'affaire en question, mais si nous imposons une punition à la hâte, nous ne ferons qu'exacerber le problème que nous cherchons à régler pour faire en sorte que les Canadiens retrouvent le respect qu'ils éprouvaient à l'égard du Sénat.
Les risques et les enjeux sont considérables. Demain, il y aura environ deux semaines que le gouvernement a présenté la première de ses nombreuses motions. Jusque-là, les Canadiens jugeaient uniquement le comportement de trois ou quatre sénateurs. Depuis lors, ils se sont mis à juger le comportement du Sénat dans son ensemble. Ce sont là deux questions fondamentalement distinctes et importantes, mais elles ne sont peut-être pas aussi importantes l'une que l'autre. Selon moi, elles n'ont pas la même importance. Nous serons jugés d'après la façon dont nous nous comportons en tant qu'institution. C'est la façon dont se comporte l'institution dans les efforts qu'elle déploie pour juger le comportement de trois ou quatre sénateurs qui laissera une marque dans l'esprit des gens et qui aura une réelle incidence sur la perception que les Canadiens auront du Sénat et de la façon dont il mène ses affaires.
Il importe de comprendre que cette motion révèle tout simplement que cette affaire est abordée, en quelque sorte, avec une certaine incompétence, et selon une procédure qui n'est pas encadrée par les principes philosophiques supérieurs que les Canadiens tiennent pour acquis.
Dans ce contexte, on se demandera également ce qui justifie un tel empressement. Il y aurait un autre moyen de procéder. Nous pouvons simplement renvoyer cette question au Comité du Règlement, comme le propose l'amendement présenté par mon leader, le sénateur Cowan. Ainsi, nous pourrions examiner cette affaire de façon prudente, en collaboration avec des personnes qui peuvent l'étudier en détail. Les trois sénateurs concernés auraient alors droit à une procédure équitable, ce qui veut dire qu'ils pourraient comparaître avec leur avocat, interroger ceux qui les accusent, et contre-interroger les vérificateurs afin d'aller au fond des choses. En outre, cela nous donnerait le temps d'attendre les résultats plus détaillés de l'enquête menée par la GRC.
J'ai été étonné par la déclaration que le ministre Kenney a faite en fin de semaine. Il a dit que Nigel Wright finira par donner sa version des faits. C'est peut-être que Nigel Wright pourrait fournir d'autres détails pertinents qui nous permettraient de considérer sous un autre angle les gestes posés par ces trois sénateurs.
Par exemple, selon le sénateur Duffy, le Cabinet du premier ministre lui a assuré qu'il ne faisait rien de mal, et la sénatrice Wallin a sûrement reçu la même garantie. L'avis de Nigel Wright est peut- être tout aussi crédible que l'avis contraire des vérificateurs.
(1650)
Il n'existe pas de réelle urgence. Le gouvernement n'était pas pressé d'agir il y a trois ou quatre mois, mais soudain tout devrait se faire sur-le-champ.
J'ajouterai, pour conclure, que les Canadiens ne sont pas dupes de ce qui se passe. Plusieurs m'ont dit que « ce n'est qu'une question de politique ».
En fait, le moment choisi peut éveiller certains soupçons. Pourquoi a-t-il fallu se lancer dans ce dossier deux semaines, ou une semaine et demie, avant que le premier ministre se retrouve devant ses partisans à Calgary? Qu'y avait-il de si urgent alors? Qu'y a-t-il de si urgent maintenant?
Nous nous dépêcherons de rendre un jugement. Cette hâte n'aura pas pour seul effet de nous faire juger trois sénateurs sans suivre de procédure solide. Nous serons nous-mêmes jugés par les Canadiens pour nos gestes inappropriés si nous ne procédons pas correctement.
L'honorable George Baker : Monsieur le Président, j'aimerais intervenir brièvement en réponse aux propos de la marraine de la motion concernant le caractère répétitif de l'argument. Je ne suis pas d'accord.
La sénatrice McCoy a présenté un argument d'une grande brillance. La sénatrice, ancienne ministre à l'Assemblée législative de l'Alberta et brillante avocate, a souligné que lorsque les barreaux et d'autres ordres professionnels ont à traiter des procédures disciplinaires semblables — c'est-à-dire quand un dossier comme ceux qui nous intéressent est soumis au tribunal disciplinaire de l'ordre — ils interrompent leur processus pour permettre aux forces policières de mener enquête.
J'aimerais citer la jurisprudence à ce sujet. L'affaire que je mentionnerai concerne un sénateur soupçonné d'avoir reçu 100 000 $; le chef d'accusation était porté contre le barreau ou le sénateur en vertu de l'article 121 du Code criminel, qui traite des fraudes envers le gouvernement.
Dans l'affaire Stromberg c. Law Society of Saskatchewan, 1996, 36 Admin. L.R. (2d) 18, la Cour supérieure de la Saskatchewan a indiqué dans sa décision :
Il n'est pas dans l'intérêt du public de permettre qu'un procès criminel soit compromis par une procédure disciplinaire qui peut seulement imposer des sanctions disciplinaires pour une conduite de nature criminelle.
Il n'est pas non plus dans l'intérêt du public ou des membres de sociétés professionnelles d'autoriser les tribunaux disciplinaires à déterminer si la conduite présumée criminelle d'un membre ou d'autres personnes est un fait établi. Cela priverait la ou lesdites personnes des droits fondamentaux et des procédures qui leur sont accordés en vertu du droit pénal.
Un peu plus loin, la décision dit :
Dans l'affaire Phillips [...] Cory J. fait remarquer que le procureur général de la Nouvelle-Écosse a reconnu franchement que si l'on autorisait la tenue de l'enquête publique, celle-ci risquait, pour des considérations relatives à la Charte, de compromettre ou d'entraver toute poursuite subséquente advenant la découverte d'un acte criminel. [...] Dans l'affaire dont je suis saisi, le barreau a adopté une position en quelque sorte similaire et a reconnu que si l'on autorise la tenue de la procédure disciplinaire en question, celle-ci risque de manière semblable de compromettre ou d'entraver tout éventuel procès criminel subséquent.
Toujours un peu plus loin, la décision dit :
Autrement dit, si l'objet et l'aspect dominant d'une procédure sont la discipline professionnelle, le manquement au devoir professionnel peut faire l'objet d'une enquête et d'une décision sans qu'il soit qualifié, directement ou indirectement, d'infraction criminelle. Toutefois, si l'inconduite professionnelle est qualifiée d' « indigne » parce qu'elle constitue un acte criminel n'ayant pas encore fait l'objet d'une décision par une instance judiciaire, l'objet et l'aspect dominant de la procédure seront probablement considérés comme étant un substitut d'enquête policière. Un tel cas relève de la compétence des autorités policières et des instances pénales.
Un peu plus loin encore on peut lire :
L'effet final, le point central et la caractéristique dominante de la procédure dans l'affaire dont je suis saisi, que ce soit intentionnel ou non, consistent à déterminer si les sénateurs Berntson, Cameco ou Stromberg ont commis, envers le gouvernement, des actes de nature frauduleuse qui sont interdits par l'article 121 du Code criminel. Ainsi, la procédure, essentiellement, se substitue à une enquête policière et n'est pas une procédure disciplinaire.
Cela est répété maintes et maintes fois dans la jurisprudence. C'est le droit canadien.
Donc, si ce n'est pas une procédure disciplinaire, comme la sénatrice McCoy l'a affirmé dans son allocution, qu'est-ce que c'est? Certains d'entre nous croient que cela devient ce qui est indiqué dans la Charte des droits et libertés à la rubrique « Affaires criminelles et pénales », et c'est alors un cas où la personne est jugée deux fois pour la même chose. Je cite :
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni.
Selon l'article 610 du Code criminel, lorsqu'un acte d'accusation impute sensiblement la même infraction, l'accusation ne doit pas être acceptée.
Maintenant, nous y avons déjà fait référence, et le sénateur Nolin a fait remarquer, à juste titre, ce que le juge McLachlin avait dit et je cite le jugement dans l'affaire Winters c. Legal Services Society [1999], 3 RCS 160, paragraphe 50 :
Le juge McLachlin, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a appliqué la décision que le juge Wilson a rendue dans l'affaire R. c. Wigglesworth...
que le sénateur Nolin a citée
... Dans cette affaire, il avait été décidé que pour que l'al. 11h) fasse obstacle à une procédure, celle-ci devait être criminelle, de par sa nature même, ou devait entraîner une peine comportant de véritables conséquences pénales.
Et, si vous consultez l'affaire Wigglesworth, que voyez-vous? Au paragraphe 24, la Cour suprême du Canada dit :
À mon avis, une véritable conséquence pénale qui entraînerait l'application de l'art. 11...
— le double péril —
... est l'emprisonnement ou une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l'intérieur [...]
Alors, est-il question ici d'une amende ou d'une sanction pécuniaire visant à réparer le tort causé à la société en général plutôt qu'à maintenir la discipline à l'intérieur de notre assemblée? Regardez ce que dit la motion, au début : « [...] pour préserver la confiance du public ». L'objectif est le même, alors on pourrait très bien arguer — comme a commencé à le faire la sénatrice McCoy dans son intervention et dans la motion qu'elle a proposée, mais qui n'a jamais été débattue — qu'en fait, selon la jurisprudence provenant de nos cours supérieures provinciales, il s'agit d'une procédure disciplinaire. C'est d'ailleurs ce que prétend le leader du gouvernement en donnant l'exemple des barreaux pour étayer ses dires. Or, les jugements des cours supérieures disent clairement qu'il ne s'agit pas d'une procédure disciplinaire. Que doit-on en conclure? Eh bien, s'il ne s'agit pas d'une procédure disciplinaire, il doit logiquement s'agir d'une procédure assujettie à l'alinéa 11h) de la Charte, ce qui veut dire que le principe du double péril s'applique. Honorables sénateurs, je suis convaincu que, si jamais des accusations criminelles sont portées contre ces sénateurs, leurs avocats vont s'empresser d'invoquer le double péril, et il y a de fortes chances qu'ils aient gain de cause.
Je vous remercie, honorables sénateurs.
L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, le débat auquel nous prenons part est difficile pour tout le monde. Ce n'est pas quelque chose que nous voulons faire. Nous voulons parler des affaires de l'État. Le leader adjoint du gouvernement au Sénat a fait remarquer à plusieurs reprises que nous n'avions débattu d'aucun projet de loi d'initiative ministérielle, ni même du discours du Trône. Il y a presque une semaine que traîne sur mon pupitre l'allocution que je veux faire en réponse au discours du Trône, mais le débat est sans cesse repoussé. Je suis plutôt fier de ce que j'y dis, et je crois que vous serez tous ravis de l'entendre. Les sénateurs de ce côté-ci de la salle, en tout cas, seront ravis de l'entendre; pour les autres, je n'en suis pas aussi certain.
Cependant, lorsque le premier ministre a pris la parole à Calgary, il a affirmé que nous empêchions l'adoption de la motion et que nous faisions de l'obstruction. Mais, vous savez, nous ne nuisons pas aux affaires du gouvernement, puisque vous n'avez pas annoncé la période réservée aux affaires du gouvernement. Nous passons à toute allure d'un article à l'autre du Feuilleton. Nous allons tellement vite que, si nous continuons ainsi, je vais souffrir d'un traumatisme cervical causé par la violence de l'accélération.
(1700)
Je le dis clairement depuis le début : je ne suis pas en train de me porter à la défense de nos trois collègues pour les gestes qu'ils auraient commis. Je défends leur droit à une procédure équitable. Je veux que tout le monde au pays soit protégé par le principe de l'équité de la procédure. Par conséquent, si des gens qui siègent aux plus hautes instances du pays, plus précisément au Sénat du Parlement du Canada, se voient refuser une procédure équitable, qu'arrivera-t-il lorsque ce sera le tour des pêcheurs que l'on rencontre sur le quai, à Lockeport, en Nouvelle-Écosse? Qu'en sera-t-il de l'agriculteur de la Saskatchewan? Du producteur laitier du Québec? Du travailleur de l'usine General Motors à Oshawa? Bénéficieront-ils d'une procédure équitable? Si les sénateurs ne sont pas protégés par le droit à une procédure équitable, pourquoi ces gens le seraient-ils? Pourquoi ne pourrions-nous pas décider de déroger à toutes les lois et de faire comme s'il n'était pas nécessaire de les appliquer?
Je ne suis pas avocat, et beaucoup de gens au pays s'en réjouissent, mais j'ai consacré beaucoup de temps au cours de ma vie à œuvrer avec une grande quantité de gens bons et dévoués partout au pays, pour essayer de résoudre certains problèmes de la société. Les gens qui m'ont écrit ou téléphoné m'ont tous dit que, si ces sénateurs sont coupables, ils doivent être punis sévèrement, mais qu'ils ne doivent pas être punis avant d'avoir eu droit à une procédure équitable. Ils ne doivent pas être punis sans avoir pu comparaître devant un tribunal judiciaire, le Comité du Règlement, un comité spécial ou une autre autorité. Ils doivent avoir la possibilité de présenter leurs arguments, d'affronter leur accusateur et de confronter leur version des faits à la sienne en faisant entendre des témoins et en contre- interrogeant ceux-ci. Ils devraient pouvoir compter sur la présence de leur avocat dans la salle, et celui-ci devrait avoir le droit de les conseiller et peut-être même de prendre la parole en leur nom. C'est fondamental.
Des personnes, que je connais depuis des années et qui ne sont pas mêlées à la politique, m'ont donné leur avis. Je ne connais pas leur orientation politique. Elles sont venues à ma rencontre dans les rues d'Halifax ou au magasin de Mount Uniacke, en Nouvelle-Écosse, et elles m'ont dit que nous devons procéder comme il se doit et assurer à ces sénateurs l'application régulière de la loi.
Je leur ai répondu que je n'ai d'autre choix que de voter contre la motion du gouvernement visant à punir ces sénateurs avant même de leur donner la possibilité de se défendre et de se faire entendre. Si ces trois sénateurs sont coupables, il faut les punir. Le processus juridique ou les peines recommandées par la GRC nous permettront peut-être de déterminer quelles sanctions il faut leur imposer. Nous obtiendrons toutes ces réponses.
En attendant, honorables sénateurs, nous avons une responsabilité à l'égard des gens des régions et des provinces que nous représentons. Notre rôle est de faire un second examen objectif et ce n'est pas en adoptant ces motions à la hâte que nous ferons un tel examen. Si nous adoptons ces motions à la hâte, nous imposons la peine avant même d'avoir tenu le procès.
Honorables sénateurs, je vous exhorte tous, des deux côtés de la Chambre, à voter contre cette motion du gouvernement.
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : L'honorable sénatrice Martin, avec l'appui de l'honorable sénatrice Marshall, propose :
Que, conformément à l'article 7-2 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations additionnelles soient attribuées à l'étude de la motion no 5 sous la rubrique « Affaires du gouvernement », portant sur les suspensions des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.
Et deux honorables sénateurs s'étant levés :
Son Honneur le Président : La sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura donc lieu à 18 h 5. C'est une sonnerie automatique d'une heure.
(1800)
La motion, mise aux voix, est adoptée.
POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS
Andreychuk | Marshall |
Ataullahjan | Martin |
Batters | McInnis |
Bellemare | McIntyre |
Beyak | Mockler |
Black | Neufeld |
Boisvenu | Ngo |
Braley | Nolin |
Buth | Ogilvie |
Carignan | Oh |
Comeau | Patterson |
Dagenais | Poirier |
Demers | Raine |
Doyle | Rivard |
Eaton | Runciman |
Enverga | Seidman |
Fortin-Duplessis | Seth |
Frum | Smith (Saurel) |
Gerstein | Stewart Olsen |
Greene | Tannas |
Housakos | Tkachuk |
Johnson | Unger |
Lang | Verner |
LeBreton | Wells |
Maltais | White—51 |
Manning |
CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS
Baker | Jaffer |
Callbeck | Kenny |
Campbell | Lovelace Nicholas |
Chaput | Massicotte |
Charette-Poulin | McCoy |
Cools | Mercer |
Cordy | Merchant |
Cowan | Mitchell |
Dallaire | Moore |
Dawson | Munson |
Days | Nancy Ruth |
Downe | Ringuette |
Dyck | Rivest |
Fraser | Robichaud |
Furey | Segal |
Hervieux-Payette | Tardif |
Hubley | Wallace—34 |
ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS
Plett | Wallin—3 |
Meredith |
(1810)
Motion tendant à suspendre l'honorable sénateur Patrick Brazeau, l'honorable sénateur Michael Duffy et l'honorable sénatrice Pamela Wallin et à maintenir leur couverture d'assurance-vie, santé et dentaire—Motion subsidiaire—Votes reportés
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Martin, appuyée par l'honorable sénatrice Marshall :
Que,
Nonobstant toute pratique habituelle ou toute disposition du Règlement, afin de protéger la dignité et la réputation du Sénat et de préserver la confiance du public envers le Parlement;
Nonobstant les dispositions de cette motion, le Sénat confirme que le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration conserve l'autorité, s'il le juge approprié, de poser tout geste relatif à la gestion des bureaux et du personnel des sénateurs visés par cette motion pendant la durée d'une suspension;
Que le Sénat ordonne :
A. La suspension de l'honorable sénateur Brazeau, pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce, jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
i) le sénateur Brazeau ne recevra aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance, pendant la durée de sa suspension;
ii) le droit du sénateur Brazeau d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de sa suspension;
iii) le sénateur Brazeau ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de sa suspension;
iv) nonobstant les paragraphes i), ii) et iii), pendant la durée de sa suspension, le sénateur Brazeau aura accès normal aux ressources du Sénat nécessaires pour continuer son accès aux bénéfices d'assurance vie, santé et dentaire;
Que le Sénat ordonne :
B. La suspension de l'honorable sénateur Duffy, pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce, jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
i) le sénateur Duffy ne recevra aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance, pendant la durée de sa suspension;
ii) le droit du sénateur Duffy d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de sa suspension;
iii) le sénateur Duffy ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de sa suspension;
iv) nonobstant les paragraphes i), ii) et iii), pendant la durée de sa suspension, le sénateur Duffy aura accès normal aux ressources du Sénat nécessaires pour continuer son accès aux bénéfices d'assurance vie, santé et dentaire;
Que le Sénat ordonne :
C. La suspension de l'honorable sénatrice Wallin, pour cause, considérant sa négligence grossière dans la gestion de ses ressources parlementaires, et ce, jusqu'à l'annulation de cet ordre conformément à l'article 5-5(i) du Règlement, selon les conditions suivantes :
i) la sénatrice Wallin ne recevra aucune rémunération ou remboursement de dépenses de la part du Sénat, incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance, pendant la durée de sa suspension;
ii) le droit de la sénatrice Wallin d'utiliser les ressources du Sénat, notamment les fonds, les biens, les services et les locaux, de même que les indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications, sera suspendu pour la durée de sa suspension;
iii) la sénatrice Wallin ne recevra aucun autre bénéfice du Sénat pendant la durée de sa suspension;
iv) nonobstant les paragraphes i), ii) et iii), pendant la durée de sa suspension, la sénatrice Wallin aura accès normal aux ressources du Sénat nécessaires pour continuer son accès aux bénéfices d'assurance vie, santé et dentaire;
Et sur la motion de l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser,
Que cette motion soit renvoyée à notre Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour étude et rapport;
Que les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin soient invités à comparaître; que les délibérations soient télévisées, compte tenu de l'intérêt public que suscite la question et conformément à l'article 14-7(2) du Règlement.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous aurons maintenant six heures de débat sur la motion principale. Les temps de parole ordinaires s'appliquent, mais il n'y aura ni amendements, ni ajournement ni autres motions, à l'exception d'une motion proposant qu'un sénateur désigné ait maintenant la parole.
Honorables sénateurs, je voudrais simplement vous demander s'il est entendu que nous ne tiendrons pas compte de l'heure.
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Débat. Le sénateur Carignan a la parole.
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je vous invite aujourd'hui à appuyer le plus fortement possible la motion de suspension des sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin que la sénatrice Martin a présentée en cette Chambre.
La décision de présenter cette motion a été difficile à prendre, tout comme il est difficile de voter en sa faveur pour certains d'entre vous, et je le comprends.
Cependant, les décisions les meilleures ne sont malheureusement pas toujours les plus faciles. Prendre ses responsabilités dans les moments difficiles demande du courage, certes, mais les Canadiens s'attendent aussi que l'on place leur intérêt supérieur en premier.
[Traduction]
Dans cette crise, nous devons faire passer les intérêts du Sénat par-dessus tous les autres. La crise exige de mettre de côté tous nos intérêts personnels et de faire passer en premier ceux des Canadiens laborieux qui paient leurs impôts et respectent les lois.
[Français]
Comment s'attendre d'un jeune délinquant récidiviste qu'il respecte la propriété d'autrui et qu'il ne s'approprie pas illégalement des sommes d'argent si des personnes, sénateurs privilégiés par la vie, votent des lois qu'ils ne respectent pas eux- mêmes?
La question est grave, car elle met en cause l'autorité légitime et morale de cette institution. Si les membres de cette Chambre posent des gestes répréhensibles, continuent à voter des lois relatives à la moralité et au crime, c'est non seulement la crédibilité de cette institution qui est en cause, mais le système parlementaire complet qui est atteint dans le nécessaire lien de confiance qui doit exister entre la population et ses institutions. La règle « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais » n'a jamais été garante de succès et de respect.
[Traduction]
La décision de suspendre signifie aussi mettre de côté tous les intérêts partisans. Malheureusement, ces derniers jours, certains de nos collègues d'en face ont opté pour l'esprit partisan plutôt que pour les intérêts supérieurs des Canadiens et de notre institution. Je leur demande de rétablir la priorité des intérêts des Canadiens et de mettre de côté l'esprit partisan. Nous ne pouvons pas demander aux Canadiens de respecter...
Le sénateur Campbell : Allez donc manger un gros steak!
Le sénateur Carignan : ... cette institution si nous ne la respectons pas nous-mêmes. Si nous nous servons des règles de procédure à des fins partisanes et essayons de profiter du fait que des sénateurs ont demandé le remboursement de dépenses injustifiées, nous devenons des complices, nous cherchons à exploiter des actes graves et répréhensibles et témoignons d'un manque de respect envers les Canadiens.
Certains sénateurs d'en face ont tenu un double langage ces derniers jours.
Le sénateur Cowan : Oui, Stephen Harper.
Le sénateur Carignan : Tout d'abord, un comité formé de représentants des deux côtés du Sénat a clairement établi que les trois sénateurs ont d'une façon évidente violé à maintes et maintes reprises les règles du Sénat relativement aux dépenses.
Le sénateur Campbell : Qui est le suivant sur la liste?
[Français]
Le sénateur Carignan : Avant d'arriver à ces conclusions, le Comité de la régie interne a également requis une vérification externe des dépenses des trois sénateurs pour une enquête indépendante. Ces vérificateurs ont procédé à une enquête exhaustive tout en prenant le temps de rencontrer les sénateurs ou de leur donner l'opportunité de réfuter les faits faisant l'objet du rapport. Les rapports de la firme externe Deloitte ont été remis préalablement aux trois sénateurs, étudiés par le Comité de la régie interne et complétés par la preuve recueillie par le comité qui incluait notamment le point de vue des trois sénateurs. Les rapports ont été renvoyés au Sénat et ont reçu l'approbation des membres des deux côtés de la Chambre, notamment les sénateurs Brazeau et Duffy. Tous les sénateurs en cette Chambre, conservateurs, libéraux, indépendants et mêmes ceux visés par les rapports, ont eu la chance de s'exprimer sur le sujet. Le Sénat et/ou le Comité de la régie interne, à la quasi-unanimité, ont reconnu qu'ils avaient violé les règles à un point tel qu'ils ont conclu que les comportements nécessitaient aussi la tenue d'une enquête de nature criminelle par les autorités compétentes.
[Traduction]
Au cours des derniers jours, honorables sénateurs, nous avons entendu des discours venant des sénateurs d'en face qui essayaient de défendre l'indéfendable. D'une part, ils reconnaissaient que certains sénateurs avaient commis des actes graves et répréhensibles.
Le sénateur Campbell : Vous pourriez être le suivant, sénateur!
Le sénateur Carignan : D'autre part, ils ont recouru à l'argument de la procédure équitable pour prolonger le débat, en dépit du fait que je crois fermement que le Sénat a respecté toutes les règles de l'équité.
Poussons ce raisonnement un peu plus loin. La doctrine de la procédure équitable se fonde sur l'absence de tout parti pris avant l'audition des différents points de vue. Comment alors peut-on, dans une même intervention, plaider pour le respect des garanties procédurales et dans la phrase suivante, condamner les actes répréhensibles et irresponsables des trois sénateurs?
(1820)
Ces deux déclarations — que certains sénateurs de l'opposition ont prononcées dans un seul et même discours — n'ont aucun sens. La seule logique à laquelle ils obéissent est celle d'une partisanerie grossière et dénigrante qui cherche à prolonger le débat, au détriment de l'intérêt des Canadiens.
Certains sénateurs de l'autre côté avaient promis qu'ils prolongeraient le débat aussi longtemps que possible, au moins jusqu'au congrès de notre parti, qui a eu lieu le week-end dernier.
Le sénateur Comeau : C'est honteux.
Le sénateur Carignan : Eh bien, mission partisane accomplie, chers amis, mais à quel prix? Au détriment de qui? Dans l'intérêt de qui? Les grands perdants, dans toutes ces manigances, ce sont les contribuables canadiens, qui paient nos salaires et celui de tous les employés de soutien qui travaillent durant ces débats prolongés.
Le sénateur Mercer : C'est vous qui avez présenté cette motion. Voyons donc!
Des voix : Oh, oh!
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, ceci est un débat très difficile pour tous les sénateurs. Je vous demande simplement de faire preuve de retenue lorsqu'un sénateur a la parole.
[Français]
Le sénateur Carignan : Cela s'est fait au détriment de l'honneur et de la dignité de cette institution, qui a vu prolonger dans les médias les grands titres d'allégations scandaleuses la visant. Cela s'est également fait au détriment même des trois sénateurs, qui ont vu leur comportement répréhensible être mis en lumière à répétition dans les médias.
Honorables sénateurs, ceux qui se reconnaissent dans cette partisanerie, cessez l'utilisation de ces tactiques. Pensez aux Canadiens en premier. Condamnez les gestes irresponsables. Plusieurs d'entre vous dirigez des entreprises. Plusieurs d'entre vous conseillez des entreprises. Vous n'auriez jamais attendu six mois pour congédier un employé ayant eu un tel comportement envers vous ou votre entreprise. Vous n'auriez jamais attendu la tenue d'une enquête criminelle de fraude avant de congédier l'un de vos employés.
[Traduction]
Si l'un de vos employés s'était emparé du dixième de l'argent dont il est question ici, vous l'auriez congédié sur-le-champ. Les sénateurs Duffy, Brazeau et Wallin sont soumis aux mêmes lois que tous les Canadiens.
[Français]
Je l'ai dit et je le répète, s'approprier illégalement de l'argent à la pointe d'un stylo n'est pas plus noble que de le faire à la pointe d'un couteau.
[Traduction]
Je vous invite à traiter les Canadiens avec le même respect que vous attendez vous-même et à cesser de recourir à des politiques partisanes de mauvais goût. En faisant durer le débat, nous nuisons à la réputation de notre institution.
Le sénateur Cowan : Et Harper?
[Français]
Le sénateur Carignan : Si vous la respectez comme il se doit, levez- vous alors en faveur de cette motion, levez-vous au nom des Canadiens pour condamner ces comportements grossiers et irresponsables, condamnez cette négligence grossière, cette incurie de nos trois collègues.
Aidez-nous à redonner du lustre et de l'honneur à cette institution.
[Traduction]
Au cours des quelques prochains mois, nous aurons à nous acquitter d'une mission très importante. Notre institution devra regagner la confiance des Canadiens. Elle devra démontrer qu'elle est utile et responsable. Nous devrons prouver que nous méritons la confiance placée en nous lors de notre nomination au Sénat, et que nous faisons tous partie d'une institution qui agit exclusivement dans l'intérêt des Canadiens.
À défaut d'un vote énergique en faveur de cette motion, en l'absence d'un message clair et net montrant que nous savons assumer nos responsabilités, cette mission, honorables sénateurs, sera impossible.
[Français]
Sans un vote puissant en faveur de cette motion, nous perdrons toute crédibilité. Sans la suspension des membres ayant commis des comportements indignes, les Canadiens nous jugeront très sévèrement. Ils risquent d'oublier la qualité exceptionnelle des sénateurs qui la composent, ils risquent d'oublier les grandes réalisations de cette institution dans l'histoire, ils risquent d'oublier que nous sommes des gens loyaux, honnêtes et intègres, ils risquent de requérir de plus en plus l'abolition de cette institution.
[Traduction]
En refusant d'assumer nos responsabilités, de faire passer les intérêts des Canadiens en premier, de condamner une conduite répréhensible, nous aurons nous-mêmes pris les premières mesures menant à l'abolition plutôt qu'à la réforme. Nous aurons nous- mêmes déclenché l'agonie plutôt que la modernisation. Nous aurons nous-mêmes perdu le respect des Canadiens.
[Français]
Honorables sénateurs, de mon enfance jusqu'au jour de ma nomination, je n'ai jamais, un jour, rêvé d'être nommé au Sénat, je n'ai jamais non plus rêvé d'avoir le privilège d'être nommé leader du gouvernement au Sénat, je n'ai non plus jamais rêvé de faire des discours faisant l'apologie de cette institution, mais en arrivant ici j'ai côtoyé des hommes et des femmes honnêtes, intelligents, de cultures et d'horizons divers, qui ont à cœur d'améliorer le bien-être des Canadiens. Nous en sommes tous d'accord, j'en suis convaincu.
Le problème, honorables sénateurs, si nous ne prenons pas nos responsabilités, il n'y a que les gens dans cette Chambre et quelques personnes très près de nous qui partageront cette opinion.
[Traduction]
Nous serons jugés coupables par association si nous refusons de condamner une conduite répréhensible et défendons l'indéfendable. Je vous exhorte, honorables sénateurs, à vous dissocier d'une telle conduite, à la condamner et à transmettre aux Canadiens un message clair indiquant que nous n'approuvons pas de tels actes et que la Chambre haute se compose de gens intègres, honnêtes et dignes. Nous avons un unique objectif : faire passer en premier les intérêts des Canadiens.
L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'espérais que le sénateur Carignan aborderait les grandes questions qui se posent au sujet de la motion dont nous sommes actuellement saisis.
Je comprends tout ce qu'il a dit d'autre. J'apprécie les sentiments énergiques qu'il éprouve, mais je veux quand même savoir pourquoi le sénateur Carignan et la sénatrice Martin ne pouvaient pas recourir aux règles de suspension du Sénat dans le cas de ces trois sénateurs.
Sénateur Carignan, j'aimerais avoir des explications, que vous n'avez pas encore données. Pourquoi croyez-vous qu'une seule motion devrait comporter une, deux, trois, quatre ou cinq dispositions de dérogation?
Pourquoi avez-vous trouvé les dispositions du Règlement du Sénat tellement déficientes que vous avez jugé bon de suspendre l'ensemble du Règlement? En particulier, pourquoi avez-vous écarté les règles de suspension du Sénat?
Sénateur Carignan, je voudrais avoir quelques vraies réponses. Votre déclaration pleine d'émotion est peut-être bonne et utile, mais comme je n'ai aucun esprit partisan, elle me laisse froide.
Je veux vraiment comprendre le motif juridique et constitutionnel dont vous vous prévalez dans cette motion qui ne se fonde sur aucune disposition du Règlement du Sénat ou de la Loi constitutionnelle. Je veux vraiment comprendre. Je pense que les gens qui réfléchissent, qui étudient, qui lisent et qui se soucient de l'application régulière de la loi méritent d'obtenir des réponses. J'aimerais entendre ces réponses.
(1830)
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vous remercie de votre question, sénatrice Cools. J'ai longuement traité dans mes différents discours au cours des derniers jours, voire au cours des dernières semaines, des différents éléments nous donnant le pouvoir de discipliner nos membres. Ce pouvoir a rarement été exercé. Si nous voulons regagner la confiance des Canadiens, nous nous devons de prendre nos responsabilités et de ne pas balayer la poussière sous le tapis.
Trop souvent, des décisions difficiles ont été repoussées ce qui a fait en sorte que, graduellement, les gens ont perdu un peu le contact avec notre institution. À l'autre endroit, les élections aux quatre ans permettent de sanctionner les comportements inappropriés pour beaucoup moins que cela avec des sanctions beaucoup plus sévères, et c'est à ce moment que le jugement ultime des électeurs se produit. Au Sénat, nous n'avons pas ce type de jugement et nous nous devons de prendre nos responsabilités et sanctionner les comportements inappropriés. J'ai traité en détail au cours des derniers jours des gestes qui ont été posés et je ne veux pas reprendre chacun des éléments, mais je tiens à signaler que si nous voulons garder le respect des Canadiens, nous devons les respecter et nous devons prendre les responsabilités qui s'imposent. Ce ne sont pas des décisions faciles à prendre, j'en conviens. Cependant, comme je l'ai dit, les décisions les plus faciles à prendre sont rarement les meilleures. Nous devons, après deux semaines et demie de débat, de discussion sur les sanctions les plus appropriées, prendre nos décisions et voter par respect pour les Canadiens. Par la suite, le Sénat fera ce qu'il fait de mieux, c'est-à-dire étudier des projets de loi et enquêter sur des sujets qui mèneront à l'établissement de politiques canadiennes afin que l'argent des Canadiens soit investi dans des activités productives plutôt que dans de l'extension de délais inutiles.
[Traduction]
La sénatrice Cools : Je remercie le sénateur de cette réponse, mais il n'a pas répondu à mes questions. J'ai fait des recherches à ce sujet, car je dois dire aux sénateurs que je ne pense pas que le rejet et l'abandon de toutes les règles du Sénat pour atteindre un objectif précis constitue une marque de respect à l'égard des Canadiens.
Je n'accepte pas une grande partie de ces arguments, sénateur Carignan. Vous pouvez faire beaucoup mieux que cela. Vous êtes une bonne personne et vous pouvez faire bien mieux. À certains égards, cela n'est pas digne de vous.
Je cherche à préserver les règles et les motifs de procédure auxquels vous vous êtes fié pour présenter cette motion. Je me permets de rappeler aux sénateurs que le mot « nonobstant » y figure une, deux, trois, quatre, cinq fois. Vous n'avez retenu quasiment aucune règle. J'ai lu toutes les parties de cette motion et les ai comparées à toutes les règles du Sénat. J'ai constaté que vos rédacteurs ont choisi des éléments ici et là, mais la première observation que vous avez formulée est que vous avez rejeté le Règlement du Sénat parce qu'il n'était pas assez sévère selon vous. Le résultat que vous, ou qui que ce soit d'autre, recherchiez ne pouvait être atteint dans le cadre du Règlement du Sénat, parce que celui-ci établit clairement la distinction entre des accusations et des conclusions. Votre motion est très sévère et elle enfreint le Règlement du Sénat ainsi que les droits humains fondamentaux et ordinaires des sénateurs concernés.
Sénateur Carignan, je n'apprécie pas que vous disiez que ceux qui sont en désaccord avec vous tolèrent les gestes répréhensibles. Je nie cela catégoriquement. Je n'ai jamais toléré aucun geste répréhensible ici, et je ne le ferai jamais, mais je condamne la violation de l'historique de notre institution, de sa loi constitutionnelle, de ses processus et de ses procédures
Je veux que vous nous disiez pourquoi aucune des procédures prévues dans le Règlement du Sénat n'a pu être utilisée. Vous les avez toutes rejetées. Je veux vraiment savoir pourquoi et je n'ai pas obtenu de réponse. Vous avez dit que nous en parlons depuis deux semaines et demie. Eh bien, je veux vraiment obtenir cette réponse. Merci.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai répondu à cette question le deuxième jour des débats, en dressant le pouvoir disciplinaire que le Sénat avait de par la Constitution, les privilèges et la tradition des privilèges transmise par la Chambre des communes du Parlement britannique en 1867 au moment de l'adoption de notre Constitution, en citant la Loi sur le Parlement, nos règles et particulièrement à l'article 15 qui dit que le Sénat peut ordonner une suspension lorsqu'il l'estime justifié.
Voyez-vous l'importance de commencer à penser qu'il est temps de prendre une décision et qu'il faut arrêter de faire des délais? Je suis, après deux semaines et demie, trois semaines de débat, à répondre aux mêmes questions auxquelles je répondais après le deuxième jour des débats sur ce sujet. Voilà le signal qu'il est temps pour nous de prendre une décision.
L'honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, je m'adresse à vous aujourd'hui pour vous exprimer ma profonde déception suite aux événements qui ont alimenté les débats en cette Chambre depuis deux semaines.
Lorsque j'ai été assermenté et que j'ai fait mes premiers pas dans la Chambre haute, j'ai été impressionné par le décorum et surtout par la qualité des membres de cette Chambre.
Suite aux gestes posés par trois de nos collègues qui ont fait preuve d'une inconduite flagrante, ma perception a relativement changé.
La question qu'il faut se poser aujourd'hui est : avons-nous raison de punir trois de nos collègues qui ont enfreint les règles de cette Chambre? Bien que la décision ne soit pas facile à prendre, plusieurs facteurs aggravants nous démontrent clairement que des gestes inappropriés ont été posés. Et c'est sans hésitation que je vous dirai que oui, ils doivent être punis, et sévèrement. Certaines vérités nous paraissent invraisemblables tout simplement parce que notre connaissance ne les atteint pas.
Je désire attirer votre attention sur cinq points précis qui doivent être mis en cause : le volet monétaire, la compréhension des règles, les dommages causés à notre institution, les possibilités pour eux de se faire entendre et l'attitude qu'ils ont eue vis-à-vis de l'institution et de la population.
Sans vouloir répéter les détails de chaque dossier, il m'apparaît évident que trois sénateurs sur 99 n'auraient pas compris le modus operandi du volet des dépenses. Pourquoi blâment-ils l'administration? Ils avaient l'opportunité de s'informer auprès de leurs collègues de travail, faire des vérifications plus approfondies. Quant à moi, il m'apparaît évident qu'il y a eu grossière négligence de leur part.
J'ai toujours pensé que notre fonction nous venait avec une part de responsabilité et, par le fait même, nous rendait imputables des gestes que nous posions. En ce qui touche les règles à suivre, je m'interroge sérieusement à savoir s'ils ont pris le temps de consulter le cahier de référence que l'on nous donne lorsque nous arrivons au Sénat.
Les dommages qu'ils ont causés à l'institution sont énormes, pour ne pas dire irréparables. Le Sénat n'a jamais été autant sous la loupe des médias et ce n'est sûrement pas pour les bonnes raisons.
Les trois sénateurs concernés ont eu amplement le temps de se faire entendre s'ils l'avaient voulu et les moyens leur ont été fournis. Que ce soit le Comité de la régie interne, la firme comptable Samson, Bélair, Deloitte et Touche. Et depuis deux semaines, ils pouvaient se faire entendre par cette Chambre. Qu'avons-nous entendu, sinon des discours empreints de vengeance au lieu d'entendre des explications qui auraient pu amener des éclaircissements, des renseignements relatifs à l'inconduite qui leur est reprochée?
(1840)
Les sénateurs Duffy, Wallin et Brazeau ont carrément manqué de respect envers l'institution, envers nous tous, et envers tous les Canadiens auxquels ils étaient redevables.
Notre leader a même tenté une politique de main tendue envers le sénateur Brazeau. Quelle fut la réaction de ce dernier sinon de désavouer le sénateur Carignan, quant à moi par un discours de piètre performance dont nous aurions pu nous passer?
Ils n'ont démontré aucun remords, aucun regret. Est-ce à cela que nous devons nous attendre de personnes à qui on a donné le titre d'« honorables »?
Ils vont vous dire qu'ils ont remboursé les sommes d'argent. Eh bien, quant à moi, je considère ce geste comme une admission de culpabilité.
Rien ne peut excuser leurs abus. D'ailleurs, ils le savent tellement qu'ils n'ont jamais tenté de s'excuser à chacune des occasions qu'ils ont eues de prendre la parole. Ils en ont plutôt profité pour discréditer notre Sénat et tous les sénateurs.
Vraiment, je ne peux comprendre que certains d'entre vous débattent encore dans cette Chambre pour leur accorder des privilèges dont ils seraient totalement privés par tout employeur qui se respecte.
Laissez-moi vous parler de la présomption d'innocence. Depuis deux semaines, j'entends parler de cette présomption d'innocence alors que les trois sénateurs ne font pas face à une accusation criminelle, mais plutôt à un geste de nature disciplinaire à l'interne.
Pendant près de 19 ans, j'ai été membre du conseil d'administration de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, au sein duquel j'ai occupé différentes fonctions, jusqu'au poste de président.
Conformément à notre rôle, à maintes reprises, nous avons assuré la défense de nos membres en vertu du Code de discipline, en vertu du Code de déontologie policière et en vertu du Code criminel. Un policier qui était accusé en vertu du Code criminel était suspendu avec salaire jusqu'à ce que la cour rende sa décision. En vertu du Code de discipline, il en était tout autre. L'employeur portait les accusations, il pouvait même suspendre un policier sans salaire jusqu'à ce que ce dernier, avec une preuve prépondérante, nous démontre qu'il avait agi dans le cadre de ses fonctions. Je peux vous dire que le dossier était beaucoup plus complexe et, souvent, le membre pouvait se retrouver sous le coup d'un congédiement immédiat. Durant la suspension, le membre pouvait conserver ses assurances, bénéfices et avantages sociaux. Par contre, c'est lui qui devait en assumer les coûts.
Ce que nous avons devant nous est une mesure disciplinaire que nous devons régler à l'interne. Je suis certain que mes collègues de l'autre côté de la Chambre comprennent très bien la situation, et loin de moi la pensée qu'ils pourraient faire de l'aveuglement volontaire. Cependant, je trouve particulièrement dommage le fait que ce débat va continuer d'alimenter ceux qui plaident pour l'abolition du Sénat. Nous devrions être tous unis dans l'actuelle situation pour démontrer aux Canadiens notre capacité à nous gouverner correctement et, du même coup, leur faire mieux comprendre l'utilité politique que la Constitution canadienne nous donne. Il serait temps qu'on passe aux vraies affaires de l'État pour lesquelles nous sommes ici.
Je vous invite à réfléchir sérieusement aux décisions que nous aurons à prendre. Quant à moi, je suis ici pour défendre l'institution et non des individus qui ont eu des comportements discutables.
Devraient-ils démissionner par respect pour l'institution et pour ceux qui veulent la servir? Se poser la question c'est y répondre. Quand le débat sur ces motions de suspension se terminera, j'aurai la conviction d'avoir agi pour le bien-être de notre institution, et je n'aurai pas honte de porter le titre d'« honorable » qui est associé à cette fonction de sénateur, fonction que je vais exercer dans le respect des Canadiens et des Canadiennes.
À tous ceux ici qui s'objectent, demandez-vous si vous pourrez en faire autant. C'est sans équivoque que je vous dis que nous devons continuer à resserrer les règles. Nous avons la responsabilité d'assurer le maintien d'une culture de reddition de comptes.
Le Sénat et nous tous en cette Chambre sommes les gardiens des droits des régions. Et pour jouer ce rôle, chacun d'entre nous doit avoir une conduite irréprochable. Les trois sénateurs visés par les motions dont nous débattons ont lamentablement failli dans leur conduite personnelle et ne méritent plus notre confiance ni celle de la population.
Je comprends donc mal les sénateurs qui refusent de prendre leur responsabilité pour que nous puissions les chasser et enfin retrouver la sérénité qu'il nous faut pour bien travailler.
En terminant, je vais vous laisser sur cette réflexion de Jean- Jacques Rousseau :
Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle; il faut être toujours décidé sur le parti que l'on doit prendre, le prendre hautement, et le suivre toujours.
C'est ce que j'ai l'intention de faire. Je vous remercie.
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Est-ce que l'honorable sénateur accepterait une question?
Le sénateur Dagenais : Certainement, sénateur Dallaire.
Le sénateur Dallaire : Je viens d'un milieu qui est semblable au vôtre et on pourrait certainement discuter de plusieurs cas où, par discipline, on a démis de ses fonctions une personne sans salaire. Ce n'est pas la norme, mais cela arrive.
J'aimerais savoir pourquoi avoir choisi cette punition au lieu de tout simplement congédier ces personnes.
La différence n'est pas très grande. J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi on désire les suspendre sans salaire, pour une période qui semble définie, et sans processus de retour, au lieu de tout simplement les congédier? D'après vous, quel critère a été utilisé dans ce contexte?
Le sénateur Dagenais : Si vous faites référence à mon ancien métier, je peux vous dire que plus souvent qu'autrement, pour des décisions de régie interne, les gens étaient congédiés unilatéralement. On avait des gens de 27, 28 ans qui se retrouvaient sans salaire. On les aidait à se trouver un autre emploi.
Ce qu'on fait ici, les gens sont suspendus sans salaire jusqu'à la fin de la session. Il faut comprendre que dans deux ans, ils vont pouvoir recevoir à nouveau leur salaire.
Les dossiers les plus difficiles que j'ai eus à défendre étaient tous des dossiers de nature disciplinaire à l'interne.
Je vais vous donner un exemple. On disait aux policiers de ne pas utiliser les ordinateurs du service à des fins personnelles. Malheureusement, pour des raisons inconnues, ils utilisaient quand même les ordinateurs à des fins personnelles. Ces dossiers étaient les plus difficiles à défendre. Je me suis retrouvé avec des gens qui avaient cinq, dix ans de service, qui étaient congédiés unilatéralement pour une décision uniquement disciplinaire. Il ne faut pas oublier que dans le cas qui nous concerne, la décision prise est pour une période déterminée.
Je ne suis pas gêné de vous dire que j'aurais été pour l'expulsion systématique. Évidemment, je trouve qu'une suspension pour une période déterminée était un moindre coût, et à ce moment-là, je suis très confortable avec cela.
Le sénateur Dallaire : Question complémentaire. Dans le contexte de procédure disciplinaire que vous venez d'évoquer, est-ce que vous pourriez nous faire une comparaison plausible entre votre rôle ou le rôle du syndicat dans la défense ou dans le suivi du dossier, et notre façon de faire ici?
Le sénateur Dagenais : Je vais faire mieux. J'ai eu des cas où des membres avaient soumis des allocations de dépenses injustifiées et ils ont été congédiés. Ils n'ont pas eu l'occasion de revenir. J'ai eu à congédier quelqu'un pour des allocations de dépenses négligées de façon grossière, comme on le dit ici.
(1850)
Je peux vous dire que c'était des dossiers indéfendables. J'ai écouté tout ce qui s'est dit depuis deux ou trois semaines; je comprends que le Sénat a une mesure de régie interne, il est souverain. Quant à moi, les mesures qu'on a prises ou dont on a débattu depuis deux semaines m'apparaissent raisonnables. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de m'exprimer. On fait allusion à mon ancienne carrière, mais j'ai eu à débattre de dossiers semblables, et c'était les dossiers qui étaient les plus difficiles. Je les qualifierai de « dossiers indéfendables ».
L'honorable Céline Hervieux-Payette : J'ai une question à vous poser étant donné que vous avez de l'expérience : vous arrivait-il de juger trois personnes qui avaient posé des actions différentes et d'en arriver à la conclusion que vous les mettiez à la porte tous les trois en même temps?
C'est un peu cela. Vous semblez croire que, de ce côté-ci, nous n'avons pas voté sur des rapports au mois de juin. Au mois de juin, on a donné des sanctions; la première sanction, c'était évidemment de demander le remboursement des dépenses aux sénateurs; la deuxième sanction était d'envoyer un dossier à la GRC. Je ne pense pas qu'on fait un cadeau à un sénateur quand on transmet son dossier à la GRC et que la personne fait l'objet d'une enquête.
Je vous pose la question : reveniez-vous trois, quatre ou cinq mois plus tard avec une deuxième sanction sur le même rapport et les mêmes sujets? Ce sont les questions qu'on se pose.
Une expression en anglais dit : One sentence fits all. C'est un peu difficile à avaler. Le sénateur Wallace en a bien parlé. Les rapports ont été faits, les punitions ont été données, et là on revient, plusieurs mois plus tard, pour répondre à la demande de votre chef. Vous n'avez pas l'impression qu'on avait déjà imposé une sanction à nos collègues?
Le sénateur Dagenais : Pour répondre à votre question, il y a trois volets. Premièrement, il y a le remboursement des dépenses. J'ai vécu des cas, dans mon autre carrière, où on a exigé le remboursement des dépenses. Mais déjà là, le fait de rembourser la dépense — et je l'ai mentionné —, c'est parce que vous saviez qu'elle n'était pas appropriée. Si vous étiez dans votre droit de réclamer une dépense, vous n'avez pas à la rembourser. Si vous la remboursez, c'est parce que vous comprenez qu'à ce moment-là elle était inappropriée.
Il faut faire la différence aussi entre le dossier disciplinaire et le dossier criminel. Ce que je voulais dire — et je me réfère à ce que j'ai vécu dans mon autre carrière; je n'ai pas le choix —, c'est que j'ai vu des policiers et des policières être accusés en discipline pour s'être servis du service d'information policière, le CRPQ. C'était en discipline. De plus, ces informations avaient été transmises à un groupe de motards criminalisés. Par la suite, ils étaient accusés au criminel. La première sanction était donc le congédiement sans solde par leur employeur, et la deuxième sanction était une accusation au criminel; ce qui était totalement différent.
C'est ce qu'on vit ici un peu, en parallèle; aujourd'hui, on fait face à une décision de nature disciplinaire à l'interne. Suite à l'enquête de la GRC, ce qui est totalement différent, ces gens pourraient avoir une autre sanction au criminel, et c'est ce que j'ai dit dans ma présentation.
Son Honneur le Président : À l'ordre. Le temps de l'honorable sénateur Dagenais est écoulé; l'honorable sénateur Dagenais désire- t-il demander à la Chambre cinq minutes supplémentaires?
Le sénateur Dagenais : S'il vous plaît, honorables sénateurs.
Des voix : D'accord.
La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais seulement préciser que le Sénat, en général, a voté au mois de juin, après la réception des rapports, sur le fait que ces gens devaient remettre de l'argent. Il y a même eu dans les rapports — que je ne peux pas citer par cœur — des endroits où Deloitte disait que les règles étaient floues. J'ai présumé — et là je vous dis ça parce que justement vous avez dit qu'on n'était pas au criminel — que ces gens avaient agi de bonne foi; et on peut se tromper sur les règles.
À mon avis, sénateur Dagenais, ce qui est important, c'est de voir à ce qu'on ne condamne pas des gens deux fois sur le même rapport et qu'on laisse le volet criminel à la GRC. S'il y a lieu, et s'il y a des preuves suffisantes, le procureur général portera plainte et il y aura un autre processus. À ce moment-là, nous aurons trois processus : le processus de juin, le processus de novembre et, finalement, celui de la GRC; toujours sur les mêmes actions.
C'est pour cela que je vous dis que je trouve cela compliqué. On doit expliquer cela aussi au public en général, à savoir qu'en général il y a eu un processus jugé au mois de juin; on arrête et la GRC fait son travail. C'est ce qu'on s'évertue à vous dire, qu'on ne croit pas que ces gens-là sont absolument non coupables, mais qu'il faut qu'ils puissent plaider leur cause devant nos tribunaux.
Le sénateur Dagenais : Sénatrice Hervieux-Payette, je vais vous répondre la même chose. Vous l'avez mentionné, la première chose, c'est qu'on a demandé à ces gens de rembourser. Mettons que cela m'était arrivé. On aurait dit : « Sénateur Dagenais, vous avez fait une dépense inappropriée. » Moi, je suis convaincu que c'était une dépense à laquelle j'avais droit; premièrement, je ne l'aurais pas remboursée.
Les gens ont décidé de rembourser, comme je l'ai mentionné, et c'est quasiment une preuve de culpabilité. La deuxième chose est qu'ils font face à une mesure de régie interne. Nous, on dit que, selon le volet de la régie interne, ces gens devraient être suspendus pour une période jusqu'à la fin de la session. C'est ce qu'on a dit. Ça, c'est la mesure de régie interne, mais cela n'a aucun rapport avec l'enquête de la GRC.
Je peux vous dire que lorsque la GRC va terminer son enquête, ou ils seront reconnus innocents ou ils seront reconnus coupables. S'ils sont reconnus coupables, ce sera une autre sanction. Alors si vous mentionnez « trois punitions », moi je vous dirais que c'est plutôt la suite des choses et une continuité dans le geste qu'ils ont posé. Un ne va pas sans l'autre.
L'honorable Pierre Claude Nolin : J'ai une question pour le sénateur Dagenais; reste-t-il encore du temps?
Son Honneur le Président : Oui.
Le sénateur Nolin : Sénateur Dagenais, vous avez entendu le sénateur Baker un peu plus tôt aujourd'hui parler d'une décision où les tribunaux ont décidé d'ordonner qu'une mesure disciplinaire soit suspendue jusqu'à ce que le processus criminel se déroule. Vous venez de faire référence à des expériences que vous avez vécues personnellement à titre de représentant d'un corps policier important. Est-il arrivé, dans l'exercice de vos fonctions, de voir une mesure disciplinaire précéder un processus criminel, et que le premier ne se soit pas suspendu parce que le deuxième allait être entrepris? Avez-vous vu cela?
Le sénateur Dagenais : C'est ce que j'ai voulu expliquer. Effectivement, je l'ai vu; et on n'a pas vécu le contraire.
Le sénateur Nolin : Vous n'avez pas vécu le contraire?
Le sénateur Dagenais : Non. Cela veut dire qu'un policier pouvait être accusé en discipline et au criminel, mais la mesure disciplinaire n'était pas suspendue parce qu'il était en attente d'une accusation criminelle; la mesure disciplinaire était maintenue. Et lorsque le policier était reconnu au criminel, évidemment, on devait revenir en arrière, mais je n'ai jamais vu une mesure disciplinaire être suspendue.
[Traduction]
L'honorable Grant Mitchell : Moi aussi, j'ai une question. Au cœur des arguments du sénateur Dagenais se trouve la prémisse selon laquelle ces trois sénateurs, en remboursant les sommes qu'ils ont reçues indûment, ont implicitement avoué leur culpabilité. Or, c'est faux, du moins dans le cas du sénateur Brazeau, puisqu'on lui saisit une partie de son salaire. Il ne rembourse donc rien du tout de son propre chef. Voilà qui porte un dur coup à l'argumentaire du sénateur Dagenais, à tout le moins dans un tiers des cas. Celui-ci ne conviendra-t-il donc pas qu'il y a bel et bien des différences — souvent considérables — entre ces trois cas, et qu'en voulant forcer le Sénat à se prononcer demain sur ces trois cas en même temps, c'est-à-dire en mettant tout le monde dans le même bateau et en infligeant la même sanction aux trois sénateurs, il se contredit lui- même?
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'attendais votre argumentation, sénateur Mitchell, parce que j'étais au courant du fait que, pour le sénateur Brazeau, on avait saisi son salaire. Je faisais allusion à nos deux autres collègues qui ont décidé de rembourser volontairement. Il reste que les trois cas ont démontré, quant à moi, des gestes inappropriés de façon répétitive. Je ne veux pas revenir sur le cas du sénateur Brazeau.
(1900)
Je suis dans la même situation que lui. Moi aussi, j'ai un appartement ici. Je reste à plus de 100 kilomètres de mon domicile.
J'ai très bien écouté le sénateur Brazeau qui disait, à un moment donné, je crois, que l'administration ne l'avait pas averti qu'il habitait peut-être 90 p. 100 de son temps à son logement. Je suis d'accord avec vous, il n'a pas volontairement remboursé les sommes d'argent.
Déjà là, si on faisait des arrêts sur ma paie, dans mon cas, je peux vous dire que je me serais pris un avocat et que je me serais débattu, passez-moi l'expression, comme un diable dans l'eau bénite. On n'a pas senti trop de réticences de sa part non plus.
Quand on remplit une allocation de dépenses, qu'on a droit à cette dépense, je vous le dis : si un jour on me disait « vous n'avez pas droit à cette dépense », il faudrait me le démontrer, et je ne rembourserais pas un sou; et si vous touchiez à mon salaire « je vais vous poursuivre ». Je n'ai pas senti le besoin d'une poursuite de la part du sénateur Brazeau.
L'honorable Marie-P. Charette-Poulin : Honorables collègues, comme on le sait, depuis plusieurs semaines, notre institution parlementaire occupe la une de la presse écrite, électronique et sociale. Tous les sénateurs ont reçu de nombreux messages passionnés de la part des Canadiens et des Canadiennes sans parler des appels au bureau et à la maison, des commentaires à chaque sortie.
J'aurais préféré, comme vous tous, que nous occupions la une pour des raisons plus constructives que celles que nous connaissons présentement, mais la controverse a donné lieu à un débat important dans cette Chambre. Plusieurs sénateurs ont participé au débat depuis le début des trois motions du sénateur Carignan, les trois motions suivies par le dépôt d'une motion du gouvernement par la leader adjointe du gouvernement au Sénat, la sénatrice Martin.
Plusieurs interventions sont fondées sur la Loi du Parlement, sur la Constitution du Canada, sur la Charte canadienne des droits et libertés, sur le Code criminel canadien. D'autres ont posé des questions importantes liées au risque que ces motions pourraient courir en interférant ou en étant perçues comme interférant dans des enquêtes entamées par la GRC depuis la fin juin 2013.
Je suis donc tout aussi mal à l'aise avec la motion du gouvernement qu'avec les trois autres motions. Si ces motions sont adoptées, le Sénat pourrait être accusé d'avoir imposé des punitions sévères à trois individus pendant un processus indépendant du Sénat, l'enquête de la GRC, causant une interférence ou une entrave.
Donc, les motions soulèvent plusieurs questions incluant celles-ci : ne sommes-nous pas considérés comme innocents avant d'être trouvés coupables dans tout processus administratif ou judiciaire? Les motions pourraient-elles avoir des conséquences imprévisibles? Les motions de suspension sans rémunération empêcheront-elles les individus d'avoir accès, si le besoin s'impose, à une défense légitime? Les motions de suspension sans rémunération, à ce moment-ci, vont-elles à l'encontre des règles actuelles du Sénat? Les motions de suspension sans rémunération vont-elles à l'encontre des pratiques actuelles dans les agences publiques et les entreprises privées au Canada?
[Traduction]
Honorables sénateurs, je m'inquiète des conséquences indésirables que la motion dont nous sommes saisis pourrait avoir si elle était adoptée. Je m'inquiète surtout de savoir que nous pourrions nuire aux enquêtes de la GRC, autant les deux qui ont été lancées à la demande du Sénat que celle que la GRC a entreprise d'elle-même.
Il ne fait aucun doute, à entendre débattre tous ces éminents juristes, spécialistes des politiques publiques et gens d'affaires, que personne ne peut être absolument certain des conséquences que cette motion aura sur d'éventuelles poursuites judiciaires. Comme d'autres l'ont dit avant moi, le risque que nous allions trop loin est bien réel.
Hélas, le débat d'aujourd'hui a lieu dans un contexte extrêmement néfaste. Nous en sommes au point où plus personne ne fait confiance à personne, pas même à soi. Et c'est dans ce contexte extrêmement néfaste que débute la vérification globale des dépenses de tous les sénateurs par l'un des mandataires du Parlement, le vérificateur général. Savons-nous au moins si les trois sénateurs qui risquent la suspension seront aussi visés par cet exercice? Si la réponse est « non », est-ce que ce sera parce que le vérificateur général ne veut pas nuire aux enquêtes de la GRC?
Honorables sénateurs, permettez-moi de prendre quelques instants pour faire comme d'autres l'ont fait avant moi et rappeler à tous ceux ici présents pourquoi nous sommes ici. Oui, prenons le temps de définir ce que nous avons en commun. Pour tous les parlementaires, sans exception, c'est un immense honneur que d'être invité à siéger au Sénat. Tous les sénateurs arrivent ici résolus à servir le Canada de bonne foi. Tous les sénateurs veulent faire profiter l'institution de leur expérience en enrichissant les débats. Et beaucoup sont nommés pour représenter une région, un groupe linguistique minoritaire ou un groupe culturel minoritaire donné.
Tous les sénateurs participent à l'étude des mesures législatives proposées et à l'élaboration de politiques publiques, certains en présentant des projets de loi d'initiative parlementaire et des préavis d'interpellations. De nombreux sénateurs se sont intéressés, en tant que parlementaires, à des questions qui préoccupent les Canadiens, notamment les enfants soldats, les anciens combattants, les jeunes entrepreneurs, la pauvreté, les enfants défavorisés, les maladies orphelines, la disparition de femmes autochtones, la protection des consommateurs et les frais d'intérêts dans le secteur financier, l'aide à la recherche et au développement, les arts, le commerce international, l'environnement dans le Nord du Canada, les relations bilatérales et multilatérales, les règles régissant le contenu canadien en matière de radiodiffusion ainsi que les sports amateurs et professionnels, pour n'en nommer que quelques-unes.
En gardant tout cela à l'esprit, je crois que nous devons nous demander ce que nous risquons si nous adoptons cette motion. À mon avis, nous risquons de perdre le respect, le respect que nous avons pour nous-mêmes et pour les autres sénateurs ainsi que le respect de tous les Canadiens. Nous risquons de compromettre les enquêtes de la GRC. Nous risquons de donner l'impression que nous sommes contre la primauté du droit en minant ainsi les principes démocratiques sur lesquels repose le Parlement.
Nous avons longuement débattu de la possibilité que ces motions interfèrent avec les enquêtes actuellement menées par la GRC et les poursuites criminelles éventuelles. Nous devrions respecter le rôle et les responsabilités qui incombent à la GRC, une institution canadienne publique importante. Il y a quelques semaines, nous, les sénateurs, avons accepté qu'un examen indépendant soit mené par la GRC. Nous ne pouvons plus faire marche arrière.
Honorables collègues, lorsque je suis devenu membre du Barreau de l'Ontario, j'ai prêté serment, et je prends ce serment très au sérieux. Je vais citer un extrait du serment du Barreau de l'Ontario pour vous permettre de comprendre ce que me dicte ma conscience en qui a trait à cette motion :
Je ne détournerai pas la loi pour favoriser ou défavoriser qui que ce soit, mais en toutes choses, j'agirai avec honnêteté, intégrité et politesse. Je chercherai à assurer l'accès à la justice et aux services juridiques. Je chercherai à améliorer l'administration de la justice. Je mettrai de l'avant la primauté du droit et veillerai à respecter les droits et libertés de tous. Je me soumettrai strictement aux normes de déontologie qui régissent ma profession. Je jure ou affirme solennellement que je traiterai toutes ces questions au mieux de ma connaissance et de ma compétence.
(1910)
Honorables collègues, lorsque j'entre dans cette enceinte, je ne peux pas laisser mon serment à la porte. Nous avons déjà enclenché un processus en renvoyant ces questions à la GRC qui, j'en suis persuadée, les examinera avec tout le sérieux qui s'impose. Je ne crois pas que nous devrions faire quoi que ce soit qui pourrait nuire aux enquêtes de la GRC ou être perçu comme tel.
Ce que nous pouvons et devrions faire, c'est d'adopter des mesures pour veiller à ce que notre auguste institution ne soit plus jamais plongée dans une situation semblable, afin que nous puissions regagner le respect de la population canadienne que nous servons. Nous devons veiller à ce que le Sénat dispose d'un processus d'enquête clair et d'un processus disciplinaire clair.
Comme l'a déclaré le Président dans sa décision la semaine dernière :
Le débat a attiré l'attention de la population canadienne. Il a fourni de l'information qui était jusque-là inconnue ou mal comprise, ce qui nous a aidés à mieux saisir le travail qui reste à accomplir pour améliorer nos opérations administratives internes.
Honorables sénateurs, profitons de l'occasion qui nous est offerte pour préserver l'intégrité et la dignité de notre institution et du processus parlementaire.
[Français]
Le sénateur Nolin : J'aimerais poser une question à madame la sénatrice Charette-Poulin. Je crois comprendre — le sénateur Baker y a fait référence un peu plus tôt aujourd'hui — que vous avez agi comme directrice des ressources humaines d'une importante société dans le passé. Ai-je raison de croire cela?
La sénatrice Charette-Poulin : Vous avez raison, j'ai été vice- présidente des ressources humaines et des relations industrielles.
Le sénateur Nolin : Dans le cadre de ces responsabilités, vous est-il arrivé d'appliquer des mesures disciplinaires contre des employés se trouvant sous votre responsabilité?
La sénatrice Charette-Poulin : Je vous remercie de poser la question, car j'espérais justement pouvoir y faire allusion.
Le sénateur Nolin : Donc, la réponse est oui.
La sénatrice Charette-Poulin : J'aimerais apporter une petite correction à votre question. Vous m'avez posé la question : avez- vous eu l'occasion d'apporter des mesures disciplinaires? La réponse est qu'il y avait un processus. J'ai vécu ce genre de situation, justement, dans une entreprise où plusieurs employés étaient, disons, des personnalités très publiques.
Selon ma mémoire, premièrement, le processus d'enquête était très rigoureux. Deuxièmement, dans le processus d'enquête, si l'entreprise pensait qu'il fallait confier un cas à la GRC — j'ai personnellement confié des dossiers à la GRC —, l'employé était suspendu avec salaire.
Le sénateur Nolin : Cette suspension avec salaire était-elle une obligation contractuelle découlant de la convention collective?
La sénatrice Charette-Poulin : Vous me posez une bonne question. Je ne m'en souviens pas. Nous avions 33 ententes collectives. Je ne sais pas si c'était dans l'entente collective. Je suis désolée, je ne peux pas répondre à cette question.
[Traduction]
L'honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, un peu plus tôt aujourd'hui, j'ai discuté avec l'un de nos collègues, et voici ce qu'il m'a dit à la toute fin de notre entretien : « Percy, la gestion de la situation au Sénat n'est pas une sinécure, mais nous devons faire ce qui s'impose. »
Honorables sénateurs, j'ai entendu plusieurs parlementaires citer d'anciens dirigeants dans des assemblées législatives provinciales ainsi qu'ici, au Sénat. Dans leurs discours, ils ont cité des personnages comme Winston Churchill, sir John A. Macdonald, Louis Saint-Laurent, Kennedy, Thatcher, Mitterrand — et j'en passe —, afin d'enrichir un débat comme celui que nous avons ici ce soir.
J'aimerais vous faire part de ce qu'un de mes très bons amis m'a dit la fin de semaine dernière sur ce que nous appelons le gouvernement. Je participe au présent débat en citant les paroles de mon ami :
L'exercice du pouvoir n'est pas pour les cœurs sensibles.
L'exercice du pouvoir a ses hauts... et ses bas.
Les grands dirigeants sont constamment mis à l'épreuve et ils doivent toujours prendre des décisions difficiles. Ces décisions sont difficiles à prendre parce qu'elles sont nécessaires.
Les grands dirigeants se fondent toujours sur des valeurs personnelles très solides pour guider leurs actions.
Nous savons tous que les vraies valeurs ne sont pas du genre à ne se pointer que le lundi matin.
Les vraies valeurs prennent racine lorsqu'on est très jeune et durent toute la vie.
Les valeurs se fondent sur la connaissance, simple et puissante, de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Honorables sénateurs, le Sénat est au cœur d'une désolante tempête. Le débat de ce soir me rappelle d'ailleurs deux principes importants auxquels nous sommes tous censés adhérer dès notre assermentation. D'abord et avant tout, nous avons accepté de siéger au Sénat pour représenter notre province ainsi que la diversité et les minorités de notre pays. C'est, depuis la Confédération, ce que nous sommes censés faire dans un esprit de collégialité, en nous respectant les uns les autres et en respectant aussi nos règles.
[Français]
Au moment de notre assermentation, chers sénateurs, nous nous sommes engagés à respecter cette institution, à faire preuve de transparence et à faire la différence entre le bien et le mal. Oui, la plupart d'entre nous le font sur une base quotidienne.
[Traduction]
J'estime que la question qui nous occupe ce soir ne devrait pas être assujettie aux considérations partisanes, mais plutôt régie par les principes que nous, sénateurs, respectons dans notre vie, à titre personnel et à titre de membre d'une collectivité. Nous sommes nommés au Sénat pour servir les Canadiens avec honnêteté et au mieux de nos capacités, en nous conformant en tous points au Règlement.
[Français]
Malheureusement, certains de nos collègues ont fait preuve d'un important écart de conduite et se sont éloignés des principes qui doivent guider notre comportement.
[Traduction]
Hélas, certains de nos collègues se sont éloignés de ces principes et ont enfreint les règles.
[Français]
Il est donc de notre devoir de nous autodiscipliner et de réprimander nos collègues qui ne respectent pas nos règlements. Trois options nous ont été présentées par le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Carignan : le statu quo, la suspension et le renvoi pur et simple. La proposition du leader du gouvernement au Sénat est de suspendre nos collègues. D'ailleurs, selon moi, il s'agit d'une position mitoyenne entre le statu quo et le renvoi.
(1920)
[Traduction]
Honorables sénateurs, j'ai écouté des Canadiens de tous les horizons, et il ne fait aucun doute pour moi que vous avez fait de même. Qu'il s'agisse de vaillants travailleurs des secteurs de l'agriculture et de la foresterie, de Canadiens ordinaires, de syndiqués, de gens d'affaires, de parlementaires ou d'anciens parlementaires tant au provincial qu'au fédéral, tous croient — et je suis parvenu à la même conclusion — qu'il nous incombe, en tant que sénateurs, de veiller au respect de nos règles et de suspendre nos collègues en raison de leurs agissements. Honorables sénateurs, les Canadiens n'en attendent pas moins de nous.
[Français]
Néanmoins et vraisemblablement, la police et notre système judiciaire ont la responsabilité de faire respecter les lois du Canada et de nos provinces. Nous avons l'autorité légale et morale de discipliner nos membres. Cette motion n'affecte en rien le processus judiciaire qui suivra son cours.
[Traduction]
Honorables sénateurs, notre position traduit l'engagement que nous avons pris, lorsque nous avons prêté serment dans cette remarquable et auguste enceinte, de respecter les mêmes normes que tous les Canadiens. Les Canadiens veulent que nous respections nos institutions, que nous fassions preuve de transparence et que nous puissions distinguer le bien du mal.
[Français]
Nous devrons nous auto-discipliner parfois. Ce faisant, nous aurons franchi un pas important vers la modernisation et la réforme de notre institution. Les Canadiens et Canadiennes n'accepteront pas l'inaction de notre part. Dans ce dossier, ils s'attendent à ce que nous imposions une suspension disciplinaire aux sénateurs fautifs.
[Traduction]
Honorables sénateurs, les Canadiens sont ébranlés par les événements qui ont donné lieu à cette motion et à ce débat. Ils s'attendent à ce que nous réparions les pots cassés et à ce que nous réformions et modernisions notre institution en conséquence. N'oublions pas que le premier ministre en poste, M. Harper, est le seul premier ministre de l'histoire du pays à avoir appuyé ouvertement la réforme du Sénat et à avoir pris des mesures énergiques et démocratiques pour que celle-ci devienne réalité.
Honorables sénateurs, le premier ministre de notre remarquable pays a lancé un défi aux parlementaires. Il a poussé les sénateurs, les gardiens de notre auguste enceinte, à trouver une façon de se renouveler afin de moderniser et de réformer notre grande institution.
Honorables sénateurs, je ne peux parler qu'en mon propre nom, mais je tiens à vous exposer ma vision des choses. Personnellement, j'ai accepté ce défi, et j'implore tous les sénateurs de faire comme moi : relevons le défi qui nous est lancé, rétablissons la crédibilité et l'intégrité du Sénat et redonnons-lui sa pertinence, car je suis convaincu que notre institution est essentielle à la saine gouvernance du Canada, qu'elle peut être utile pour le pays — qu'elle l'a déjà été et qu'elle l'est encore aujourd'hui — et qu'il ne tient qu'à nous de faire preuve désormais de leadership, pourvu que nous continuions de participer au débat en prenant soin de parler au nom des gens que nous représentons.
[Français]
Comme vous le savez, notre système politique est composé de trois pouvoirs : le pouvoir judiciaire, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Je crois fermement que les Canadiens et les Canadiennes font confiance à notre système judiciaire. Ils croient en notre système judiciaire. Je crois aussi en notre système judiciaire. En imposant une suspension à nos trois collègues, nous n'empêchons pas le système judiciaire de continuer son travail. Nous avons le pouvoir et l'autorité morale d'agir pour discipliner nos collègues fautifs. L'un n'empêche pas l'autre dans le système judiciaire.
[Traduction]
Comme nous le savons tous, notre régime politique est composé de trois pouvoirs distincts : le judiciaire, l'exécutif et le législatif. Je suis fermement convaincu que la plupart des Canadiens font aussi confiance au système judiciaire du pays que moi — et que tous les sénateurs, je n'en doute pas un seul instant. Eh bien, il se trouve qu'en adoptant la motion dont nous sommes saisis, nous n'empêcherons d'aucune façon le système judiciaire de faire son travail.
Le sénateur Segal : Qu'en savez-vous?
Le sénateur Mockler : Nous avons le pouvoir et l'autorité morale, cher monsieur, pour prendre des mesures disciplinaires contre les membres de notre assemblée. Il s'agit de deux choses bien distinctes, qui se complémentent tout à fait.
Honorables sénateurs, il s'est dit beaucoup de choses, l'émotivité est à son comble, et je comprends...
Une voix : Ce n'est pas encore terminé!
Le sénateur Mockler : C'est ce qu'on appelle la démocratie, cher monsieur.
Je dois cependant vous dire toute la douleur et la déception qui m'habitent depuis quelques mois. En 30 ans de vie politique, j'ai vu bien des hauts et bien des bas, mais je dois admettre que l'affaire qui nous occupe figure parmi les plus éprouvantes de ma carrière. Épuisante sur le plan émotif pour bon nombre d'entre-nous, elle m'a même poussé à me demander : « Oui, mais pourquoi? Pourquoi agissons-nous ainsi? »
Et moi aussi, en réfléchissant à tout ce qui s'est dit sur le respect des garanties procédurales et de la démocratie, je me suis pris à songer à ma famille. Je me suis rappelé l'endroit où j'ai grandi — la plupart des gens ici savent d'ailleurs où j'ai grandi. J'ai aussi pensé à tous ces gens que j'ai eu le privilège de servir et qui m'ont élu six fois d'affilée. Je sais ce qu'ils se disent aujourd'hui, et je sais que c'est à nous de défendre l'intégrité de l'institution que nous appelons le Sénat du Canada.
Quand je songe à toutes les conséquences de la motion à l'étude, un ressentiment indescriptible me submerge. Honorables sénateurs, je dois dire que je suis profondément indigné et je suis attristé au- delà de tout ce que je peux dire par cette situation dans laquelle nous ont placés des gens que je respectais et à qui je faisais confiance. Toutefois, je me laisserai guider par ma conscience et la noblesse...
[Français]
Comme on le dit chez nous, noblesse oblige.
[Traduction]
Et ce que me dicte ma conscience, honorables sénateurs, est clair. Je vais appuyer la motion de mon leader.
[Français]
Oui, je vais voter en faveur de la motion de mon leader, le sénateur Carignan.
[Traduction]
Le sénateur Comeau : Excellente intervention.
L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion d'ensemble dont nous sommes saisis et qui propose d'imposer des sanctions à trois sénateurs.
En somme, cette mesure ministérielle regroupe en une seule motion les mêmes éléments que les trois motions non ministérielles proposées antérieurement par le sénateur Carignan. Bien que la motion ne change rien aux sanctions proposées, elle témoigne d'une certaine compassion, puisqu'elle permet aux trois sénateurs, s'ils sont suspendus, de continuer à bénéficier des assurances pour les soins de santé et les soins dentaires ainsi que de l'assurance-vie.
Cela dit, cette nouvelle motion du gouvernement ne change rien au fait qu'on nous demande de juger sans que soient respectés les principes de l'application régulière de la loi. Elle ne change rien au fait que les trois sénateurs n'auront pas le droit à une audition équitable, le droit à un avocat, le droit de contre-interrogatoire. Elle ne change rien au fait qu'il n'y a pas là une démarche équitable qui assure que les sanctions appliquées sont justes et conviennent à la situation. Elle ne change rien non plus au fait que nous attendons toujours les résultats des enquêtes de la GRC.
Honorables sénateurs, nous devons défendre les principes fondamentaux de l'équité et de la justice tout autant que la dignité et la réputation du Sénat.
(1930)
Non seulement cette motion du gouvernement ne règle pas le problème, mais, dans une certaine mesure, elle est encore plus problématique sur le plan de l'équité procédurale que les trois motions présentées séparément par le sénateur Carignan. Nous sommes saisis de trois cas différents. Comment pouvons-nous prétendre que nous traitons équitablement chacun de ces cas, sur leur bien-fondé respectif, si nous devons voter sur une motion qui englobe tout et qui n'établit aucune distinction entre les faits et les circonstances propres à chaque cas? Comment pouvons-nous prétendre agir à titre de gardiens des lois dans notre pays si nous ne pouvons veiller au respect de la primauté du droit et du respect des règles avant d'imposer des sanctions à quelques-uns des nôtres? Si le Sénat décide de faire fi du droit de citoyens canadiens aux garanties procédurales, quel message envoie-t-il aux citoyens canadiens?
Les Canadiens savent qu'il est nécessaire de respecter les garanties procédurales. J'ai reçu de nombreux courriels à ce sujet de la part de concitoyens, et j'aimerais en lire un qui renforce cet argument :
La justice canadienne repose sur un principe fondamental : la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire.
Il ne fait aucun doute que les comptes de dépenses des trois sénateurs en cause présentent des irrégularités, mais il y a beaucoup trop d'autres questions soulevées par les audiences du comité et autres formes d'ingérence politique pour justifier une expulsion immédiate sans égard aux garanties procédurales et à une enquête approfondie.
Vous devez limiter les sanctions ou les suspensions jusqu'à ce que vous ayez la certitude de la culpabilité de ces sénateurs, qui semblent coupables à divers degrés. Il est tout à fait inéquitable et réactionnaire d'appliquer la même sanction à tous.
Honorables sénateurs, ce n'est pas la façon de faire au Canada. Cela va à l'encontre des valeurs et des principes fondamentaux qui sont chers aux Canadiens. Tous ces sénateurs ont le droit de se faire entendre individuellement et conformément aux règles fondamentales d'équité procédurale.
[Français]
Honorables sénateurs, étant donné la sévérité et les incidences des sanctions proposées, il n'est pas raisonnable de prendre une décision sur cette question sans obtenir toute l'information pertinente pour en arriver à une décision réfléchie.
La GRC fait enquête en ce moment sur des allégations de conduite criminelle. À mon avis, honorables sénateurs, il serait prudent d'attendre le résultat de ces enquêtes afin d'éviter de compromettre le travail des autorités policières en imposant des sanctions. J'insiste sur des principes qui nous sont chers et qui sont à la base de nos institutions et de nos valeurs démocratiques et juridiques, soit la primauté du droit, la présomption d'innocence et le respect des garanties procédurales, car les actes que nous poserons aujourd'hui auront des conséquences importantes sur trois individus et sur la réputation et la dignité de cette Chambre. J'insiste également sur ces principes parce que la légitimité de toute notre Chambre découle non seulement de la variété des intérêts qu'elle représente, mais aussi de l'équité et de la transparence de nos actions législatives.
Lorsqu'il y a des abus, nous avons le pouvoir et la responsabilité de prendre des mesures correctives disciplinaires, mais il est aussi de notre responsabilité que l'on s'assure que ces mesures soient fondées sur des faits qui ont été déterminés et examinés dans un cadre respectant les droits relatifs aux principes de justice et d'équité.
Il est question de déterminer quelle approche nous permettra d'exposer tous les faits pertinents dans le cadre d'une procédure qui respecte la primauté du droit, la présomption d'innocence et le respect des garanties procédurales. Ces principes et la transparence qu'ils exigent permettent d'empêcher tout abus de pouvoir. Sinon, à quoi sert-il d'avoir des principes fondamentaux si dès que des enjeux sensibles se présentent nous choisissons de ne pas les appliquer?
Cet empressement à vouloir disposer de la motion tendant à la suspension de trois sénateurs se conforme-t-il à ces principes? Reflète-t-il vraiment la volonté de préserver la dignité et la réputation du Sénat? Ou de faire respecter les normes et les principes éthiques les plus élevés? Ou bien est-il question de régler ces dossiers à toute vapeur afin d'étouffer une affaire gênante pour le gouvernement?
[Traduction]
Honorables sénateurs, les Canadiens souhaitent ardemment que la justice suive son cours, que la primauté du droit s'applique et que nous respections les principes fondamentaux de la justice. Je veux donner une voix aux nombreux Canadiens qui sont inquiets, qui cherchent des réponses et qui ont pris le temps d'exprimer leurs opinions sur cette question. Ces citoyens ont le droit d'être entendus, et nous avons l'obligation de les écouter. J'aimerais citer d'autres courriels que j'ai reçus.
Au Canada, une personne est présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. Je crains que, si le Sénat ne respecte pas cette présomption, cela créera un précédent non seulement pour tous les sénateurs, peu importe leurs transgressions, mais aussi pour tous les Canadiens, qui seraient reconnus coupables jusqu'à preuve du contraire.
Le fait que l'on tente d'accélérer la tenue du vote au Sénat m'inquiète. Le Sénat devrait agir comme la Chambre de second examen objectif et soumettre cette question à un examen attentif et honnête comme il se doit.
Les sénateurs doivent voter contre ce congédiement sans solde et voter plutôt pour une audience ouverte, conformément à l'article 15-4(5) du Règlement. Il est entendu que le Sénat confirme le droit du sénateur accusé d'une infraction criminelle d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable.
Une autre personne écrit ce qui suit :
Je vous écris pour vous faire part de mes préoccupations en ce qui concerne la tentative du gouvernement de suspendre trois sénateurs qui n'ont pas encore été accusés ou reconnus coupables d'une infraction. Je n'exprime pas mon appui pour les comportements douteux qu'ont pu avoir ces sénateurs, mais il semble que le gouvernement tente de se débarrasser d'un problème sans tenir compte du fait qu'une personne doit être présumée innocente jusqu'à preuve du contraire, et cela me trouble.
Dans cette triste affaire, je crois que bien des questions demeurent sans réponse, et je trouve qu'un grand nombre de principes établis sont discutables.
J'ai déjà appuyé le gouvernement en place, mais je ne suis pas convaincu que ces gestes reflètent mes valeurs.
Enfin, dans un autre courriel, un citoyen dit ceci :
J'ai suivi attentivement le « scandale » qui a frappé la Chambre haute, et je dois admettre ma consternation envers la proposition actuelle qui vise à suspendre les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin sans suivre une procédure équitable. Bien que je ne n'approuve pas du tout les infractions présumées, je suis encore plus préoccupé par l'idée qu'on puisse déclarer ces personnes coupables, à la demande du premier ministre, en se fondant seulement sur des motifs raisonnables. J'estime que vous avez l'obligation morale, sinon juridique, de vous prémunir contre les tentatives flagrantes d'ingérence politique, et d'adopter l'approche judicieuse du second examen objectif. Plus encore, vous avez le devoir de maintenir et de protéger le principe de justice le plus fondamental : la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire.
[Français]
J'ai lu ces quelques extraits de courriels que j'ai reçus et j'en ai reçu plusieurs autres similaires. Afin de souligner que de nombreux Canadiens, tout comme plusieurs sénateurs, jugent qu'il reste beaucoup trop de questions sans réponse pour être en mesure de décider si les mesures disciplinaires à l'étude sont justifiées, il n'y a pas si longtemps, le gouvernement nous disait qu'étant donné que les réclamations problématiques avaient été remboursées par certains des sénateurs, il n'y avait plus rien de répréhensible à sanctionner et que le dossier était réglé, il fallait passer à autre chose. Il nous disait que l'un des sénateurs en question faisait même preuve de leadership et que le premier ministre lui-même avait examiné les dépenses d'un autre sénateur et qu'il n'y voyait aucun problème.
Après avoir modifié son message à maintes reprises, après avoir cherché à diriger l'attention sur d'autres questions pour réduire cette affaire au silence, après plusieurs changements de stratégies apparentes, différentes versions des faits et maintes rumeurs, le gouvernement tente aujourd'hui de nous dire qu'il prend finalement acte du bourbier dans lequel il s'est enlisé en introduisant sa propre motion.
Comme je l'ai affirmé plus tôt, si le gouvernement veut sérieusement régler ce dossier dans un délai raisonnable et d'une façon équitable, l'amendement proposé par le sénateur Cowan ouvre une voie à suivre qui me semble très sensée.
(1940)
Honorables sénateurs, nous devons nous assurer que nous respectons, en tout temps, ces principes fondamentaux de justice et d'équité.
Le sénateur Nolin : Honorables sénateurs, j'ai déjà pris la parole plusieurs fois dans ce débat. Je n'ai pas l'intention de tout répéter. Je me résumerai, étant donné le court laps de temps dont je dispose. Je ne prétends pas que votre indulgence me permettait d'étendre plus longuement mon droit de parole.
Trois questions sont au cœur de notre débat. Enfin, nous en sommes au point culminant de cette longue saga et devons examiner la motion principale. Trois questions, d'après moi, doivent diriger notre réflexion.
Premièrement, le Sénat a-t-il le pouvoir de suspendre un sénateur? Deuxièmement, pourquoi le Sénat doit-il agir? Troisièmement, pourquoi le Sénat doit-il agir immédiatement?
La réponse à la première question, Son Honneur le Président nous l'a donnée la semaine dernière. Il a, avec beaucoup d'expertise, énuméré les racines constitutionnelles et statutaires du pouvoir de cette Chambre. Il en conclut, à la page 4 de sa décision, de ce qui suit :
L'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada confère donc au Sénat ce même pouvoir de suspendre un membre. Ce pouvoir est tout à fait indépendant et distinct des mesures pénales prises par les autorités compétentes.
Cette citation de la décision du Président est fort importante. Je résume l'ampleur et l'envergure de ce privilège que nous avons. Le Sénat et les sénateurs bénéficient de certains droits et immunités constitutionnels désignés collectivement comme étant le privilège parlementaire. Tout comme au Parlement du Royaume-Uni, depuis plusieurs siècles, les privilèges dont bénéficient, entre autres, le Sénat et les sénateurs continuent aujourd'hui de jouer un rôle vital dans la bonne marche du Parlement. Les droits protégés par le privilège sont ceux qui sont nécessaires aux sénateurs pour exercer leurs fonctions parlementaires. Ils en bénéficient à titre individuel, car le Sénat ne peut accomplir son travail sans leur contribution. Par ailleurs, le Sénat en bénéficie collectivement afin de pouvoir protéger ses sénateurs de même que sa propre autorité et dignité.
Les deux principaux pouvoirs ou privilèges collectifs du Sénat sont son pouvoir disciplinaire et son droit exclusif de réglementer ses affaires internes. Le Sénat peut prendre des sanctions contre quiconque, sénateur, membre du personnel ou étranger, qui se rend coupable à ses yeux d'une violation de ses privilèges. Les pouvoirs disciplinaires du Sénat se rattachent au contrôle exercé par le Parlement sur ses propres affaires.
Un peu plus tôt aujourd'hui, la sénatrice Cools a eu, après avoir cité des auteurs importants, la phrase suivante : « les pouvoirs du Sénat sont exclusifs et ils sont absolus ».
Ils sont exclusifs et ils sont absolus.
J'aurais voulu trouver cette référence que je n'aurais pas pu le faire. Elle nous l'a offerte, et je l'en remercie.
Ces pouvoirs, honorables sénateurs, doivent et ne peuvent s'exercer qu'à l'extérieur du contrôle judiciaire; et ce, malgré et avec toute la déférence possible envers l'opinion de notre collègue l'honorable sénateur Baker.
La deuxième question est de savoir pourquoi le Sénat doit agir. Je ne reprendrai pas l'énumération des pouvoirs accordés au Sénat en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada, et principalement au Comité de la régie interne, parce que cela occuperait à peu près 10 des 12 minutes qu'il me reste. Je vais donc résumer ces pouvoirs.
Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a l'entière responsabilité des questions financières et administratives du Sénat. Il jouit de la capacité juridique d'une personne physique. Il peut, par règlement, régir l'utilisation par les sénateurs des biens et services mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parlementaires. Il prévoit les conditions applicables aux sénateurs de gestion et de comptabilisation des fonds du Sénat. Il prend toute autre mesure utile à l'exercice de ces pouvoirs et fonctions. Enfin, ce comité a compétence exclusive pour statuer du respect des règlements.
Dans l'exercice de ces pouvoirs et fonctions, le comité est placé sous l'autorité du Sénat et est assujetti à nos règles. Le Sénat exerce ainsi son privilège parlementaire de régir exclusivement ses affaires. Dans l'exercice exclusif de son privilège parlementaire, le Sénat a le pouvoir de discipliner ses membres. S'agissant de mesures disciplinaires et non de mesures pénales ou criminelles, le Sénat considère les faits. Quand je parle du Sénat, je parle de la succession, soit du Comité de la régie interne et de cette Chambre. Il considère les faits. Et s'il est convaincu, après débat, suivant la prépondérance des probabilités, qu'un de ses membres a transgressé les règles de façon telle qu'il a agi avec une grossière négligence dans la gestion de ses ressources parlementaires, faisant fi de protéger la dignité et la réputation du Sénat, et, néglige de préserver la confiance du public envers le Parlement, le Sénat a non seulement le pouvoir, mais il a aussi la responsabilité de déclarer la suspension de ce membre aux conditions qu'il juge appropriées.
Pourquoi le Sénat doit-il agir maintenant? Honorables sénateurs, depuis plus de six mois, la gestion déficiente et répétée des ressources du Sénat accable notre réputation au point de provoquer l'opprobre populaire. Les Canadiens veulent que leur Parlement agisse avec efficacité, dans le respect de leurs valeurs et de leurs aspirations.
Les activités de notre Chambre sont paralysées. Pas plus tard qu'aujourd'hui, l'honorable sénateur Mercer nous a rappelé que nous étions ainsi paralysés. Il n'y a plus aucun projet de loi qui est examiné. Nos débats ne concernent qu'une seule et unique chose : la fameuse motion. Et ses activités demeureront paralysées tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas mis de l'ordre dans nos affaires et discipliné les sénateurs qui sont à l'origine du discrédit qui nous affecte.
Notre règlement prévoit que les affaires du gouvernement ont une priorité sur toute autre affaire dont le Sénat est saisi.
Le leader du gouvernement, l'honorable sénateur Carignan, a affirmé, à plusieurs reprises, que le Parlement ne jouit pas de la confiance de la population, propice à la mise en œuvre efficace de sa responsabilité législative. Il a entièrement raison. Il est urgent de restaurer cette confiance. La motion no 5 du gouvernement est appropriée, et les conclusions qu'elle propose sont justes et raisonnables.
Honorables sénateurs, j'aurais une demande à vous adresser. La motion no 5 est complexe, elle est longue, elle est unique. Elle fait référence aux agissements de trois de nos collègues. Il s'agit toutefois d'une seule et même motion.
(1950)
Il est arrivé déjà dans le passé, au Parlement, dans l'autre endroit, que la Chambre des communes soit confrontée à un tel type de motion complexe. Le Président a, en vertu de sa propre responsabilité, décidé d'accepter de diviser, suite à la demande d'un membre, non pas la motion, mais l'ordre des votes, donc, de subdiviser en plusieurs votes l'adoption ou le rejet de la motion.
Monsieur le Président, je vous fais cette demande puisque nous sommes saisis d'une telle motion complexe, qui fait référence à trois de nos collègues, et pour lesquels des faits différents ont été relatés soit dans cette Chambre soit devant nos collègues du Comité de la régie interne.
Monsieur le Président, voulez-vous entendre d'autres arguments sur cette question ou me laissez-vous terminer mon texte?
[Traduction]
La sénatrice Fraser : Votre Honneur, lorsque le sénateur Nolin aura terminé ses observations, j'aimerais faire un recours au Règlement à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Nolin : La motion du gouvernement no 5 est appropriée, selon moi, et les conclusions qu'elle propose sont justes et raisonnables. Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, dans l'exercice de sa juridiction exclusive, a rempli avec efficacité ses responsabilités, et les sénateurs qui ont participé au débat, autant au comité qu'ici dans cette Chambre, ont tous reconnu cet état de fait. Personne n'a remis en question la qualité du travail de nos collègues devant le Comité de la régie interne.
Le comité a même requis et obtenu l'aide extérieure nécessaire pour satisfaire à l'exercice, de façon efficace, de son pouvoir. Nous sommes saisis des résultats de ce travail. Ces conclusions, chers collègues, sont accablantes. Les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin ont eu toute latitude pour participer aux débats, que ce soit devant le comité ou dans cette Chambre, débats qui les concernent.
Chers collègues, on va s'entendre. Ils ont eu le pouvoir de poser des questions, et là, ne vous excitez pas avec le droit d'être assisté d'un avocat. Je vais vous renvoyer à la Charte des droits et libertés. Le fameux droit d'être accompagné d'un avocat s'exerce et est reconnu à un moment donné bien précis — je vais même le citer en anglais pour être sûr que tous mes collègues le comprennent bien.
Je vais citer l'article 10 de la Charte des droits et libertés :
[Traduction]
Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :
b)d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit; [...]
[Français]
C'est cela le droit à la nécessité d'un avocat. Arrêtez de vous exciter avec la participation d'un avocat devant un comité du Sénat. Ça n'existe pas ce droit!
Le sénateur Segal : C'est épouvantable !
Le sénateur Nolin : C'est peut-être épouvantable. Vous en ferez la demande. Vous proposerez un amendement à notre Règlement, mais pour le moment, chers collègues, ce droit n'existe pas. Arrêtons de nous emplir de toutes sortes d'enflures verbales voulant que nous ayons ce droit. Il n'existe pas ce droit. Nous avons une procédure, qui est la nôtre. Elle nous satisfait depuis 146 ans, et si certains, dont mon collègue à droite, le sénateur Segal, voulaient un jour qu'on introduise dans la procédure parlementaire des étrangers, fussent-ils avocats, je l'invite à nous en faire la proposition. Et, nous en débattrons, et je suis prêt à prédire que nous rejetterons une recommandation aussi farfelue, aussi dénuée du respect du droit parlementaire.
[Traduction]
Une voix : Qu'est-ce qui viendra ensuite?
Le sénateur Segal : Le cadenas peut-être? Enfermer les gens en raison de leurs convictions.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je terminerai, si mon collègue, le sénateur Segal, m'en donne le pouvoir et respecte mon droit, en disant ceci : ces conclusions sont accablantes. Les trois sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin ont eu toute latitude pour participer au débat qui les concerne, de remettre en question les affirmations et arguments qu'ils jugeaient erronés...
Pourrais-je avoir cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président : La permission est-elle accordée?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Nolin : Merci! ... autant devant le comité le printemps dernier et cet été que devant cette Chambre depuis le 22 octobre dernier. Ils ont tous les trois utilisé ce pouvoir.
Chers collègues, notre responsabilité est grande. Elle est lourde de conséquences. Elle est aussi noble et à la hauteur des valeurs que défendaient nos fondateurs, à la hauteur des principes qui les ont guidés dans leur débat sur la création de notre institution, et enfin à la hauteur des rôles qui sont les nôtres. Il est temps de faire face à nos responsabilités, chers collègues, de voter la suspension de nos trois collègues et de protéger l'autorité et la dignité du Sénat.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous passons aux questions et observations pour ce qu'il reste des cinq minutes supplémentaires accordées au sénateur Nolin, puis je donnerai la parole à la sénatrice Fraser.
L'honorable Nicole Eaton : Cher collègue, je ne prétends aucunement posséder votre extraordinaire niveau de compétence juridique. Néanmoins, j'ai écouté attentivement les arguments présentés au cours des derniers jours et vous avez énoncé très clairement ce que sont nos droits et privilèges. Pourquoi croyez-vous que certains de nos collègues continuent d'insister sur l'application régulière de la loi?
Le sénateur Campbell : Parce que c'est la façon canadienne de faire les choses.
Le sénateur Nolin : Je suis vraiment content que vous me posiez la question, sénatrice Eaton.
Son Honneur le Président : À l'ordre.
Le sénateur Nolin : Premièrement — et cela a fait couler beaucoup d'encre —, la Charte des droits évite précisément l'emploi de l'expression « due process » ou « application régulière de la loi ». Savez-vous pourquoi? Parce qu'il s'agit d'un concept américain.
Une voix : Que Dieu nous vienne en aide.
Le sénateur Nolin : Oui oui, il s'agit bel et bien d'un concept importé des États-Unis. Au Canada, nous avons jugé qu'il valait mieux ne pas nous empêtrer dans la jurisprudence sur ce que les tribunaux de nos voisins du Sud ont appelé l'application régulière de la loi.
Des voix : Oh, oh!
Le sénateur Nolin : Quel est le concept équivalent au Canada? Le principe de la justice fondamentale, voilà ce sur quoi nous nous fondons au Canada, et ce sur quoi se fonde notre jurisprudence. Et pas seulement depuis 1982, mais depuis que notre pays a vu le jour. Les tribunaux ont donc conclu — je n'apprendrai rien à personne — que nous avons des droits fondamentaux et que l'État protège ces droits adéquatement. Les quelques décisions de la Cour suprême que les sénateurs ont citées au cours des dix derniers jours arrivent toutes à la même conclusion : le Parlement et le Sénat constituent l'autorité suprême et personne, pas même les tribunaux, ne peut contester le bien-fondé de leurs décisions.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président : La sénatrice Fraser a la parole.
L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Je vous remercie, Votre Honneur.
Bien que le sénateur Nolin ait à la fois abordé les éléments précis à propos desquels j'invoque le Règlement ainsi que les thèmes généraux qui se rapportent à toute cette affaire, je me réserve le droit d'intervenir brièvement — je vous le promets, honorables sénateurs — plus tard au cours du débat pour revenir sur ces mêmes thèmes généraux.
D'aucuns diront qu'il s'agit d'un élément bien ténu, mais il n'en demeure pas moins qu'à mon avis, il est très important que j'invoque le Règlement relativement à la demande du sénateur voulant que vous divisiez la motion dont nous sommes saisis afin que l'on puisse tenir trois votes sur une seule et même motion. Honorables sénateurs, c'est une procédure étrangère au Sénat. Il n'existe aucun précédent.
(2000)
Je pourrais soutenir, en m'appuyant sur la substance, que nous aurions dû nous en tenir aux trois motions originales, mais le gouvernement a décidé de faire autrement. Ce dernier essaie d'importer une procédure de la Chambre des communes que même cette dernière n'utilise pas souvent. Aucune disposition de notre Règlement ne prévoit la tenue de trois votes pour une seule motion. Au contraire, notre Règlement est assez clair : une motion, un vote. Si une motion d'amendement est présentée, on vote sur l'amendement, puis on vote sur la motion, amendée ou non. On ne tient pas trois votes pour une seule motion.
Voici ce que dit l'article 1-1(2) :
Dans les cas non prévus par le Règlement, les pratiques du Sénat, de ses comités et de la Chambre des communes s'appliquent [...]
Autrefois, on disait mutatis mutandis, mais je souligne que les pratiques du Sénat sont en tête de liste, suivies des pratiques des comités et, en dernier, celles de la Chambre des communes ou d'autres organismes équivalents, au besoin.
Dans ce genre de cas, la pratique du Sénat est de ne pas s'échiner à tenir de multiples votes sur une seule question. La pratique du Sénat est de scinder la question. Nous avons scindé des projets de loi. Je suis certaine que Votre Honneur se rappelle le débat intense concernant le projet de loi sur les armes à feu et la cruauté envers les animaux que nous avons scindé, à corps défendant du gouvernement de l'époque, si je puis dire, mais nous l'avons fait. C'est ce que nous faisons. Nous n'essayons pas de caser trois votes dans un. C'est une prérogative divine, pas une prérogative sénatoriale.
Personne n'a forcé le gouvernement à présenter une seule motion, qui englobe les trois suspensions. Selon toute apparence, il n'était pas nécessaire de faire cela immédiatement. Comme je l'ai fait remarquer, à l'origine, il y avait trois motions. Les sénateurs du côté du gouvernement ont eu amplement le temps de réfléchir à la suite des choses, et il faut croire qu'ils avaient des raisons valables pour fusionner les trois motions en une seule. Je n'ai toutefois pas encore entendu d'explications raisonnables pour justifier cette décision. On peut penser que le gouvernement a agi ainsi afin de pouvoir imposer une seule motion d'attribution de temps plutôt que trois.
Le sénateur Munson : C'est ce que vous pensez?
La sénatrice Fraser : Oui, c'est ce que je pense. Il ne s'agit peut- être pas d'une question de règles, mais je crois qu'il convient d'en tenir compte dans le contexte de ce qu'on nous demande de faire.
On nous dit qu'il faut aborder cette question comme s'il s'agissait d'une motion compliquée. Eh bien, effectivement, elle est compliquée, mais pas au sens parlementaire traditionnel du terme. Il ne s'agit pas d'une motion qui traite d'éléments extrêmement disparates et qui tente de mettre la Cour suprême et le budget dans le même sac, ni d'un exercice complexe du même genre sur le plan législatif.
Permettez-moi de citer l'ouvrage d'O'Brien et Bosc au sujet des motions complexes, qui sont divisées à la Chambre des communes. Voici ce qu'on dit à la page 562 :
En 1964, on a divisé et reformulé un avis de motion du gouvernement...
— et c'est ainsi qu'ils ont appelé la procédure qu'on nous demande de suivre —
... lorsque le Président a constaté que la motion contenait deux propositions que de nombreux députés ne voulaient pas étudier simultanément.
C'est ce qui avait été fait à l'époque. À peine deux ans plus tard, le Président n'a pas acquiescé à une demande semblable. Il a déclaré :
[...] qu'il ne pouvait prendre une telle décision de sa propre initiative que dans des circonstances exceptionnelles.
Nous commençons donc à préciser quelque peu les circonstances
En 1991, comme on avait réclamé la division d'une motion traitant de modifications proposées au Règlement, le Président a tenu des discussions avec les dirigeants des trois partis à la Chambre [...]
Il a ensuite décidé que la motion serait divisée en trois aux fins du vote.
En 2006, le Président s'est vu conférer, du consentement unanime de la Chambre, le pouvoir de diviser tout amendement à une motion [...] aux fins de la mise aux voix, après consultation avec les partis.
Quelques points communs se dégagent ici. L'un d'entre eux est que, puisqu'on a rarement eu recours à cette mesure, même à la Chambre des communes, il ne faudrait le faire que dans des circonstances absolument exceptionnelles. Un autre point commun est que, à tout le moins, des consultations doivent être tenues auprès des dirigeants des partis parce que cette mesure suppose, dans une certaine mesure, une approbation et des négociations.
Eh bien, honorables sénateurs, il n'y a eu aucune négociation et aucun dialogue à ce sujet. Ce matin, mon estimée collègue, la leader adjointe du gouvernement, m'a informée qu'une motion serait présentée aujourd'hui à ce sujet. Il ne s'agit pas là de discussion ni de négociations.
Et encore, ce n'est pas comme si le gouvernement n'avait pas eu le temps d'établir un dialogue et de négocier avec l'opposition, tant à propos de cette motion que de certaines gesticulations dont nous avons été témoins dans ce dossier au cours des dernières semaines. En effet, selon la presse, le caucus conservateur a été informé la semaine dernière que cette motion allait être présentée. Comme je l'ai dit, nous l'avons appris dans les médias. Vérifiez dans le Hill Times.
Honorables sénateurs, cela n'est pas une façon de mener des consultations mutuelles des ceux côtés de l'allée et d'obtenir un consensus à propos d'une dérogation importante aux règles et aux pratiques du Sénat.
O'Brien et Bosc font valoir un autre point :
Un député ...
— de la Chambre des communes —
... qui s'oppose à une motion contenant deux propositions distinctes ou davantage peut demander que la motion soit divisée ...
— c'est d'ailleurs ce que le sénateur Nolin a fait dans cette enceinte —
... et que chaque proposition fasse l'objet d'un débat et d'un vote.
Nous ne pouvons tenir un débat distinct sur chaque proposition. Si la présidence en décide ainsi, nous pouvons voter sur chacune des propositions séparément, mais nous ne pouvons certainement pas en débattre séparément. Nous sommes soumis à une motion d'attribution de temps. Il nous reste — quoi? — quatre heures? On m'a bien dit qu'un recours au Règlement ne fait pas partie des six heures allouées.
Lorsque nous sommes soumis à une motion d'attribution de temps, il n'est pas permis de modifier la motion à l'étude. Nos règles sont très claires là-dessus. Je considère cependant que ce que l'on nous demande faire, c'est de la modifier par des moyens détournés. C'est n'est pas ainsi que les choses se passent ici. Si l'on tient un vote distinct, ça veut dire que c'est un élément distinct.
On nous demande en fait, sous la contrainte de l'attribution de temps, alors que les modifications ne sont pas permises, de modifier la motion pour que nous tenions trois votes distincts.
Je mets le gouvernement au défi de fournir ne serait-ce qu'un seul exemple, de n'importe quel parlement au monde, où une motion débattue sous la contrainte de l'attribution de temps a été divisée aussi tard dans le processus, dans le but de passer au vote.
Notre Règlement est clair. N'importe quelle règle peut être suspendue avec le consentement du Sénat, mais ce consentement n'est pas sollicité.
Le gouvernement tente plutôt d'utiliser les règles, tant bien que mal, pour imposer une nouvelle façon de faire alors que la même chose pourrait être accomplie en suivant les règles existantes, ou aurait pu l'être si on n'avait pas eu recours à l'attribution de temps. En fait, personne n'a démontré la nécessité de tenir des votes séparés sur cette motion, ce qui déroge à nos propres usages.
(2010)
Permettez-moi, Votre Honneur, de ne citer qu'une seule des nombreuses observations très judicieuses contenues dans la décision que vous avez rendue la semaine dernière :
Il revient à tous les sénateurs de protéger les intérêts à long terme du Sénat et l'intégrité de ses traditions et pratiques, en particulier des débats ouverts régis par une structure clairement établie, des éléments qui définissent le Sénat depuis sa création.
Votre Honneur, certains pourraient se fonder sur une interprétation limitée de nos procédures pour justifier la procédure qu'on vous demande d'appuyer. Cependant, chers collègues, ce n'est pas le genre d'approche que nous devrions adopter. Je vous assure que, si nous adoptons cette procédure maintenant, nous l'appliquerons dans d'autres circonstances. Si nous acceptons d'établir ce genre de précédent, il sera trop tentant de l'invoquer dans d'autres circonstances. J'espère que vous refuserez.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je ne suis pas sans connaître les dispositions établies à la page 562 de l'ouvrage d'O'Brien et Bosc, et je lis également le Hill Times.
Honorables sénateurs, j'ai reçu une demande du sénateur Nolin. Je remercie la sénatrice Fraser de son recours au Règlement. Je rendrai une décision lorsque nous serons sur le point de mettre la question aux voix.
Reprise du débat.
L'honorable Joseph A. Day : J'aimerais simplement obtenir une précision, monsieur le Président. Vous avez reçu une demande, mais aucune motion n'a été présentée. Aucune motion n'a été mise à l'étude. Je peux proposer que nous mettions aux voix la moitié des questions au bout de six heures, et le reste plus tard.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, ce que les règles et les textes de procédure disent de la question — et j'en conviens avec la sénatrice Fraser —, c'est qu'il est rare que le Président soit appelé à diviser une motion, mais cela est arrivé à l'occasion.
Le Président ne prend pas l'initiative de diviser une motion, mais un membre de l'assemblée peut lui demander de le faire, le moment venu, et il revient au Président de décider de le faire ou non.
Je remercie l'honorable sénatrice Fraser d'avoir soulevé la question au moyen d'un rappel au Règlement, mais nous en sommes pour l'instant au débat. Nous ne sommes pas prêts à nous prononcer. Lorsque nous en sommes à ce stade, je demande aux sénateurs s'ils sont prêts à se prononcer. S'ils répondent par l'affirmative, je mets la question aux voix, mais il faut que moi ou tout autre Président soyons convaincus que la question est bien comprise de l'assemblée. C'est pourquoi il est arrivé, lorsque la question était compliquée — c'est même arrivé tout récemment, il y a environ une semaine, à la Chambre des communes — que le Président divise la motion au moment de la mise aux voix. Bien sûr, j'ai écouté le débat qui a eu lieu au Sénat. Pourvu que nous soyons tous convaincus que nous savons sur quoi nous nous prononçons, et je crois que tous le savent, il n'est pas nécessaire de diviser même la plus compliquée des motions. Mais s'il y a confusion, cela est parfois utile. Cette technique sert surtout à faciliter les choses à l'assemblée qui est appelée à se prononcer.
La sénatrice Fraser : Une précision, Votre Honneur, pour que nous comprenions tous le processus. D'après l'article 7-4(5)c) du Règlement, ainsi que je le comprends, si le vote sur la motion est demandé après 17 h 30, il est reporté au lendemain. Il me semble que nous sommes après 17 h 30. Mon interprétation est-elle juste?
Son Honneur le Président : Oui. Le sénateur Day souhaite prendre part au débat.
Le sénateur Day : Oui, Votre Honneur. Merci de la précision.
L'honorable A. Raynell Andreychuk : Puis-je obtenir une précision? Je veux avoir l'absolue certitude que la demande ne portait pas sur une division de la motion, mais sur le triple vote. Ai- je bien compris la demande?
Son Honneur le Président : Oui, c'est ce que j'ai compris.
La sénatrice Andreychuk : Merci.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Le critère que vous appliqueriez, monsieur le Président, est le suivant : vous tiendriez des votes séparés s'il était nécessaire de le faire pour que tous les membres comprennent de quoi il s'agit. Si cela n'est pas nécessaire, si la motion est claire et s'il n'est pas nécessaire de tenir des votes séparés pour que les choses soient claires, alors vous ne le feriez pas. Est-ce exact?
Son Honneur le Président : C'est exact.
Le sénateur Cowan : Merci.
La sénatrice McCoy : C'est donc comme avoir trois motions?
Son Honneur le Président : C'est juste, mais nous anticipons largement, puisque nous en sommes toujours au stade du débat.
Le sénateur Day : Merci de cette précision. C'est une autre des caractéristiques de ce débat particulier qui dure depuis maintenant deux semaines et demie ou trois, mais il a déjà été souligné que le débat sur la motion à l'étude n'a débuté que jeudi dernier. C'est le premier point que je veux faire ressortir. Il n'y a aucune raison pour que le leader du gouvernement au Sénat présume que tout le débat sur les trois motions antérieures, qui n'étaient pas des motions du gouvernement, que ce débat qui s'est considérablement prolongé, soit pris en considération dans les délibérations sur la motion maintenant à l'étude. Voilà pourquoi j'estime que la clôture est injustifiée en l'espèce, et que c'est une décision que nous n'aurions pas dû avoir à prendre.
Je suis d'accord avec mon collègue, le sénateur Wallace, pour dire qu'il y a trop de questions dont il faudrait discuter au Sénat. Elles ont déjà été abordées en ce qui concerne les trois motions. Toutefois, au regard de l'histoire, si quelqu'un revient sur cette question, il ne va pas se dire : il y a là une motion en trois parties, mais il y avait aussi trois autres motions. Allons lire le débat sur ces motions. Cela ne se produira pas.
Je ne crois donc pas, honorables sénateurs, que si l'un ou l'autre d'entre nous a un point qu'il veut faire valoir, il doit dire : « J'ai déjà fait ressortir ce point. » C'est un peu ce que le sénateur Nolin a fait en disant : « Je vais vous faire un résumé de ce que j'ai déjà dit », car il comprend que c'est tout ce qui sera pris en considération à l'égard de la motion dont nous sommes saisis et pour laquelle on propose d'imposer la clôture et dont le débat est limité à six heures.
Honorables sénateurs, j'ai essayé d'écouter tout le débat. Je cherche toujours à faire ressortir les thèmes communs, à l'affût de la possibilité de dégager un consensus sur certains points. Je dois dire que, de part et d'autre du Sénat, on a fait valoir des points que j'approuve sans réserve. Je suis d'accord sur les points qui ont été avancés, notamment sur un certain nombre de choses que le sénateur Mockler a dites. Le problème, c'est que je ne suis pas d'accord, après une analyse de ces points, avec la conclusion qu'il en a tirée. Là réside la difficulté, honorables sénateurs. Nous pouvons tous discuter de principes, mais quand vient le moment d'appliquer un principe à des faits concrets, nous tirons des conclusions différentes.
Aucun d'entre nous, me semble-t-il, n'essaie d'être excessivement partisan, à propos de la question à l'étude. Nous reconnaissons tous l'énorme importance que cela revêt pour certaines personnes, c'est- à-dire les personnes nommées dans la motion.
(2020)
Nous comprenons tous les répercussions, mais nous sommes également conscients de l'obligation que nous avons. On demande en fait à chacun d'entre nous de s'ériger en juge, de juger les faits et d'aboutir à une conclusion en votant. Il se peut que vous votiez un tiers ici, un tiers là-bas et un tiers ailleurs. Nous ne savons pas ce qui arrivera, mais quand vous votez, vous devez être convaincus d'en savoir suffisamment pour vous prononcer.
Je prétends, honorables sénateurs, que la Chambre haute, comme assemblée politique délibérante, n'est pas la meilleure place pour régler toute cette affaire. C'est évidemment dans cette enceinte que se prendra la décision sans appel, mais, à mon avis, nous devrions écouter les conseils et les recommandations d'un groupe plus restreint, tel le Comité de la régie interne, comme nous l'avons fait ce printemps. Le Comité de la régie interne nous a présenté un rapport et certaines recommandations. J'aborderai ces recommandations que le Sénat a examinées et sur lesquelles il s'est prononcé, mais ce n'est pas le cas pour ce qui est de cette motion particulière. Selon moi, c'est une partie du problème que nous affrontons ici.
Nous avons un précédent dans l'affaire du sénateur Lavigne. Dans ce cas, le Comité de la régie interne avait formé un sous- comité dirigé par le sénateur Goldstein. Trois des membres de la Régie interne y siégeaient. Le sénateur Lavigne avait le droit de savoir ce qu'on lui reprochait. Il avait le droit d'être représenté par un avocat. Il avait le droit d'interroger ceux qui présentaient des preuves contre lui. Il avait le droit de présenter sa propre contre- preuve. Le comité tripartite avait alors examiné tous les éléments de preuve et en avait fait rapport à la Régie interne avec ses recommandations. À son tour, la Régie interne avait présenté son rapport au Sénat.
Voilà, à mon avis, le processus qui nous aiderait à aller au fond de cette affaire. Vous ne pouvez pas en arriver à une décision sur la façon de voter si vous n'avez pas entendu toute la preuve et si vous n'en avez pas examiné chaque élément. Nous avons vu des exemples de ces deux situations. Il y a certains éléments de preuve qui ressortent, et d'autres auxquels vous pourriez vous intéresser. Il y en aura encore d'autres après que vous aurez pris une décision partielle fondée sur ce que vous avez entendu précédemment.
Il y a des observations concernant des déclarations que quelqu'un d'autre a faites, mais qu'on n'a pas analysées. Nous n'avons pas entendu la personne qui est censée avoir amené ces honorables sénateurs à agir comme ils l'ont fait. Nous avons vu un document, que nous n'avons pas pu analyser, concernant ce qu'ils avaient et n'avaient pas le droit de faire. Ce document doit être analysé, mais nous ne pouvons pas le faire ici.
Honorables sénateurs, voilà la situation telle que je l'envisage. L'affaire doit être examinée dans une atmosphère, devant un tribunal — si le sénateur Nolin n'aime pas l'expression « procédure équitable » — où règne la justice fondamentale. La justice fondamentale comprend tous les éléments de la procédure équitable, de la représentation, de la connaissance des faits reprochés et de la présentation d'une contre-preuve. Tout cela est compris dans la notion de justice fondamentale, qui s'applique à tout tribunal administratif.
Le sénateur Baker et le sénateur Joyal ont établi que nous sommes censés mettre en place un processus garantissant la justice fondamentale. Je suis d'accord avec eux. Une fois que l'affaire aura été renvoyée au Comité de la régie interne, celui-ci devrait former un sous-comité dont les règles devraient être définies avant que tout sénateur soit tenu de comparaître. Le sénateur en cause devrait savoir ce qu'on lui reproche. Un représentant de Deloitte devrait être là pour préciser les renseignements recueillis, et le sénateur devrait avoir l'occasion de répondre. Si certains facteurs ont amené le sénateur à faire quelque chose, ils doivent être examinés et pris en considération pour déterminer la sévérité de la sanction. C'est une question de mesure. On ne peut pas tolérer que quelqu'un viole délibérément les règles, mais s'il y a d'autres facteurs qui ont influé sur sa façon d'agir, il faut en tenir compte pour déterminer la sanction.
Cette motion ne prévoit que la plus lourde des sanctions. Le présent débat ne nous donne pas l'occasion de débattre de possibles réductions des sanctions. Pourquoi choisir cette sanction-ci plutôt que celles qui étaient envisagées au printemps? Chaque rapport de Deloitte prévoyait des sanctions. Le Comité de la régie interne en a par la suite fait rapport au Sénat et il a présenté des recommandations. Seul le rapport visant la sénatrice Wallin n'a pas fait l'objet de débats parce qu'il a été remis durant la relâche estivale, pendant la prorogation; les sanctions visant la sénatrice Wallin n'ont donc jamais été débattues au Sénat, mais les autres ont fait l'objet de débats et ont été acceptées.
On n'a pas expliqué ce qu'il est advenu depuis que le Sénat s'est penché sur ces sanctions, à la recommandation du Comité de la régie interne. Pourquoi proposez-vous ces nouvelles sanctions, ces sanctions supplémentaires? Pourquoi souhaitez-vous imposer la plus lourde des sanctions? Pourquoi voulez-vous aller jusqu'au bout, leur retirer tous leurs privilèges, leur rémunération, leurs allocations et leur bureau, alors que nous n'avons même pas encore eu l'occasion d'entendre ce qu'on leur reproche, ce pour quoi vous souhaitez leur infliger des sanctions supplémentaires?
Honorables sénateurs, en soi, cela devrait suffire à nous faire envisager très sérieusement de voter contre cette motion et d'appuyer celle du sénateur Cowan qui vise à renvoyer le dossier au Comité du Règlement, qui pourrait créer un sous-comité. Faisons bien les choses, faisons-les de façon adéquate.
Entretemps, quelle est notre responsabilité? Il nous incombe dans cette enceinte de protéger le public et de protéger l'institution. Il faudra peut-être pendre des mesures provisoires pour y parvenir. Le sénateur Dagenais a parlé des mesures administratives qui ont été prises en ce qui concerne la police. Les barreaux prennent de telles mesures pour protéger le client pendant l'enquête. S'il est possible qu'un crime ait été commis, alors ces mesures de protection d'ordre administratif sont prises en plus de toute enquête criminelle. Il y a deux processus distincts. Le Sénat est saisi de l'aspect administratif de la question, et la police poursuit son enquête. Par la suite, le procureur général décidera s'il saisira les tribunaux de juridiction pénale de l'affaire. Il existe différentes normes de preuve : celle dite « hors de tout doute raisonnable » et celle de la prépondérance des probabilités. Nous essayons de protéger divers éléments. Il n'est pas inusité que ces deux processus suivent leur cours en parallèle, mais les mesures administratives ne doivent pas nuire à l'enquête criminelle.
J'ai lu plusieurs fois les observations qui ont été faites antérieurement, et j'ai été très déçu de constater que le leader du gouvernement au Sénat a déclaré que tout cela était de nature partisane et n'avait pas été bien réfléchi. Je sais que cette situation est très lourde de conséquences pour tous les sénateurs. Nous nous réveillons la nuit en y pensant. Nous ne voulons pas faire quoi que ce soit qui pourrait nuire à l'un ou l'autre de ces processus.
(2030)
Ce qui m'a inquiété lorsque j'ai lu les observations faites par le leader du gouvernement au Sénat le 22 octobre, c'est le dernier paragraphe :
Ce n'est pas notre argent, c'est l'argent du public. Nous devons être prudents. Je vous soumets donc respectueusement qu'un tel niveau d'insouciance et d'imprudence est, selon moi, de la négligence grossière et qu'on ne peut pas tolérer que ces actes ne fassent pas l'objet de sanctions disciplinaires.
Honorables sénateurs, en affirmant qu'on « ne peut pas tolérer que ces actes ne fassent pas l'objet de sanctions disciplinaires », on s'approche dangereusement d'une sanction pénale. Dès que nous songeons à des sanctions pénales, nous nous éloignons de notre rôle d'organe administratif, et c'est l'argument que notre collègue, le sénateur Baker, a fait valoir. Je suis très préoccupé par le libellé que je vois lorsque je relis cet extrait de l'intervention du leader du gouvernement au Sénat.
Honorables sénateurs, nous pouvons faire valoir de nombreux arguments, mais du point de vue criminel, il faut appliquer le critère « hors de tout doute raisonnable », qu'il soit question de fraude ou d'abus de confiance. Or, ce n'est pas ce critère que nous appliquons ici. Ce n'est pas ce que nous sommes tenus de faire et ce n'est pas ce que nous devrions faire. Nous ne devrions pas penser aux moyens que nous pouvons prendre pour punir une personne. Cela sera fait de façon appropriée, dans le cadre d'un autre processus.
Les sénateurs verront les mots « négligence grossière » ici. C'est un autre aspect que je souhaite aborder, car ni le Comité de la régie interne, ni le sous-comité n'ont pu tirer de conclusions en ce qui concerne le terme « négligence grossière ».
Je me demande, honorables sénateurs, si vous accepteriez de m'accorder cinq minutes de plus pour que je puisse terminer ce que j'ai à dire sur certaines de ces questions.
Des voix : D'accord.
Le sénateur Day : J'espère que ce que je dis est utile. J'ai beaucoup écouté et tenté d'analyser les remarques et les préoccupations d'un grand nombre de sénateurs.
Le fait que cette motion parle de « négligence grossière » sans fondement est une autre de ses lacunes. Qu'est-ce que le leader du gouvernement au Sénat a dit? Il a dit qu'une telle conduite était, selon lui, de la négligence grossière. Je ne partage pas son opinion à ce sujet. Comment cela vous aide-t-il?
Nous devons mettre en place un processus pour définir la « négligence grossière » et les facteurs qui pourraient nous mener à conclure qu'il y a eu une telle négligence. Nous ne l'avons pas fait. Nous ne pouvons donc pas voter sur une motion fondée sur une accusation de négligence grossière, comme on nous demande de le faire. C'est un autre élément qui me préoccupe grandement.
J'ai précisé que chacun des rapports porte sur un sujet différent. Dans le cas de la sénatrice Wallin, le rapport de Deloitte est un examen de ses frais de déplacement et de subsistance. C'est ce qu'on a demandé à Deloitte de faire dans ce dossier. Cependant, dans le rapport sur le sénateur Duffy, c'est le statut de ses résidences principale et secondaire qui est examiné. Ce sont des examens totalement différents. Pourquoi présentons-nous les mêmes arguments pour ces cas différents et recommandons-nous les mêmes sanctions?
Je tiens également à signaler que les rapports de Deloitte ont été rédigés par un comptable, mais que ce n'est pas à un comptable que nous devrions demander de nous aider à surmonter les difficultés juridiques qui pourraient exister. Le comité qui a examiné les dossiers de chacun de ces sénateurs séparément devrait se pencher sur les conclusions de Deloitte et examiner tous les autres éléments de preuve, mais il devrait aussi bénéficier de conseils juridiques pour éviter d'empiéter sur d'autres processus existants. Nous ne devrions pas compter sur Deloitte pour les arguments juridiques ou quasi juridiques qui sont en train d'être préparés.
Le dernier argument que je voulais faire valoir est le suivant. J'ai reçu une série de courriels que j'avais déjà lus, comme beaucoup d'autres sénateurs. Il ressort de ces courriels que, lorsque le public parle de l'équité de la procédure et dit que nous ne devrions rien faire tant qu'une enquête criminelle n'aura pas eu lieu et que des sanctions pénales n'auront pas été imposées, il ne sait pas qu'il y a deux types de procédures équitables : un type administratif et un type pénal. Je ne vous lirai pas de nouveau les commentaires du public parce que je ne suis pas certain que les médias aient adéquatement décrit les nuances et les différences subtiles dans ce dossier. Je ne suis pas certain non plus que nous les comprenions tous. Je ne suis pas sûr de bien les comprendre personnellement, de même que les critères importants qui doivent être appliqués.
C'est pourquoi je crois que l'affaire concernant chacun des sénateurs devrait être renvoyée à l'un de nos comités. Les affaires devraient être renvoyées à un comité spécial qui comprend ses responsabilités et qui nous rédigera un rapport comprenant une recommandation. Nous pourrons alors voter avec assurance. Nous pourrons poser des questions et prendre une décision en ayant le sentiment d'avoir fait de notre mieux dans les circonstances.
Son Honneur le Président : Questions et observations?
Le sénateur Runciman a une question.
L'honorable Bob Runciman : Le sénateur sait aussi bien que n'importe qui que nous sommes en train de débattre une motion d'attribution de temps, mais il continue, avec ses collègues, de parler de renvoi à un comité. Nous savons qu'après six heures, nous devrons voter et que les sénateurs d'en face sont un peu choqués qu'on les accuse de se livrer à des jeux politiques dans ce dossier. Quoi qu'il en soit, le sénateur Day s'est dit inquiet que les mêmes sanctions soient appliquées aux trois sénateurs visés. Ce soir, nous avons également entendu le leader de l'opposition, le sénateur Cowan, exprimer de très sérieuses inquiétudes pour la même raison. Quant à la leader adjointe de l'opposition, elle nous dit ce soir qu'elle ne permettra pas que le présent débat établisse un précédent sur le plan procédural.
Je présume que ce dont il est question, c'est de politicaillerie. Quand le leader de l'opposition se dit préoccupé que l'on applique le même traitement aux trois personnes en cause, ça, c'est de la sincérité. Je demande au sénateur Day ce qu'il pense de la sincérité de son leader, de son parti et de ses collègues à l'égard de la façon dont ces trois personnes sont traitées.
Le sénateur Day : Je remercie le sénateur Runciman de ses observations.
Si l'on veut traiter chacun des cas séparément, c'est en partie parce que les preuves diffèrent d'un cas à l'autre, que l'un des rapports n'a jamais fait l'objet d'un débat dans la présente Chambre et que, dans le cas du sénateur Duffy, le rapport a été altéré, ce dont nous voudrions connaître la raison. Voilà pourquoi il serait préférable de les traiter de manière distincte. Vous souhaitez imposer la même sanction à trois sénateurs différents ayant prétendument fait trois choses différentes, dans un contexte très différent de l'un à l'autre.
Son Honneur le Président : Nous poursuivons le débat. Le sénateur Comeau a la parole.
L'honorable Gerald J. Comeau : Honorables sénateurs, comme dit le vieux dicton, quand on veut faire passer un message, il faut le répéter sans arrêt jusqu'à ce que ça dérange les gens, puis le répéter encore.
Certains, en cette enceinte, veulent nous faire croire que l'administration du Sénat a eu tort, que le comité directeur et le Comité de la régie interne ont eu tort, que Deloitte a eu tort et que le Sénat lui-même a eu tort dans les conclusions qu'ils ont tirées au sujet des dépenses réclamées par quatre sénateurs.
(2040)
Permettez-moi de m'exprimer, s'il vous plaît.
Cette stratégie a été utilisée ici bien souvent. Par conséquent, il est proposé d'examiner le processus et le travail qui ont conduit aux conclusions de ces quatre rapports. L'examen du travail permettra donc de rétablir l'application régulière de la justice à la façon américaine, la primauté du droit et la Charte des droits et libertés, d'assurer le respect de la Grande Charte et de restaurer la démocratie.
Dans les quatre cas, on est arrivé à la conclusion que les sommes reçues pour le remboursement des dépenses réclamé devaient être rendues. Le Sénat a été massivement en faveur de cette conclusion, sauf dans le cas de la sénatrice Wallin. La prorogation a empêché la tenue d'un vote sur le rapport concernant la sénatrice Wallin, mais le Comité de la régie interne a présenté un rapport unanime.
Cette motion, comme les précédentes que le sénateur Carignan a présentées, vise tout simplement à imposer des sanctions administratives.
Il y en a ici qui veulent créer un autre comité, qui agirait comme un tribunal, pour examiner ce qui a déjà été fait par l'administration, le cabinet de vérification Deloitte, le Comité de la régie interne et le Sénat. En fait, le Sénat a accepté l'imposition de sanctions administratives quand il a exigé le remboursement avec intérêts. C'est vrai : le paiement d'intérêts est une sanction administrative. L'argument contre l'imposition de sanctions administratives aurait logiquement dû être soulevé au moment où le paiement d'intérêts a été imposé. Où était le processus équitable quand le Sénat a imposé des sanctions comportant le paiement d'intérêts?
Il ne s'agit pas de savoir si nous pouvons imposer des sanctions, parce que cela a déjà été fait et accepté par le Sénat. Il est plutôt question du degré de sévérité des sanctions administratives proposées.
Le sénateur Segal a affirmé que le processus manquait d'impartialité et que tous les participants s'étaient unis pour appliquer les règles rétroactivement. L'objectif est de semer le doute et d'en appeler au sens proverbial de la justice des Canadiens. La sénatrice McCoy a déclaré, elle aussi : « Selon moi, le Comité de la régie interne n'est pas le mieux placé pour susciter le respect de la population à l'heure où l'on se parle. »
Honorables sénateurs, toute personne raisonnable serait d'avis qu'une application rétroactive des règles est répréhensible, déshonorable et terriblement injuste. Une telle pratique irait à l'encontre de tous les principes chers aux Canadiens. Je suis aussi d'avis qu'une application rétroactive des règles serait répréhensible.
Peut-on sincèrement croire qu'un aussi grand nombre de personnes aient pu organiser un complot impliquant à la fois l'administration du Sénat, la firme indépendante Deloitte, les 15 membres du Comité de la régie interne, et même le Sénat, qui se penche sur le cas de trois des quatre sénateurs impliqués? C'est là le principal argument avancé au Sénat jusqu'à présent. On a fait valoir que le processus comportait des lacunes, qu'on commettait une terrible injustice, que les sénateurs étaient les victimes d'un tribunal fantoche et que la situation évoquait l'image d'une foule en colère prête à se faire justice en pendant les accusés haut et court comme à l'époque de la conquête de l'Ouest. D'ailleurs, certains ont même dit, ce soir, que le processus était comparable aux excès du régime nazi. Le week-end dernier, même la Fédération canadienne des contribuables a soutenu la théorie du complot en déclarant ceci :
Au Sénat et au Cabinet du premier ministre, le gouvernement s'est livré à des jeux de coulisse pour faire de la propagande et contrôler le message. En engageant une firme qui allait lui rendre des comptes, il a cru pouvoir manipuler les résultats.
Ce sont finalement les Canadiens qui font les frais de cette propagande politique.
La théorie du complot refait surface.
Bien des fautes peuvent être attribuées aux libéraux — j'ai moi- même déjà porté ce genre d'accusations auparavant —, mais je peux assurer aux Canadiens que les libéraux siégeant au Comité de la régie interne ne comploteraient jamais pour se plier aux exigences de l'actuel Cabinet du premier ministre. Croyez-moi.
Je peux concevoir que certains sénateurs jugent les sanctions proposées trop sévères. C'est un argument raisonnable, qui se défend tout à fait. Hélas, certaines personnes laissent entendre que le processus qui a mené à ces conclusions était injuste et partial. Ils veulent ni plus ni moins faire appel de la décision prise par notre institution.
Le Sénat a déjà versé plus d'un demi-million de dollars à une firme de vérificateurs comptables indépendante et respectable pour qu'elle étudie ces dossiers en notre nom. Le Comité de la régie interne et le Sénat se sont appuyés sur les résultats de cette étude pour tirer les conclusions que l'opposition voudrait étudier à nouveau. Et si jamais cette contestation ne produit pas les résultats escomptés et ne réussit pas à invalider les conclusions de la firme, va-t-on réclamer la formation d'un autre comité pour contrôler les travaux du premier, et ainsi de suite jusqu'à plus soif? On se croirait dans une mauvaise reprise du Jour de la marmotte, avec Bill Murray.
Combien l'opposition est-elle prête à dépenser pour examiner les demandes de remboursement de ces trois personnes? Les vérificateurs de chez Deloitte ont déjà clairement dit qu'ils n'avaient pas appliqué les règles de manière rétroactive, et je suis d'accord avec eux. Je ne peux pas croire que les membres du comité auraient pu prendre part à des manigances aussi indignes que celles que dénoncent les tenants de la théorie du complot. Un tel stratagème aurait été trop difficile à mettre sur pied, et il aurait été trop ardu de faire en sorte que les comploteurs demeurent unis. Qui plus est, les personnes qui ont pris part au processus étaient loin d'être des demeurées. Elles n'ont certainement pas toutes trempé sciemment dans un processus biaisé où les règles seraient appliquées de manière rétroactive.
Alors, quelle forme prendra le processus d'appel que l'on propose d'instituer? Il s'agira dans les faits d'une cour de justice ayant pour mandat de voir à l'application de sanctions administratives. La sénatrice Wallin l'a dit elle-même :
[...] je tiens à préciser que je devrais avoir l'assurance que les protections dont je bénéficierais dans le cadre d'un tel processus seraient les mêmes que dans le cas d'une instance tenue devant un tribunal, à savoir : le droit à l'assistance d'un avocat, qui serait autorisé à parler en mon nom; le droit, pour mon avocat, de convoquer des témoins et de les contre- interroger; le droit, pour mon avocat, de m'interroger afin de recueillir mon témoignage avant que je sois contre-interrogée; le droit, pour mon avocat, d'élever des objections contre des questions non pertinentes ou incendiaires; le droit de formuler des observations finales; et, bien entendu, le droit d'être jugée par un jury ouvert d'esprit.
Le sénateur Downe a fourni des précisions supplémentaires dans le Guardian de Charlottetown du 30 octobre :
Le sénateur Percy Downe de Charlottetown dit estimer qu'une enquête du comité où tous les principaux acteurs pourraient être appelés à témoigner sous serment est nécessaire.
[...]
« Bien des allégations ont été faites contre le premier ministre, contre certains hauts fonctionnaires du gouvernement du Canada, contre un grand nombre des leaders conservateurs au Sénat, et les Canadiens méritent de savoir qui dit la vérité et qui ne la dit pas. »
Nous avons donc une sorte de liste des personnes qui seraient convoquées ou assignées à témoigner devant ce tribunal.
Le chef libéral à l'autre endroit a aussi révélé la véritable intention des libéraux lorsqu'il a dit que la seule façon de rétablir la confiance de la population dans le Sénat est que tous les protagonistes, y compris M. Harper, témoignent sous serment sur ce qu'ils savaient et du moment où ils l'ont su. Là encore, nous avons une idée de ce que sera la liste des témoins de ceux d'en face.
L'opposition a déjà accepté l'imposition de sanctions et la question est donc de déterminer leur sévérité. Dans ce cas, pourquoi l'opposition n'a-t-elle pas simplement dit que les sanctions administratives proposées étaient trop dures? Pourquoi ne pas s'opposer simplement aux sanctions administratives?
Nous débattons cette question depuis plus de deux semaines. Pendant plus de deux semaines, nous avons fait venir les sénateurs de tout le Canada, chaque semaine, pour ensuite les renvoyer, puis recommencer. Combien de temps cela peut-il encore durer? Et que dire du coût? Je suis certain qu'au Comité de la régie interne, nous allons bientôt commencer à calculer le coût. C'est qu'il y a un coût à tout cela. Je sais qu'une justice à l'américaine ne devrait pas tenir compte des coûts, mais moi, j'en tiens compte. Vient un moment où nous devons prendre une décision.
Comme l'a expliqué le sénateur Carignan, les forces policières examinent aussi cette question. Le Sénat n'a pas le mandat d'intervenir ou de s'ingérer dans ce processus. La motion dont nous sommes saisis prévoit des sanctions administratives. C'est ce qui est proposé au Sénat. C'est à nous, sénateurs, qu'incombent la responsabilité et le devoir d'imposer des sanctions. Le sénateur Carignan a parlé de ce devoir avec beaucoup d'éloquence lorsqu'il est intervenu pour la première fois au sujet de cette question. Nous ne pouvons pas créer un tribunal et le charger de cette responsabilité. Nous ne pouvons pas, non plus, confier cette responsabilité à un tribunal de circonstance ou à un comité spécial. Nous ne pouvons pas la confier à un organisme externe. C'est notre responsabilité et notre devoir.
Tout comme le Comité de la régie interne ne pouvait pas confier sa responsabilité à Deloitte, le Sénat ne peut pas confier à un autre organisme la responsabilité de sanctionner ses membres, qui lui incombe en vertu de la Constitution. Nous acceptons notre responsabilité ou nous nous défilons.
(2050)
Honorables sénateurs, notre institution a accompli un travail précieux par le passé, et elle peut continuer à faire de même à l'avenir. Depuis 23 ans maintenant, je suis témoin de la valeur et de la contribution de sénateurs de part et d'autre de notre assemblée.
À quelques exceptions près, je suis fier du travail accompli au Sénat, surtout aux comités. Nous pouvons compter sur des sénateurs de talent et d'expérience, engagés et intelligents, qui veulent améliorer le sort des Canadiens.
Le curriculum vitae de bien des sénateurs ferait l'envie de bien des gens, notamment chez les députés néo-démocrates, par exemple dans les domaines de la médecine, du droit, des sciences et de l'éducation et dans le secteur militaire. Nous comptons parmi nous des scientifiques, des médecins, d'anciens premiers ministres provinciaux, des gens d'affaires qui ont fort bien réussi, des artistes, des constitutionnalistes, et j'en passe.
Mais, n'en déplaise à Winston Churchill, les deux dernières semaines n'ont pas été nos plus belles, et les deux dernières années non plus.
Nous disposons de grands pouvoirs constitutionnels et de ressources financières impressionnantes pour accomplir notre travail. Mais les pouvoirs et les ressources s'accompagnent d'une lourde responsabilité. Les contribuables paient des impôts pour que nous nous acquittions de notre devoir constitutionnel, mais ils s'attendent à ce que nous respections les ressources qu'ils nous apportent.
À bon droit, les Canadiens s'attendent à ce que les sénateurs sachent faire la différence entre l'intérêt public et leurs affaires privées et qu'ils gèrent leurs demandes de remboursement de dépenses en appliquant les contrôles voulus. Tout sénateur qui confond intérêt public et intérêt privé doit s'attendre à des sanctions.
Nous ne pouvons pas nous retrancher derrière des excuses, invoquer la primauté du droit, la Charte des droits ni même la Grande Charte, ou encore évoquer les excès de l'Allemagne nazie. Il nous incombe d'imposer une discipline aux sénateurs qui ne respectent pas les ressources qui leur sont accordées pour servir le bien public. Les Canadiens veulent que nous leur rendions des comptes. Ils ne méritent rien de moins.
Son Honneur le Président : Questions et observations.
La sénatrice Fraser.
La sénatrice Fraser : Sénateur Comeau, vous avez laissé entendre que, de côté-ci, nous avions exprimé de la méfiance, peut-être — ce sont là mes mots, mais c'est le message que je retire de vos propos — à l'égard du travail du Comité de la régie interne et de celui, antérieur, de Deloitte.
Je me permets de vous demander si vous vous souvenez d'avoir entendu maintes déclarations de membres de notre caucus — notamment du leader, de moi-même et de la vaste majorité de ceux qui ont pris la parole — selon lesquelles nous reconnaissons que le Comité de la régie interne a fait de l'excellent travail, nous acceptons les rapports qu'il a produits et nous ne proposons pas de revenir sur ce travail. Ce n'est pas ce travail qui est en cause, mais le manque de travail à l'étape suivante de nos délibérations.
Le sénateur Comeau : Permettez-moi de revenir directement aux propos que j'ai tenus à ce sujet. J'ai dit que l'impression donnée au Sénat était venue de certains. Je n'ai pas précisé de qui il s'agissait. Je dirai que le sénateur Cowan a dit sans aucun détour, tout comme vous, et je vous en remercie, que le Comité de la régie interne a bien fait son travail.
J'ai parlé de « certains » sénateurs. Si leurs propos sont bien placés et repris dans certains milieux, certains finissent par avoir l'impression que le Comité de la régie interne n'a pas bien fait son travail. Je sais que vous et le sénateur Cowan avez été très directs, et je vous en remercie. Je crois que vous reconnaissez le travail ardu que le Comité de la régie interne a accompli, mais je réitère que je me préoccupe de ce que certains ont laissé entendre.
L'honorable Elaine McCoy : Merci, honorables sénateurs. Je tiens avant tout à prendre acte des mots très bienveillants et généreux que le sénateur Baker a eus ce soir. Je lui sais gré de son compliment. Je vous informe de ce que je lui ai dit : je vais faire imprimer ce passage du hansard, lui demander de l'autographier, encadrer cet extrait et l'accrocher au mur. Et si je m'y reporte plus souvent qu'il ne semble convenable dans les jours, les semaines et les années à venir, il faudra me le pardonner. Merci beaucoup, sénateur Baker.
À mon avis, les débats ont été animés, empreints de respect et très utiles. Chose certaine, ma compréhension des enjeux et des nombreux points qui ont été soulevés a progressé et s'est approfondie à la faveur de ces débats. Il me semble que nous devons nous en savoir mutuellement gré. Les débats ont été d'une excellente qualité.
Dans une grande mesure, nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir compter sur les services de Votre Honneur. Le Président nous a rendu un énorme service en nous incitant à débattre sans nous éloigner du sujet, en demeurant respectueux et en gardant un ton dont tout Canadien serait fier. Beaucoup de Canadiens sont fiers de constater que nous nous sommes comportés comme nous l'avons fait. Nous avons envers le Président une lourde dette de gratitude.
Des voix : Bravo.
La sénatrice McCoy : Je tiens à souligner également l'excellent travail des greffiers au bureau. Ils sont fidèles au poste, et ils nous ont tous très bien servis. Nous sommes nombreux à avoir fait appel à leurs conseils à l'occasion. Nous l'avons tous fait. Et comme d'habitude, les conseils ont été dispensés généreusement. Ce sont d'excellents conseils, des conseils totalement dénués de parti pris. Je leur suis donc reconnaissante des grands efforts qu'ils ont déployés pour faire en sorte que le débat soit aussi bon qu'il l'a été.
Je dois néanmoins dire que je suis déçue que nous en soyons arrivés là. Pour moi, tout le débat portait sur l'application régulière de la loi — c'est également un terme de la common law, sénateur Nolin —, ancrée dans la tradition britannique. Ce n'est peut-être pas une tradition napoléonienne, comme le droit civil, mais c'est certainement une tradition parlementaire britannique et c'était au centre de mes préoccupations.
J'aimerais soulever deux voire trois points ce soir.
Le premier, c'est que, à mon avis, le débat a dépassé le cadre de l'application régulière de la loi et que nous commençons peut-être à donner l'impression de faire un abus de procédure. Le fait d'inscrire ce débat à la rubrique « Affaires du gouvernement » n'y est pas étranger. Bien sûr, la sénatrice Cools a présenté d'excellents arguments, mais le fait d'inscrire ce débat à la rubrique « Affaires du gouvernement » semble induire beaucoup de gens en erreur, pour la raison suivante : en faisant de ce débat une affaire du gouvernement, on donne l'impression, je crois, que le gouvernement nous dit quoi faire.
Plus tôt, le sénateur Mockler a déclaré qu'il existe trois pouvoirs : le judiciaire, le législatif et l'exécutif. C'est tout à fait vrai; l'exécutif, c'est le gouvernement. Le gouvernement, c'est le premier ministre, le Cabinet et la fonction publique. Ce n'est pas les députés ou les sénateurs; c'est le premier ministre, le Cabinet et la fonction publique.
Eh oui, il est important que les affaires du gouvernement — autrement dit l'administration du pays — soient prioritaires. Toutes les autres affaires, ce sont des affaires du Sénat. S'il y a quelque chose qui relève des affaires du Sénat, c'est certainement cela — et, je crois, le sénateur Nolin le disait, en vous citant, sénatrice Cools —; le pouvoir du Sénat est absolu et exclusif, et nous devrions débattre de cette question comme une affaire du Sénat.
Le rôle du législatif est de faire contrepoids au pouvoir exécutif; cela découle de l'époque des rois et des reines, qui, pendant de très nombreuses années, ont régné en vertu du droit divin dans le régime britannique. Souvent, ils utilisaient leur pouvoir de manière excessive, si je puis m'exprimer ainsi. C'est à cause de cet abus de pouvoir qu'est apparue la tradition d'avoir des législateurs. Tout d'abord, il y a eu les lords, puis la Chambre des communes.
(2100)
Nous avons maintenant le même système au Canada, soit la Chambre des communes et le Sénat. Notre rôle consiste à veiller à ce que le pouvoir exécutif soit exercé de manière responsable envers la population canadienne.
Dans notre système, le Sénat vise à faire contrepoids à ce pouvoir, mais pas à lui opposer son veto. Nous pouvons retarder l'exercice du pouvoir exécutif, du pouvoir du gouvernement, mais nous ne pouvons pas y opposer notre veto. C'est ainsi que devraient être les choses, car nous ne formons pas un gouvernement rival. Ce n'est pas ce que nous devrions être.
L'inscription de cette motion sous la rubrique des affaires du gouvernement donne l'impression que le premier ministre et le Cabinet sont en train de dicter nos travaux au Sénat. Le sénateur Nolin dit que nous devrions montrer — et d'autres l'ont aussi dit, avec raison — aux Canadiens que nous faisons ce qui s'impose. Toutefois, je crains que nous portions atteinte à notre réputation en donnant l'impression que, en réalité, c'est le gouvernement qui dicte nos travaux. Par conséquent, au lieu d'améliorer la réputation du Sénat, cette façon de faire les choses a peut-être plutôt l'effet contraire.
Le deuxième point que j'aimerais faire valoir — et j'en parle depuis le début —, c'est que, selon moi, l'imposition de sanctions immédiates est prématurée, et ce, pour toutes les bonnes raisons invoquées par mes collègues jusqu'ici. C'est aussi prématuré parce que nous ne permettons pas aux autres processus judiciaires de suivre leur cours au moment opportun, afin que nous puissions connaître tous les détails avant d'imposer nos propres sanctions. J'ai déjà tout expliqué cela en long et en large; je ne vais donc pas me répéter. D'autres en ont aussi encore parlé ce soir.
Je dis simplement que cela est prématuré, pas que nous devons nous soustraire à nos responsabilités. À un moment donné, il nous incombera d'imposer des sanctions, et il est injuste de dire que moi ou quiconque au Sénat souhaite se soustraire à ses responsabilités. Pour ma part, je ne cherche pas à m'y soustraire. En toute franchise, je ne veux exclure aucune option, mais je ne pense pas que je devrais le faire maintenant. L'opinion des plus sages doit l'emporter afin que nous reprenions notre souffle, que nous procédions à un second examen objectif et que nous répondions à ces questions à un moment plus approprié.
Je conclurai en disant qu'un grand nombre des intervenants de tout le Sénat m'ont impressionnée ce soir en exprimant un désir sincère de faire avancer les choses d'une manière qui fait honneur à notre institution et qui préserve ses atouts. Cela nous permet à tous d'agir au mieux en tant que sénateurs, d'exprimer une opinion indépendante et d'être justes. Je suis ravie d'entendre que les discussions commencent à porter sur des moyens d'améliorer nos processus, y compris pour gérer des situations comme celle-ci — espérons que cela ne se reproduira pas — et nous donner la possibilité d'avoir un processus approprié même dans les cas où nos propres règles auront été enfreintes.
Je pense donc que nous devons faire avancer les choses. Je crois sur parole les sénateurs qui se sont exprimés avec sincérité et bonne volonté ce soir, même ceux qui ont indiqué vouloir appuyer la motion dont nous sommes saisis, ce qui n'est pas judicieux à mon avis. Je veux toutefois tous vous féliciter de votre motivation, qui selon moi pourra nous permettre de relever ce défi et d'envisager un avenir meilleur. Merci.
L'honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, c'est encore avec beaucoup d'appréhension et de réserves que je prends aujourd'hui la parole pour traiter de la motion visant à suspendre, sans solde, trois de nos collègues, à savoir les sénateurs Brazeau, Duffy and Wallin.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à revenir brièvement sur ce que disait mon ami le sénateur Nolin quant au fait que le Sénat n'est pas une cour de justice. Pardonnez-moi, sénateur Nolin, si j'ai mal entendu, mais j'ai cru comprendre à vous entendre qu'il se pouvait que les gens en cause n'aient pas droit à un avocat. C'est bien possible que ce soit le cas ici, mais je tiens à répéter ce que j'ai dit la semaine dernière. Je vous lis ce que dit le compte rendu :
Honorables sénateurs, comme vous le savez, je ne suis pas un avocat. Le sénateur Carignan a présenté son point de vue relativement aux pouvoirs du Sénat. On nous a dit que le Sénat est maître de ses affaires.
Honorables sénateurs, même si nous avons le droit de prendre une mesure, cela ne signifie pas pour autant que c'est la chose à faire.
Je ne suis pas ici pour défendre les actes répréhensibles commis par un sénateur. Je suis d'abord et avant tout un conservateur parce que je crois aux principes d'équité et de justice.
Pas seulement de justice, honorables sénateurs, mais aussi d'équité.
La sénatrice Eaton a parlé de garanties procédurales, et je crois avoir entendu dire le sénateur Nolin qu'il s'agit d'un concept qui nous vient des États-Unis, mais que le Parlement constituant l'autorité suprême, le principe des garanties procédurales ne s'applique pas à lui.
Personnellement, je crois que nous devrions tous respecter les garanties procédurales et donner ce faisant à cette expression le sens de « procédure équitable ».
Les débats des derniers jours nous auront au moins appris que, du moins en ce qui me concerne, nous en savons encore moins sur toute cette affaire que nous le pensions au départ. Nous en savons moins sur l'application et l'interprétation du Règlement — en tout cas moi, j'en sais moins — et il est à peu près impossible désormais de déterminer si tel comité était partial ou si tel processus était biaisé. Chose certaine, il nous reste beaucoup de choses à apprendre sur chacun de ces dossiers pris individuellement.
Ce que je sais, par contre, c'est que ces sénateurs n'ont pas eu droit à un processus juste et équitable. Personnellement, je ne peux prendre une position qui prive un citoyen canadien de ce droit.
Je suis reconnaissant à mon leader des efforts qu'il a faits pour modifier la motion initiale afin d'y inclure les assurances médicales et ainsi atteindre un compromis. Toutefois, la nouvelle motion ne permet pas de résoudre les préoccupations soulevées par certains de nos collègues dans cette enceinte ou par des Canadiens d'un océan à l'autre.
Encore une fois, voici mes préoccupations. Il est précipité et prématuré d'imposer des sanctions à ce stade-ci alors qu'il reste tant de questions en suspens, d'autant plus qu'aucun des sénateurs concernés n'a eu droit à un traitement juste et équitable. À mon avis, la motion ne s'appuie pas sur des précédents et, à ce titre, elle risque de créer un dangereux précédent puisqu'elle va à l'encontre de tous les principes de justice naturelle et d'équité. Enfin, elle interférerait avec les enquêtes de la GRC et les procès éventuels et perpétuerait l'impression, réelle ou perçue, de partialité.
La semaine dernière, j'ai dit que nous simplifierions à outrance un problème complexe en tentant de le régler rapidement. Je crois que les débats qui ont suivi depuis n'ont fait que compliquer encore davantage la situation, sans parler du fait que, malheureusement, certains sénateurs des deux côtés de cette enceinte en ont fait un enjeu politique. Tout cela raffermit ma conviction, c'est-à-dire que nous agissons de façon prématurée.
Je sais que les Canadiens sont mécontents. Ils veulent des réponses. Chers collègues, ce n'est pas ainsi que l'on obtiendra des réponses. Lorsque tous les détails auront été révélés, nous jugerons peut-être que les sanctions imposées sont trop sévères ou, inversement, qu'elles sont trop clémentes. Peut-être que les enquêtes révéleront que les sénateurs devraient être renvoyés. Il est encore trop tôt pour le dire. Non seulement la motion concernant les trois sénateurs est prématurée, mais tâchons de reconnaître que nous sommes actuellement en train de réviser le Règlement.
(2110)
Nous avons également invité le vérificateur général à venir vérifier toutes nos dépenses. Certains des sénateurs en question, ainsi que leurs avocats, persistent à affirmer qu'ils respectaient certaines des règles que les vérificateurs et le Comité de la régie interne les accusent d'avoir violées. C'est la position qu'ils ont prise ici, au Sénat, ainsi qu'auprès des médias. Cependant, ils n'ont pas eu l'occasion de plaider leur cause devant le Comité de la régie interne. Seuls les vérificateurs ont eu ce droit. Selon moi, ce n'est pas un processus juste.
Peut-être que d'autres sénateurs ont interprété les règles de la même façon. Nous ne le saurons pas avant le début de la vérification. Je pense qu'on peut tous s'entendre pour dire que nous n'avons pas invité le vérificateur général à vérifier nos dépenses pour qu'il en arrive à la conclusion que la majorité des sénateurs sont des fraudeurs. Je pense qu'il a été invité pour évaluer l'application des règles afin de déterminer si celles-ci sont effectivement régulièrement mal interprétées.
J'espère que d'autres sénateurs n'ont pas interprété les règles de la même façon, puisque l'adoption de la présente motion ouvrirait certainement la voie à un recours.
Je tiens à signaler le manque de cohérence étant donné le fait que 102 sénateurs — ou un peu moins, puisqu'il y a des sièges vacants — feront l'objet d'une vérification par le vérificateur général du Canada alors que les sénateurs en question ont fait l'objet d'une vérification par un organisme indépendant externe qui n'a pas pu comparer ses constatations à celles qui auraient résulté de la vérification de l'ensemble des sénateurs.
J'ai fait valoir la semaine dernière que cette motion était sans précédent. Évidemment, il en va de même pour la nouvelle motion. Comme l'originale, la nouvelle version crée un précédent extrêmement dangereux pour les parlementaires. Si nous ne donnons pas à nos collègues la possibilité de se faire entendre, nous pourrions écarter des personnes qui représentent un handicap politique. C'est injuste. Le dangereux précédent que cette motion créerait a même déclenché un mouvement change.org, organisme qui cible les questions de justice sociale.
Tom Flanagan a écrit dans le Globe and Mail :
Mais la démarche n'est pas seulement injuste. Il est également dangereux de commencer à suspendre des parlementaires, qu'ils soient élus ou nommés. La sanction habituelle pour avoir été politiquement gênant est de se faire expulser du caucus, parce qu'appartenir à un groupe au sein d'un parti n'est pas un droit. Mais une suspension à long terme d'un membre d'un corps législatif — ce qui revient dans les faits à expulser cette personne — est une mesure que l'on s'attend à voir dans un système autoritaire, et non dans une démocratie.
J'irai plus loin et je dirai que nous créons un précédent qui non seulement nous permet d'expulser les parlementaires qui sont impopulaires, mais également de faire fi à notre gré du processus équitable et de la présomption d'innocence.
Depuis que le débat sur cette motion a commencé, j'ai reçu, comme beaucoup d'autres sénateurs, près de 600 courriels de personnes préoccupées. Plus de 80 p. 100 d'entre elles ont appuyé ma position. Quatre-vingts pour cent, même si nous entendons dire que les Canadiens sont indignés par le scandale qui secoue le Sénat. Même si la population est en colère et veut des réponses, elle ne veut pas que nous imposions une lourde sanction de façon précipitée, faisant fi de tous les principes de la justice naturelle.
Un électeur qui a toujours voté conservateur a écrit dans un courriel... On a déjà cité plusieurs courriels. J'aimerais en citer trois autres.
On s'attendrait à voir ce genre de justice dans des dictatures ou des pays du tiers monde. Certes, la population demande peut-être, sans connaître tous les faits, que les accusés soient punis, mais nous ne pouvons pas approuver la mentalité de lyncheurs que le Sénat semble avoir adoptée. Nous sommes intimement convaincus qu'il convient, pour que justice soit faite, de laisser l'enquête de la GRC suivre son cours. Si les accusés sont reconnus coupables, il sera alors temps d'imposer une punition appropriée.
Voici ce qu'a déclaré une autre personne. Je crois que nous avons presque tous reçu son message :
Le Sénat a été établi pour s'assurer que le Canada adopte de bonnes lois. Il joue un rôle primordial, celui de Chambre de second examen objectif. Les Canadiens s'attendent à ce que les sénateurs maintiennent leur autonomie et respectent la primauté du droit en toute impartialité. Selon les lois de notre pays, chacun est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire. Attendez que l'enquête soit terminée et qu'on ait pu évaluer les activités de toutes les personnes concernées avant d'établir une peine. Faites votre devoir et ouvrez une enquête avant de réduire à néant le bon travail du Sénat! Je vous en prie, défendez le Canada.
Une autre personne nous a adressé cette demande :
Dans les prochains jours, vous aurez une décision importante à prendre lors d'un vote. Je vous encourage à vous laisser guider par votre conscience et à tenir compte de la volonté des Canadiens, au lieu de faire un choix partisan.
Parmi tous les messages que j'ai reçus, le plus marquant a probablement été l'appel d'une dame qui a téléphoné à mon bureau pour m'encourager à voter contre cette motion. Elle a dit « en avoir marre que les gens comparent cette situation aux écarts qui se produisent parfois dans les entreprises privées. Ce n'est pas une entreprise privée, a-t-elle souligné, mais une charge publique. » Elle a expliqué que ces sénateurs avaient été nommés grâce à la recommandation d'un premier ministre élu démocratiquement. Il ne s'agit pas d'un emploi ordinaire, dans lequel un patron est libre de vous embaucher et de vous congédier. « Ces personnes servent le Canada; elles ont mérité d'être nommées à ce poste », a-t-elle ajouté.
Cette dame a dit humblement : « Je ne suis pas quelqu'un d'important, mais si j'étais accusée d'une infraction, je serais présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. J'aimerais que les trois sénateurs bénéficient de la même présomption. À tout le moins, ils sont des citoyens canadiens. »
Honorables sénateurs, depuis ma dernière intervention sur ce sujet dans cette enceinte, nous avons appris que la sénatrice Wallin fera maintenant l'objet d'une enquête de la GRC. Cela me porte à croire encore plus qu'il est inapproprié de déclarer nos collègues coupables pendant le déroulement de l'enquête et avant que des accusations aient été portées. Le droit à une enquête juste et à un procès impartial est un autre principe canadien que je suis heureux et fier de défendre.
Chers collègues, le sénateur Carignan a dit que nous devons agir consciencieusement. Je suis complètement d'accord avec lui. Le moins que l'on puisse dire sur les derniers mois, c'est qu'ils ont été difficiles pour chacun d'entre nous. Le Sénat se bat depuis longtemps pour que les médias prêtent attention à l'important travail que nous faisons, aux études approfondies que nous effectuons au sein des comités, aux projets de loi que nous présentons et aux débats que nous avons sur les mesures législatives dans cette Chambre. Au cours des derniers mois, le Sénat a constamment fait les manchettes. C'est la première fois que beaucoup de Canadiens entendent les noms d'un grand nombre de sénateurs. Il n'est pas très surprenant que certains se demandent ce que le Sénat fait et pour quoi il est nécessaire.
Honorables sénateurs, il est malheureux qu'il ait fallu une telle situation pour attirer l'attention sur le Sénat, mais nous devons nous rappeler que les Canadiens nous regardent. Nous devons rétablir leur confiance en nous. C'est l'occasion de prouver que nous sommes une institution intègre, une Chambre de second examen objectif. Nous avons le droit, et même l'obligation, de mettre la politique de côté et de voter selon notre conscience sur cette question d'une importance cruciale.
J'aimerais aussi profiter de l'occasion pour répondre à ceux qui prétendent que notre caucus est soumis à la discipline du parti et que nous votons de façon à en apaiser les dirigeants.
Lorsque cette motion du gouvernement a été présentée, notre leader, le sénateur Carignan a fait en sorte qu'elle fasse l'objet d'un vote tout à fait libre. Durant les nombreuses discussions que j'ai eues avec le premier ministre, il m'a toujours encouragé à m'en tenir fermement à mes principes et à voter selon ma conscience, même pour ce qui est des questions à l'égard desquelles nous étions en désaccord. En ce qui concerne l'accusation selon laquelle notre caucus suit la ligne du parti, je dois souligner qu'au moins trois sénateurs conservateurs se sont prononcés contre la direction que notre leader veut prendre concernant cette motion, alors qu'aucun libéral ne peut en dire autant.
(2120)
Je trouve également ironique que les partis de l'opposition, qui réclament la tête de ces trois sénateurs depuis un an à l'autre endroit, dénoncent maintenant les sanctions proposées pour des intérêts politiques.
Nous devons tous respecter mutuellement nos opinions. Pour ma part, je respecte certainement l'opinion de chacun des sénateurs.
Il s'agit d'un débat difficile, et il faut reconnaître comme il serait indécent de tenter de politiser davantage une question de moralité.
Chers collègues, les gains politiques sont le moindre de mes soucis. Autrement, je crois que tous s'entendent pour dire que je défendrais la position opposée dans ce dossier.
J'ai certainement le plus grand respect pour tous mes collègues des deux côtés de la salle du Sénat et leur opinion sur la question ne changera rien à cela. J'ai bien hâte de continuer de travailler avec chacun d'eux lorsque nous aurons fini de traiter de la présente motion.
Pourrais-je avoir cinq minutes supplémentaires?
Son Honneur le Président : D'accord?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Plett : Merci. Et lorsque cette histoire sera derrière nous, nous devrons immédiatement nous mettre au travail pour élaborer un code de conduite et un code d'éthique de sorte que nous n'ayons plus jamais à traiter de ce genre de question au Sénat.
Soit dit en passant, honorables sénateurs, la ligne de parti de mon parti est la liberté de choix pour toutes les questions de conscience. C'est ainsi que le Parti conservateur fait les choses et c'est la ligne de parti que je continuerai de suivre.
C'est le premier ministre qui m'a appris l'importance de l'éthique et de l'intégrité et, comme il l'a dit en fin de semaine dernière à l'occasion d'une grande célébration que nous avons tenue à Calgary, il faut défendre les Canadiens et les droits des Canadiens, que cela attire ou non la faveur générale. Le premier ministre a souvent prouvé qu'il suivait les normes éthiques les plus élevées qui soient, et qu'il n'hésite pas à prendre la parole à l'étranger pour défendre les droits des Canadiens, que cela contribue à le rendre populaire ou pas. C'est pour cette raison que je vais faire ce que je crois être la chose à faire et que j'invite tous les sénateurs à faire de même.
Comme je le disais plus tôt, après avoir analysé le code de conduite d'autres organismes et m'être entretenu avec divers juristes, je demeure convaincu que la ligne de conduite à adopter est la suivante : tant qu'une enquête est en cours, les sanctions n'ont pas leur place. Si jamais l'une des personnes en cause est accusée d'un crime quelconque, là il sera temps pour nous d'envisager la suspension sans solde. Et si cette même personne est reconnue coupable, ce n'est qu'à ce moment-là que nous pourrons lui infliger des sanctions plus sévères, pouvant aller jusqu'à l'expulsion.
Voilà pourquoi je suis dans l'impossibilité de voter pour la motion du sénateur Carignan, qui vise à sanctionner dès maintenant les trois sénateurs en cause.
Honorables sénateurs, je ne cite pas souvent les Saintes Écritures — je laisse habituellement cela aux sénateurs Smith et Meredith — mais, aujourd'hui, je tiens à conclure mon allocution avec la première épitre aux Corinthiens, 16:13-14 :
Veillez, demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, fortifiez-vous. Que tout se passe chez vous dans la charité.
Chers collègues, je ne veux pas vous dire comment voter. Je vous dis simplement : fais ce que dois.
Son Honneur le Président : Y a-t-il des questions ou des observations?
L'honorable Pierrette Ringuette : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Plett : Oui.
La sénatrice Ringuette : En près de 11 ans au Sénat, l'expérience m'a appris que, contrairement à la Chambre des communes ou à l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, le Sénat se distingue par l'étendue des recherches que font ses comités, qu'il s'agisse d'études, de motions ou de projets de loi. Tous les experts qui ont témoigné devant l'un de nos comités disent que nos rapports sont le fruit d'une véritable réflexion et d'un second examen objectif. Mais pour en arriver à de pareils résultats, il faut des témoins et des experts. À mon avis — et j'aimerais bien avoir votre avis sur la question —, il s'agit d'un élément essentiel quand vient le temps de se prononcer.
Voici ma question. Pourquoi ne procéderions-nous pas de la même façon dans la présente affaire avant de mettre la motion visant nos trois collègues aux voix?
Le sénateur Plett : Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à dire que je suis d'accord.
Comme je l'ai dit dans mes observations, je suis d'avis que les travaux que nous menons en comité sont d'excellente qualité. Quand on me demande ce que je préfère au Sénat, je réponds que ce sont, sans contredit, les travaux que nous accomplissons en comité. Il n'y a pas de partisanerie, du moins au comité où je siège avec le sénateur Mercer — nous ne sommes pas vraiment des adeptes de la partisanerie — et nous passons de bons moments. Nous faisons du bon travail en comité. Je suis tout à fait d'accord.
Honorables sénateurs, je ne suis pas certain que nous pourrions y parvenir dans cette enceinte. Je pense avoir dit la semaine dernière que je croyais que les sénateurs, bien qu'on les ait autorisés à assister aux séances du Comité de la régie interne et à poser des questions, comme tous les autres, n'ont jamais comparu à titre de témoins.
J'avais parfaitement raison, mais je crois certainement que nous devrions adopter une procédure suivant laquelle l'accusé peut témoigner accompagné de son avocat. Je suis convaincu que le sénateur Nolin — qui est plus ferré que moi en droit — a vu juste lorsqu'il a affirmé que les avocats ne sont peut-être pas autorisés à assister à ces séances. Il faut alors changer cette pratique. Si quelqu'un est accusé d'une faute aussi grave que celle dont il est question, il doit pouvoir être représenté par un avocat à un moment donné, que ce soit au comité ou ailleurs.
La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, je souhaite m'opposer aussi vigoureusement que possible à cette motion tendant à suspendre de la sénatrice Martin.
Je tiens tout d'abord à remercier la sénatrice McCoy, qui vient tout juste de me dire qu'elle avait l'intention de parler de l'amendement que nous avons présenté, lequel vise à ce qu'un congé soit imposé au lieu d'une telle suspension; j'ai cru bon vous en informer en son nom.
J'aimerais ajouter que je crains énormément que la motion dont nous sommes saisis — la motion de la sénatrice Martin — soit particulièrement dure, car elle présume d'une culpabilité quelconque, comme les trois motions du sénateur Carignan, maintenant abandonnées. Le fait est que ces quatre motions traitent ces trois sénateurs comme s'ils avaient été accusés, jugés, reconnus coupables et condamnés.
L'imposition d'une suspension sans rémunération est la plus dure des sanctions, selon le Règlement du Sénat, mais une telle suspension est invoquée seulement après une condamnation. Je crois sincèrement que toute cette question est manifestement injuste et que la motion de la sénatrice Martin est un ramassis de bouts de texte tirés des articles du Règlement sur la suspension, que vient invalider le paragraphe de la motion qui commence par « nonobstant ».
Le Sénat n'a jamais vu une telle motion et les sanctions qu'elle prévoit et leurs conséquences graves n'ont jamais été prévues par le Règlement du Sénat pour les suspensions et je veux que ce soit clair.
Honorables sénateurs, nous parlons sans cesse de ne pas influencer l'enquête policière. Nous devrions être francs à ce sujet. Nous devrions admettre que cette motion de suspension influencera l'enquête policière en raison de sa formulation et de son contenu. Pas besoin d'être un génie pour voir que les sanctions sont des sanctions pénales et non administratives ou disciplinaires, comme certains les appellent.
(2130)
C'est clair et il se peut que certaines personnes ne comprennent ou ne saisissent pas les répercussions qu'aura cette motion, qu'elles n'ont pas examiné la façon dont elle a été rédigée, mot par mot. Voilà l'état objectif des choses, voilà de quoi il retourne.
Je soutiens que la motion, à l'instar des quatre motions dont nous sommes saisis, est illégale et contient des irrégularités, car elle n'est fondée sur aucun principe et aucune règle qui régit actuellement nos processus.
Je voulais que ce soit clair. Cela n'a rien de personnel. Je crois sincèrement que beaucoup de sénateurs ne saisissent pas les nuances dont il est question.
Cela dit, honorables sénateurs, je remercie encore une fois la sénatrice McCoy. Je demande à mes collègues de réfléchir à deux fois, à dix fois ou plus encore, parce que c'est une question grave et de la plus grande importance. N'en sous-estimons pas la portée.
J'aimerais dire au sénateur Plett, qui a pris la parole plus tôt, que dans de telles circonstances, le principe et la pratique des Chambres hautes du monde veulent qu'on permette au représentant ou à l'avocat des personnes concernées de se présenter à la barre. Il y a de nombreux précédents. Il aurait été très facile de le faire. Lorsque la sénatrice Wallin a pris la parole pour répondre aux questions, je l'ai entendue dire qu'elle aurait préféré faire appel à son avocat ou que celui- ci soit présent pour l'aider. C'est un système puissant. Nous devrions le savoir.
Honorable sénateurs, je tiens à dire que les circonstances sont terribles. J'éprouve du respect pour le sénateur Nolin et son explication sur l'application régulière de la loi, une expression que j'ai lue dans nombre d'anciens livres de droit anglais. Quoi qu'il en soit, je crois que les terribles circonstances dans lesquelles nous nous trouvons dictent que nous suivions une procédure bien établie, et non une nouvelle procédure comme cette motion.
À la page 1497 de la quatrième édition du Black's Law Dictionary, la primauté du droit est définie comme un principe juridique de portée générale, sanctionné par l'approbation des autorités, et qui s'exprime habituellement sous la forme d'une maxime ou d'une proposition logique. On parle de « primauté » parce qu'il s'agit d'un guide ou d'une norme qui oriente les décisions des autorités dans les cas de doute ou les cas imprévisibles.
Honorables sénateurs, si l'on avait décrit la situation actuelle comme un cas de doute, il aurait été agréable de suivre des principes bien acceptés, reconnus et établis.
À mon avis, ces motions ne sont pas disciplinaires mais punitives, et elles exercent des pouvoirs qui ne sont pas disciplinaires mais pénaux. L'objectif visé par la motion de la sénatrice Martin n'est pas la suspension, mais plutôt une sanction inconnue, une sorte de renvoi temporaire des sénateurs. Nous devons comprendre cela. J'ai même entendu certaines personnes dire qu'il faudrait interdire aux trois sénateurs concernés tout accès à la Cité parlementaire.
Ces motions traitent de certains concepts, dont l'un est le droit à vie réservé à certaines fonctions, une forme de nomination visant à protéger le titulaire du poste contre le despotisme ou l'oppression administrative.
Cette motion traite aussi de la présence des sénateurs, qui est leur premier devoir comme nous le savons, d'après la volonté de Sa Majesté exprimée dans les lettres patentes qui instituent les sénateurs.
Chaque sénateur est institué personnellement par une lettre patente distincte, confirmant son mandat à vie.
Je vais lire le commandement suivant :
SACHEZ QUE, en raison de la confiance et de l'espoir particuliers que Nous avons mis en vous, autant que dans le dessein d'obtenir votre avis et votre aide dans toutes les affaires importantes et ardues qui peuvent intéresser l'état et la défense du Canada, Nous avons jugé à propos de vous appeler au Sénat du Canada.
ET Nous vous ordonnons de passer outre à toute difficulté ou excuse et de vous trouver en personne, aux fins susmentionnées, au Sénat du Canada en tout temps et en tout lieu où Notre Parlement pourra être convoqué et réuni, au Canada, sans y manquer de quelque façon que ce soit.
Chers collègues, il se trouve qu'on a écrit davantage sur la révocation des juges que sur la révocation et la suspension des sénateurs. J'ai donc jugé bon de consulter des ouvrages qui font autorité et des opinions établies depuis longtemps sur ces questions.
Honorables sénateurs, je parle du processus d'évaluation et d'examen par les pairs qui est censé exister pour les collègues du Sénat. Je veux signaler que le Sénat détient ce pouvoir en ce qui concerne de nombreux titulaires de charge. Je vais citer un précédent qui date de 1879, lorsque le lieutenant-gouverneur du Québec, M. Letellier, a été révoqué par le gouverneur général. Dans le décret de John A. Macdonald au gouverneur général, les adresses de la Chambre des communes et du Sénat sont citées. Il a été révoqué. Le gouverneur général a suivi la recommandation contenue dans l'adresse du Sénat.
Les sénateurs touchés en l'occurrence devraient être traités d'une manière qui correspond aux lettres patentes et à leur poste. J'ai été témoin de bien des activités officielles visant activement à aller à l'encontre de cette notion. Cela me déplaît, mais je ne m'attarderai pas là-dessus.
Honorables sénateurs, tout juge en difficulté a le droit de s'adresser au Sénat ou à la Chambre des communes pour demander qu'on le protège d'un gouvernement oppressif. Il est évident qu'on ne peut pas aller à l'encontre de la Constitution et, dans le cas des sénateurs et des juges, de l'occupation à vie de leur poste, sauf dans les cas d'inconduite si graves qu'ils constituent un manquement aux conditions énoncées dans les lettres patentes du titulaire par celui qui l'a nommé, en l'occurrence le gouverneur général. C'est pour cette raison qu'on a eu tant de difficultés à aborder la situation de ces trois sénateurs et qu'on cherche à leur imposer des mesures aussi impitoyables.
Honorables sénateurs, je vais citer des sources qui datent des débuts de la Confédération puisqu'elles nous permettent de bien comprendre l'état d'esprit dans lequel se trouvaient les Pères de la Confédération lorsqu'ils ont rédigé les dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Les 72 résolutions de la Conférence de Québec sont par la suite devenues l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Dans le volume II de l'édition de 1869 de son ouvrage intitulé On parliamentary government in England, Alpheus Todd parle de la pratique consistant à dépouiller un titulaire de son droit d'occuper son poste à vie. Je tiens à souligner que seul celui qui nomme le titulaire — je parle, bien entendu, de Sa Majesté la Reine, représentée par le gouverneur général — est autorisé à prendre de telles mesures. M. Todd traite ici d'opinions juridiques :
Il est par conséquent présumé qu'un juge peut être destitué soit pour « inconduite » dans l'exercice de ses fonctions si l'inconduite est suffisante pour constituer un manquement aux conditions énoncées dans la lettre patente du titulaire ou, à la discrétion du Parlement, dans une adresse provenant des deux Chambres, et sous aucun autre prétexte, il convient de déterminer ensuite si le pouvoir de suspension prévu dans la loi 15 Vic. No. 10 concorde parfaitement avec la notion de « titre inamovible ».
(2140)
C'est très important parce que tous les titulaires d'une charge sont nommés à titre inamovible.
En common law, celui qui nomme le titulaire d'une charge a le pouvoir de le suspendre de ses fonctions, sans pour autant affecter ses émoluments ou son salaire.
Honorables sénateurs, il faut comprendre qu'à l'époque, les sénateurs ne touchaient aucun salaire, mais les juges oui. À l'heure actuelle, les sénateurs ne touchent toujours aucun salaire. Ils reçoivent des indemnités.
Lord Nottingham a maintenu, dans l'affaire Slingsby, que le pouvoir de suspendre peut être exercé lorsque la fonction accordée vient avec un droit de propriété non seulement à vie, mais transmis par héritage. Mais il peut seulement être exercé par une autorité semblable à celle qui a accordé la charge. Comme les juges sont nommés par la Couronne aux termes de lettres patentes, ils peuvent seulement être suspendus ou destitués au terme d'une procédure judiciaire pour évitement de la patente ou d'une autre action juridique intentée par la Couronne.
Je fais à nouveau remarquer que les gouverneurs généraux devraient être impliqués dans le type de mesures graves que nous prenons actuellement et que le pouvoir de suspendre ou de destituer les titulaires incombe au représentant de la reine.
Honorables sénateurs, Todd en vient à expliquer la signification du terme « à titre inamovible ». Il précise que cela revient à dire un mandat à vie. Les juges ne sont pas comme nous. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique dit que nous sommes nommés à vie, tandis que les juges sont nommés à titre inamovible, ce qui revient à dire à vie. Depuis 200 ans, donc depuis 1701, année de l'adoption de l'Act of Settlement, les juges se fondent sur une affaire de 1692, Harcourt c. Fox, et sur le jugement de lord Holt qui fait autorité.
Les Pères de la Confédération se seraient fondés sur cette cause pour rédiger les dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, concernant les juges. J'invite les sénateurs à porter attention à la cohérence entre les termes et les expressions employés dans les cinq sous-sections de l'article 31 de l'Acte, sous la rubrique « Cas dans lesquels les sièges des sénateurs deviendront vacants », et ceux employés au sujet du renvoi des juges. L'article 31 commence ainsi : « Le siège d'un sénateur deviendra vacant dans chacun des cas suivants ». À la page 727 de son ouvrage, Alpheus Todd écrit ceci :
L'effet légal de la concession d'une fonction, tant que le titulaire se conduira bien, est de créer une charge à vie. De telles fonctions ne prennent fin que pour cause d'infirmité mentale ou corporelle du titulaire, ou à raison d'écart dans sa conduite. Mais comme toute situation conditionnelle, celle-ci peut être perdue par la résolution de la condition qui y est annexée, c'est-à-dire par la mauvaise conduite; par le terme « conduite » on entend la conduite du titulaire de l'office dans l'exercice de ses fonctions officielles. La mauvaise conduite comprend : premièrement, le mauvais exercice des fonctions judiciaires; deuxièmement, la négligence ou un manque d'application dans la fonction; et troisièmement, une condamnation pour un délit infamant...
— les dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique portant sur les sénateurs parlent de « crime infamant », alors que l'ouvrage de Todd parle de « délit infamant » —
... qui, bien qu'il n'ait aucun rapport avec les devoirs de sa charge rend le coupable incapable d'exercer une fonction publique, ou supposant la confiance publique. Au cas de mauvaise conduite dans l'exercice des fonctions, c'est à celui qui nomme le fonctionnaire qu'il appartient de décider si le fait reproché est un acte de mauvaise conduite. D'ailleurs le fonctionnaire révoqué a le droit de prendre toutes mesures qu'il juge convenables pour se défendre. S'il y a mauvaise conduite en dehors de l'exercice des fonctions, elle doit nécessairement être établie par une condamnation préalable prononcée par un jury. Quand la fonction est conférée à vie par lettres patentes, la forfaiture doit être confirmée par un scire facias. Ces principes s'appliquent à toutes les fonctions judiciaires ou administratives occupées en cas de bonne conduite.
Remarquez la concordance des conditions s'appliquant aux juges et aux sénateurs.
Honorables sénateurs, Alpheus Todd se fonde ensuite sur les avis juridiques des procureurs généraux successifs du Royaume-Uni, William Atherton et Roundell Palmer. On peut lire ceci à la page 728 :
[...] lorsqu'une charge publique est conférée à titre inamovible, il doit exister un pouvoir [de destitution en cas d'inconduite]. Lorsque ce pouvoir est mis en œuvre, la durée du mandat n'est pas abrégée; le mandat est plutôt révoqué et la charge est déclarée vacante en raison de la non-exécution de la condition en vertu de laquelle ce poste a été conféré.
Je signale l'emploi du qualificatif « vacante », que l'on retrouve dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, aux articles 31 et 32.
Honorables sénateurs, Joseph Chitty...
Puis-je avoir plus de temps?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Cools : Je suis désolée, toutes ces citations rendent la tâche bien difficile pour les sténographes.
Honorables sénateurs, Joseph Chitty a écrit sur la déchéance et sur la révocation d'une charge. Dans son ouvrage précurseur intitulé A Treatise on the Law of the Prerogatives of the Crown, on peut lire ceci à la page 85 :
Nous avons déjà déduit un important principe des diverses règles sur les postes : étant donné qu'ils sont constitués pour le bien public, il importe qu'ils soient correctement exécutés. À partir de ce principe, une condition est tacitement et péremptoirement ajoutée par la loi à l'octroi de tous postes, à savoir qu'ils soient remplis par les titulaires fidèlement, correctement et diligemment : à défaut de quoi le titulaire est déchu du poste ou susceptible de l'être. Ce principe a toujours été admis [...]
Il ajoute ceci à la page 87 :
En règle générale, si un titulaire, à qui le poste a été conféré par lettres patentes, commet un acte qui peut entraîner sa destitution, il ne peut pas être démis de ses fonctions sans scire facias, ni être complètement évincé ou renvoyé sans un bref, car à son droit garanti doit correspondre un acte de nature aussi élevée.
Honorables sénateurs, le mandat à vie, accordé en vertu des lettres patentes des sénateurs, ne peut pas être modifié ou écourté, contrairement à ce que de nombreux sénateurs croyaient il y a quelques années lorsqu'ils ont convenu avec le premier ministre de siéger pendant huit ans. L'inamovibilité viagère n'est perdue que si le titulaire est déchu de son poste. Si un sénateur dans cette enceinte ne me croit pas, ni les ouvrages qui font autorité, permettez-moi de citer sir John A. Macdonald. Le 5 avril 1867, dans une note à l'intention de notre premier gouverneur général, Monck, il a parlé de déchéance et d'abandon des lettres patentes. Dans son ouvrage publié en 1894 et intitulé Memoirs of the Right Honourable Sir John Alexander Macdonald, Joseph Pope rapporte, à la page 391, que Macdonald a écrit ce qui suit :
Il a été suggéré [...] que les sénateurs détiennent le grade et le titre de Knight Bachelor. Cela semble contestable, puisque le titulaire peut être déchu du poste pour l'une ou l'autre des raisons mentionnées dans la loi [...]
Honorables sénateurs, la déchéance et l'une ou l'autre des sanctions qui s'appliquent relèvent de la compétence du gouverneur général.
La déchéance est exécutée par la personne qui nomme, à savoir le gouverneur général, au moyen de brefs qui annulent la décision d'accorder le mandat à vie. Ce pouvoir appartient uniquement au gouverneur général. Le Sénat et le gouvernement ne sont pas habilités à modifier les lettres patentes de ces sénateurs par voie de suspension ou de révocation. Cette prérogative ne peut être exercée que par le gouverneur général. Les Pères de la Confédération ont constitué le Sénat de la même manière que l'appareil judiciaire, afin de les mettre à l'abri du pouvoir arbitraire despotique, car ils comprenaient la nature de l'ambition et du pouvoir. L'article V des lettres patentes du gouverneur général de 1947 confirme que le pouvoir de suspension ou de destitution appartient au gouverneur général.
Honorables sénateurs, sous le titre « Vacance », l'article 31 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique énumère les cinq cas dans lesquels le siège d'un sénateur devient vacant — présence, absence, serment à une puissance étrangère, et ainsi de suite. Le seul cas vaguement pertinent dans l'affaire qui nous intéresse figure au paragraphe 4.
31. Le siège d'un sénateur devient vacant dans chacun des cas suivants :
(4) il est déclaré coupable de trahison, félonie ou autre crime entraînant une peine infamante;
En d'autres mots, l'inconduite qui justifie que le siège d'un sénateur devienne vacant est définie et codifiée dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, ce qui n'est pas le cas pour les juges.
(2150)
Dans ce cas, la notion de « comportement criminel » est liée à des actes de trahison et à des actes semblables qui vont à l'encontre de l'allégeance à la reine, qui sont un manquement aux serments sacrés. À l'époque, le terme « félonie » désignait des crimes graves relatifs à l'allégeance — autrement dit, il s'agissait de perfidie. Le paragraphe 31(4) ne concerne pas un sénateur qui serait inculpé de vol de bonbons. La Loi constitutionnelle de 1867 dit clairement, à l'article 32, que des sièges deviennent vacants au Sénat par démission, décès ou toute autre cause. Il s'agit de la disqualification.
Son Honneur le Président : Merci à l'honorable sénatrice de son intervention.
Poursuite du débat. Le sénateur Wallace a la parole. Il sera suivi de la sénatrice Dyck.
L'honorable John D. Wallace : Merci, monsieur le Président.
Honorables sénateurs, je pense, comme chacun d'entre vous le fait depuis un certain temps, que nous avons été incapables de songer à beaucoup d'autres sujets en dehors de l'enjeu qui nous réunit ce soir. C'est une période difficile pour nous tous. Elle est difficile pour les trois sénateurs visés par de graves allégations. Néanmoins, nous avons là une responsabilité à assumer à titre de sénateurs.
La motion de suspension a été proposée au Sénat, et elle oblige chacun d'entre nous à prendre la meilleure décision possible sur les allégations qui ont été faites. Nous sommes conscients du sérieux de l'affaire. Nous savons que les conséquences seront graves. Elles ont été graves pour les trois sénateurs visés, et nous savons qu'elles sont extrêmement graves pour la crédibilité de l'institution sénatoriale. Par conséquent, la façon d'aborder la question et les décisions que chacun d'entre nous devra prendre revêtent une importance extrême.
Comme tous les sénateurs, j'ai beaucoup réfléchi à tout cela. J'ai étudié de façon approfondie les motions de suspension, les faits tels qu'ils nous sont connus et se rapportent à chacun des trois sénateurs — Brazeau, Duffy et Wallin — et les règles du Sénat régissant les suspensions. Maintenant que je l'ai fait, j'ai quelques réflexions et observations personnelles à proposer. C'est pour vous en faire part que j'ai voulu prendre la parole ce soir. Je laisse à chacun de vous le soin d'en peser la valeur dans les délibérations.
Honorables sénateurs, comme on dit, je vais commencer par le commencement. Nous sommes réunis ce soir à cause de la motion de suspension à l'étude. À la simple lecture, il est clair que l'ordre de suspension demandé pour chacun des trois sénateurs se fonde sur la négligence grossière alléguée dans la gestion des ressources parlementaires accordées aux sénateurs. C'est là que réside à mon avis le problème fondamental. Nous devons examiner les faits qui nous sont connus et qui étayent les allégations de négligence grossière.
Beaucoup de collègues qui ont pris la parole ont souligné qu'il est important, et c'est tout à fait exact, que notre institution et nous soyons responsables, comptables de ce que nous faisons et de la manière dont nous le faisons. Nous l'exigeons les uns des autres. Nous devons le faire, et notre institution doit pouvoir attendre cela de nous, tout comme nous l'attendons d'elle. C'est une affaire entendue.
Le problème auquel nous devons nous intéresser précisément est la grossière négligence qu'on reproche aux trois sénateurs. D'abord, et je ne suis pas le premier à le dire, il faut comprendre ce qu'on entend par « grossière négligence ». Quelle est la norme à partir de laquelle nous pouvons juger les faits pour savoir s'il y a eu transgression? Je dirais qu'il incombe clairement à l'auteur de la motion de suspension de fournir cette explication.
Je ne suis pas sûr de l'avoir encore entendue, cette explication. Je ne suis pas sûr qu'on m'ait expliqué cette norme, mais je m'en tiendrai là.
Les faits dont nous devrons tenir compte, qu'il faut considérer pour voir s'il y a eu négligence grossière de la part de l'un ou l'autre sénateur, sont propres à chacune des situations. La décision sur la grossière négligence doit être claire et dénuée de toute ambiguïté, et nous devons considérer les faits, les circonstances, séparément dans chaque cas. Cela ne peut se regrouper. Il y a une seule motion, mais, comme il a été demandé, nous voterons séparément sur chacun des cas. Rien ne dit que les sénateurs auraient en quelque sorte conspiré pour agir collectivement, de sorte qu'on puisse les considérer comme un groupe. Ce n'est pas la situation qui se présente à nous.
Nous devons prendre le temps et réfléchir à chacune des situations séparément, et les faits doivent reposer sur ce qui est présenté au Sénat, non sur ce que nous avons lu dans les journaux, non sur des allégations non étayées, même pas celles qu'on attribue à la GRC et à des travaux que nous faisons. Il faut se fonder sur les faits dont le Sénat est saisi.
Qu'a-t-on présenté au Sénat? Nous avons les rapports de Deloitte sur chacun des trois sénateurs, les rapports du Comité de la régie interne et les autres renseignements présentés au Sénat, parfois par chacun des trois sénateurs eux-mêmes. Et bien entendu, nous avons l'avantage d'écouter ce que chacun des autres sénateurs apporte au débat dans cette enceinte.
Nous devons considérer les allégations précises de grossière négligence qui pèsent sur chacun des sénateurs et y réfléchir. Je dois vous dire que, d'après le rapport Deloitte et les rapports que j'ai étudiés, les allégations de négligence grossière découlent de demandes de remboursement de frais de subsistance et de déplacement.
Comme vous le savez tous, beaucoup de ceux qui sont considérés comme en voyage, c'est-à-dire dont la résidence principale est située à plus de 100 kilomètres d'Ottawa — ce qui est le cas de beaucoup d'entre nous — pourraient réclamer des frais d'hébergement et de déplacement.
Je suis remonté à 2009, année où j'ai été nommé au Sénat et où les sénateurs Duffy, Brazeau et Wallin ont également été nommés. J'ai regardé ce que le Règlement dit au sujet de la résidence principale et de la question du déplacement, parce que c'est le fondement sur lequel les sénateurs se sont appuyés pour réclamer le remboursement de leurs dépenses. Le Règlement est-il clair? Peut-on le lire et le bien comprendre? Prête-t-il à confusion? Je dois dire que je ne m'en suis jamais préoccupé avant que tout cela se produise. J'ai remarqué certaines choses sur lesquelles je veux attirer votre attention. Vous y accorderez la considération que vous voulez.
(2200)
Dans le Règlement administratif du Sénat de 2009, que je ne lirai pas explicitement et me contenterai de paraphraser, il est dit qu'un sénateur dont la résidence provinciale — non pas sa résidence principale, mais sa résidence dans la province ou le territoire qu'il représente — est située à plus de 100 kilomètres de la Colline du Parlement est considéré comme étant en voyage et a droit au remboursement de ses frais de subsistance et de déplacement.
La notion de « résidence provinciale » a piqué ma curiosité et je me suis demandé ce que cela désigne. Qu'entend-on par « résidence provinciale »? Vous savez, cela a de l'importance dans toute cette histoire puisque les réclamations et les discussions entourant la question de la résidence principale semblent se résumer principalement à savoir si la résidence principale est la résidence du sénateur dans la province ou le territoire qu'il représente ou celle qu'il peut avoir dans la région de la capitale nationale. Si vous avez les deux, laquelle est la principale et laquelle est la résidence secondaire? C'est une question cruciale aux fins de la réclamation de dépenses.
Donc, en 2009, le règlement administratif parlait de « résidence provinciale » et non de « résidence principale ». En 2004, « résidence provinciale » désigne « la résidence d'un sénateur dans la province ou le territoire qu'il a été désigné pour représenter ». Cette définition a été modifiée en 2013 et est devenue : « Foyer d'un sénateur que le sénateur a identifié au Sénat à des fins administratives comme son foyer principal », et on précise ici encore, « dans la province ou le territoire qu'il ou elle représente. »
Je ne citerai pas tous les documents qui traitent de la question, mais dans certaines lignes directrices et documents du genre à compter de 2009, on emploie « résidence principale » dans pratiquement le même contexte, mais la notion n'est pas définie avant 2012, dans la Politique régissant les déplacements des sénateurs.
La question au cœur des demandes soumises par les sénateurs Brazeau et Duffy, plus particulièrement, est la suivante : où se trouve leur résidence principale? Elle est fondée sur les déclarations déposées par chacun d'entre eux. Comme vous le savez, nous devons soumettre ces déclarations annuellement et déclarer si notre résidence principale se trouve dans un rayon de 100 kilomètres de la région de la capitale nationale ou à l'extérieur de ces limites. Puis, dans le cadre de ces déclarations, nous devons indiquer l'adresse de la résidence principale dans le territoire ou la province que nous représentons.
Cette question prête à confusion. Vous devez vraiment prendre le temps d'examiner les règles pour déterminer ce qu'elles disent. Le Comité de la régie interne a demandé à Deloitte dans chacun des trois cas, pour chacun des trois sénateurs, de déterminer où leur résidence principale est située.
Dans le cas du sénateur Brazeau, selon ce que j'ai lu dans les rapports de Deloitte et dans ceux du Comité de la régie interne, c'est vraiment le seul enjeu en cause. Les demandes qu'il a soumises étaient en lien avec ses déclarations de résidence principale. Est-ce que sa résidence principale se trouvait au Québec, à Maniwaki ou bien à Ottawa? Est-ce que la résidence principale du sénateur Duffy se trouvait à l'Île-du-Prince-Édouard ou à Ottawa?
Je ne vais pas vraiment parler de la sénatrice Wallin parce que le Comité de la régie interne a déterminé qu'elle se conformait aux exigences liées à la résidence et que sa résidence était en Saskatchewan. La question de résidence principale ne la concerne donc pas vraiment.
On a demandé à Deloitte de déterminer où se trouvait la résidence principale de chacun des sénateurs en question. Deloitte est parvenu à certaines conclusions dans chacun des rapports. Je vais vous les lire.
2. La terminologie utilisée pour les différentes résidences mentionnées ou discutées dans les règlements et les lignes directrices pertinents manque de clarté. Les termes suivants sont utilisés sans être clairement définis : résidence principale, résidence secondaire, résidence dans la RCN, résidence dans la province [...] résidence déclarée [...]
3. Comme les politiques et lignes directrices en vigueur durant la période d'examen n'offraient pas de critères de détermination de la résidence principale, il nous est impossible en nous fondant sur eux d'évaluer ce qu'il en est de la résidence principale du [sénateur en question].
Je voudrais vous dire qu'en tant qu'avocat, je ne soulève pas ces points pour bâtir une défense voulant que les règles ne soient pas claires. Ce n'est pas ce que je veux faire. Je n'essaie pas de faire une démonstration concernant les violations des règles qu'auraient prétendument commises nos collègues. Mais je crois que cette information est cruciale dans les allégations contre eux, et je crois que vous devez en prendre connaissance.
Des voix : Cinq minutes.
Son Honneur le Président : Cinq minutes, d'accord.
Le sénateur Wallace : La question fondamentale, en particulier dans le cas des sénateurs Brazeau et Duffy, consiste à savoir s'ils se sont rendus coupables de négligence grave dans leur déclaration de résidence principale. Selon moi, les allégations contre eux reposent essentiellement sur le fait qu'ils auraient été négligents lorsqu'ils ont indiqué l'emplacement de leurs résidences. L'ont-ils bel et bien été? C'est à cela que vous devez réfléchir.
Pouvons-nous affirmer sans l'ombre d'un doute qu'il n'existe aucune autre explication que la négligence grave à ce qu'ils ont fait?
Je n'aurai pas le temps de vous lire tous les documents de référence, mais qu'il me suffise de dire que, selon la section intitulée « Frais de subsistance des sénateurs dans la région de la capitale nationale » du Guide des ressources pour les sénateurs, la résidence principale est toujours définie de la même manière. Il s'agit de désigner la résidence principale du sénateur dans la province ou le territoire qu'il représente. C'est exactement la formule employée dans les déclarations dont vous vous souvenez certainement puisque nous les faisons chaque année. On nous demande d'indiquer notre résidence principale dans la province ou le territoire que nous représentons.
Encore une fois, je ne vais pas lire tous les...
Des voix : Oh, oh!
Le sénateur Mercer : Il commence à peine à se mettre en train.
Le sénateur Wallace : Deux des éléments que je veux porter à votre attention — et, encore une fois, c'est dans les décisions prises par la Régie interne dans ses rapports concernant chacun des trois sénateurs, comme on l'a déjà dit. On ne peut rien y changer. Il n'est pas question de faire appel de ces décisions. On peut avoir une opinion différente sur certaines des conclusions, mais j'aimerais faire quelques observations.
Le comité a décidé que les indicateurs de résidence principale pourraient être pertinents pour déterminer le lieu de la résidence principale. Comme nous le savons tous, le 28 février 2013, à la suite du dix-neuvième rapport du comité, nous avons tous été tenus de présenter notre permis de conduire, notre carte d'assurance-maladie provinciale, nos déclarations de revenus et des déclarations signées. Ces pièces justificatives donnent une indication du lieu de la résidence principale.
Je vais dire un mot ou deux à ce sujet. J'ai examiné les exigences concernant le lieu de résidence pour chacune de ces cartes et elles diffèrent. Elles sont toutes différentes. Il y a vraiment très peu de similarités entre elles, et quand on les compare d'une province à l'autre, il y a des variations considérables.
(2210)
En outre, le Comité de la régie interne a conclu que, pour déterminer où était la résidence principale et si elle est située dans la région de la capitale nationale ou dans la province ou le territoire représentés, il prendrait en considération le pourcentage de temps que le sénateur passe dans chaque région. C'est indiqué dans le dix- neuvième rapport du comité, daté du 28 février 2013. Ni les habitudes de déplacements ni les indicateurs de résidence principale n'étaient demandés avant le 28 février 2013. Pourtant, en lisant le rapport de Deloitte, qui couvre l'activité durant la période examinée — qui tombait en 2011, 2012 et, dans certains cas, remonte à 2009 —, vous voyez que ces indicateurs sont mentionnés, mais ils n'ont été instaurés qu'à une date ultérieure, le 28 février 2013.
Honorables sénateurs, je soupçonne que mon temps de parole tire à sa fin. En terminant, je voudrais attirer votre attention sur le fait que le Comité de la régie interne et Deloitte n'ont pas exprimé d'avis, pas plus qu'on ne leur a demandé de le faire, quant à savoir s'il y avait eu grossière négligence. On ne leur a pas demandé de le faire. Ils ne l'ont pas fait. Il nous incombe donc de le faire. Nous devons toujours regarder l'information dont nous disposons et juger par nous-mêmes, et je pense qu'il est important d'en être conscients.
D'aucuns pensent que, parce que le Comité de la Régie interne a déterminé que certaines sommes devraient être payées, cela confirme qu'il y a eu grossière négligence. Je vous dirais que ce n'est pas exact. Le remboursement de sommes peut être réclamé à des sénateurs pour différentes raisons et cela arrive souvent en raison d'erreurs administratives ou d'autres erreurs. Mais, d'alléguer que c'est en raison d'actes de grossière négligence, c'est une tout autre chose et on ne peut pas simplement sauter aux conclusions. Chacun de nous doit examiner la situation et les circonstances pour chacun des trois sénateurs et tirer ses conclusions.
Je vous remercie de votre attention, sénateurs, et j'espère que ces observations vous seront utiles.
L'honorable Lillian Eva Dyck : Il commence à se faire tard. Les deux dernières semaines ont été absolument sensationnelles. Nous retardons les travaux du gouvernement selon certains, mais nous en tirons des leçons. J'en apprends tellement au sujet du Sénat, des fonctions parlementaires, des principes d'équité et de justice. Je ne peux imaginer de meilleure formation pour un nouveau sénateur, ce que je me considère encore moi-même, bien que mon arrivée ici remonte à huit ans.
Je vais citer un jeune homme qui a travaillé à la CBC pendant une courte période. Il s'appelle Wab Kinew. Vous l'avez peut-être vu à la télévision. Il a produit l'émission intitulée « 8th Fire ». Il était d'une grande sagesse. Il a dit un jour que nous avions plus de choses en commun que de différences. Selon moi, il est vrai, même dans le cas qui nous occupe, que nous avons plus de choses en commun que nous avons de différences. En effet, nous souhaitons tous voir la situation résolue. Nous pensons tous que des demandes de frais ont été faites et que des dépenses ont été remboursées indûment, et nous voulons que des mesures soient prises, que des sanctions soient imposées. Mais nous sommes en désaccord sur la nature de ces sanctions et sur le processus, plus précisément sur l'équité du processus. Comme je l'ai dit durant une allocution précédente, je considère que le processus n'a pas été juste envers les trois sénateurs — M. Duffy, Mme Wallin et M. Brazeau — et je trouve que nous avons agi précipitamment.
La sanction proposée dans cette motion, la suspension sans salaire, est, selon notre Règlement, la sanction que nous réservons habituellement aux sénateurs trouvés coupables d'une accusation criminelle durant une procédure judiciaire. Il s'agit d'une sanction très sévère. Je la considère comme très grave. Voilà pourquoi je suis d'avis que nous devions prendre notre temps pour déterminer si nous appuyons ou non cette motion.
Le bon côté dans tout ça, et plusieurs sénateurs y ont fait allusion, c'est que nous pourrons prendre du recul et nous demander ce que nous pourrons faire la prochaine fois et ce que nous avons appris. Il faut instaurer un meilleur processus, tel le renvoi à un comité spécial, et élaborer un code de conduite pour que nous sachions ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.
J'aimerais mettre l'accent ce soir sur le possible conflit entre le débat que nous tenons dans cette enceinte sur ces motions de nature disciplinaire visant les trois sénateurs et les conséquences que le débat pourrait avoir sur les enquêtes criminelles ou sur les accusations qui pourraient être portées par suite d'une telle enquête. Le sénateur Baker a soulevé la question à plusieurs reprises, et il affirme qu'il pourrait y avoir de graves problèmes, et le sénateur Nolin s'est aussi penché sur la question et il pense que le sénateur Baker a tort.
Je suis d'avis que, si c'est du domaine du possible, pourquoi risquer le coup? Ne devrions-nous pas faire preuve de prudence?
Bien des gens ont dit au cours des dernières semaines qu'il est clair que le Sénat est maître de ses affaires et que lui seul peut gérer et régir ses travaux. Il a été souligné que nos délibérations peuvent avoir de graves conséquences pour les enquêtes policières sur les crimes qu'auraient peut-être commis les sénateurs Duffy, Wallin et Brazeau.
Le gouvernement a soutenu que le débat du Sénat sur l'imposition de mesures disciplinaires n'aurait aucune incidence sur les enquêtes de la police visant les trois sénateurs, lesquels sont soupçonnés de fraude et d'abus de confiance. Cependant, lorsque deux autres pays du Commonwealth, soit le Royaume-Uni et l'Australie, ont été aux prises avec des cas semblables de fraude, d'abus de confiance et de vol, ils ont choisi l'autre voie pour éviter d'empiéter sur les procédures judiciaires. Ils ont mis le holà et, dès le début de l'enquête policière, soit avant même que des accusations aient été portées, ils ont cessé leurs enquêtes internes, lesquelles visaient un lord ou un député. Aux parlements australien et britannique, les Chambres visées ont décidé de suspendre leurs enquêtes internes, puis, lorsque les enquêtes policières ont été terminées, peu importe que des accusations aient été portées ou non, elles ont repris leur propre processus. Elles ont donc décidé de faire preuve de prudence.
Le leader du gouvernement a également parlé de ce qui s'est produit à la Chambre des lords, au Royaume-Uni, et a fait valoir que cette situation constituait un précédent en ce qui concerne les motions visant à suspendre les trois sénateurs sans salaire. Cependant, il a omis de mentionner que les procédures disciplinaires visant à suspendre les lords ont été interrompues lorsque la police métropolitaine a elle-même entrepris des enquêtes criminelles à propos des mêmes allégations. Je le répète encore pour que nous sachions tous ce qui s'est produit.
Si la Chambre des lords a agi de cette façon, c'est d'abord et avant tout parce qu'elle ne voulait pas compromettre d'éventuelles enquêtes policières ou poursuites criminelles, mais qu'elle voulait tout de même assurer une certaine équité et voir à ce que la procédure soit respectée. La Chambre ne voulait pas s'ingérer dans l'enquête policière, ni dans le dépôt d'éventuelles accusations.
En 2009, après que le Daily Telegraph et d'autres médias ont largement fait état des allégations de dépenses parlementaires excessives, la Chambre des lords du Royaume-Uni ainsi que le greffier des Parlements ont entrepris une enquête à ce sujet. Comme je l'ai mentionné, cette enquête interne a été suspendue ou interrompue lorsque la police métropolitaine a elle-même entrepris des enquêtes criminelles à propos des mêmes allégations. L'enquête interne et les procédures disciplinaires n'ont repris que lorsque la police métropolitaine a informé le greffier des Parlements qu'elle avait conclu qu'il n'était pas nécessaire de déposer des accusations ou qu'il y avait matière à poursuite et qu'il convenait alors d'attendre la fin des poursuites criminelles.
Je tiens à le répéter : lorsque les policiers ont entrepris leur propre enquête au sujet des mêmes allégations de dépenses parlementaires excessives, la Chambre des lords a décidé de suspendre — quel mot terrible que le mot « suspendre »; il porte à confusion — ou d'interrompre ses procédures disciplinaires internes jusqu'à ce que les procédures criminelles prennent fin, que ce soit parce qu'on avait décidé de ne pas déposer d'accusations, selon l'avis des policiers, ou parce que le procès criminel était terminé. Donc, les deux processus se sont déroulés de façon tout à fait distincte. Les deux enquêtes n'ont pas eu lieu en même temps.
(2220)
Le raisonnement derrière cette position est présenté dans la décision rendue en 2010 par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l'affaire R. c. Chaytor. Dans sa décision, la cour a dit que le processus avait été convenu par les Chambres du Parlement et les services policiers. Voici ce qu'elle a dit :
La présidence a réitéré la conviction du comité dans le principe général voulant que les poursuites criminelles contre des députés, si elles sont jugées appropriées, devraient avoir préséance sur les procédures disciplinaires de la Chambre [...]
Dans de tels cas, la présidence a confirmé que le comité s'attendait habituellement à ce que le commissaire parlementaire suspende son enquête jusqu'à ce que la question d'éventuelles poursuites criminelles soit résolue.
De plus, la cour a également répondu, au paragraphe 81 de sa décision, à la question plus large de savoir si les procédures disciplinaires au Parlement et les poursuites criminelles pour le même acte criminel sont liées :
Lorsqu'un acte criminel est commis à la Chambre des communes, il pourrait très bien s'agir d'un outrage au Parlement. Les tribunaux et le Parlement ont des compétences différentes, mais qui se chevauchent. La Chambre peut prendre des procédures disciplinaires pour outrage et le tribunal peut juger l'accusé pour acte criminel. Si des poursuites sont intentées, le Parlement suspend ...
— interrompt —
... toute procédure disciplinaire. À l'inverse, si un député s'était vu imposer des sanctions disciplinaires par la Chambre, le service des poursuites pénales de la Couronne déterminerait s'il est dans l'intérêt public d'intenter des poursuites. En 1988, le député Ron Brown avait endommagé la masse lors d'un débat houleux et refusé de présenter des excuses. La Chambre avait alors exercé ses pouvoirs en matière pénale pour le punir d'avoir endommagé la masse et manqué de respect envers l'autorité de la présidence. Le directeur des poursuites pénales avait ensuite fait avorter une tentative d'intenter une poursuite privée.
Le tribunal a conclu que, de toute façon, si la Chambre impose des sanctions au député et que des poursuites criminelles pouvaient aussi être intentées, le Crown Prosecution Service doit tenir compte de la sanction afin de déterminer si la poursuite servirait les intérêts du public : bref, s'il y a recoupement. On tiendrait donc compte de la sanction dans la procédure pénale et le procès subséquent. Cet aspect rejoint les arguments du sénateur Baker en ce qui concerne le principe, au criminel, voulant qu'une personne ne puisse pas être poursuivie ni punie deux fois pour la même infraction. Ces sénateurs pourraient donc faire valoir qu'ayant déjà été punis en vertu du pouvoir exclusif du Sénat, le tribunal ne peut pas leur imposer d'autres sanctions.
Quoi qu'il en soit, il serait inacceptable qu'une mesure disciplinaire imposée au Sénat évite à ces trois sénateurs d'être traduits en justice ou que tous les appels et les motions ne retardent les procédures pénales dont ils font l'objet.
Autrement dit, honorables sénateurs, à défaut de conseils juridiques de nos propres spécialistes en matière de procédure parlementaire et de droit criminel, pourquoi sommes-nous prêts à courir le risque juridique que nos actions puissent mettre ces trois sénateurs à l'abri en cas de poursuites criminelles? Voilà le risque. Choisirons-nous de le courir en poursuivant notre démarche?
Dans les mots des conservateurs, si les sénateurs ont commis le crime et que nous les poursuivons au Sénat, devront-ils purger leur peine?
Honorables sénateurs, le Royaume-Uni n'est pas le seul pays qui privilégie les poursuites pénales au détriment des mesures disciplinaires du Parlement. En Australie, le Parlement du Queensland a connu une situation similaire dans le cas du député Gordon Nuttall. Pendant les délibérations du Comité de l'éthique, quelqu'un a déclaré ce qui suit :
[...] que la procédure établie du comité, lorsqu'il est question d'allégations d'outrage et peut-être aussi d'une infraction criminelle, consiste à ne prendre aucune mesure relativement au possible outrage tant que les mesures qui se rapportent à l'infraction criminelle présumée ne sont pas terminées.
Cette façon de faire est conforme aux principes en vigueur au Royaume-Uni, selon lesquels toute enquête menée par le comité de l'éthique à propos d'un outrage risquerait de nuire à une éventuelle procédure pénale ou à la défense qu'une personne pourrait alors présenter.
Pendant la période qui a précédé le procès de M. Nuttall, les retombées que pourrait avoir une procédure pour outrage ont fait l'objet d'un avis juridique indépendant. Dans son avis, M. Davis, C.R., a indiqué qu'il fallait interrompre la procédure pour outrage, une affaire interne du Parlement, jusqu'à la fin de la procédure pénale.
Dans les deux cas, l'affaire interne du Parlement a été mise en suspens jusqu'à la fin de l'enquête policière ou, en cas de poursuite, jusqu'à la fin de la procédure pénale.
J'aimerais rappeler aux sénateurs que, bien que les motions ne l'indiquent pas, le gouvernement a soutenu que les trois sénateurs avaient commis un outrage, une infraction parlementaire.
Pendant le débat entourant la motion actuelle et les trois motions précédentes, des sénateurs des deux côtés ont fait valoir que notre façon de procéder ne respectait pas la procédure établie et n'était pas équitable envers les trois sénateurs. Je suis d'accord. Plus graves encore, les gestes que nous posons ici pourraient empêcher le déroulement juste et équitable de la procédure pénale.
Le gouvernement aimerait nous convaincre que les gestes que nous posons ici, par exemple le fait de conclure qu'une personne a commis une négligence grossière, n'ont aucune incidence sur la procédure pénale qui se déroule actuellement. Je soutiendrais toutefois que les précédents établis par la Cour suprême du Royaume-Uni et de l'Australie indiquent exactement le contraire. D'ailleurs, si on regarde les sanctions décrites dans le Règlement, comme je l'ai dit auparavant, la suspension sans solde peut être imposée une fois qu'un sénateur a été reconnu coupable d'une infraction criminelle, mais pas avant, et certainement pas avant sa mise en accusation.
La façon idéale de procéder, à cette étape-ci, ce serait d'arrêter immédiatement ce que nous avons entrepris. Le deuxième choix consisterait à suivre la proposition du sénateur Cowan et à renvoyer le dossier à un comité indépendant. Il faut mettre en place les structures et les processus dont nous avons besoin.
Une deuxième différence importante par rapport au précédent établi par la Chambre des lords, c'est que le cas de chaque lord a été examiné et évalué séparément. Chaque lord a pu faire appel et a ensuite été condamné à une suspension et à un remboursement distincts. La Chambre des lords n'a pas mis les trois lords dans le même panier. Vous savez, dans le genre vite qu'on s'en débarrasse, alors on les met tous dans le même panier.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, une fois que le service de police a informé le greffier du Parlement qu'il y avait matière à poursuites criminelles, on a chargé le sous-comité de la Chambre des lords de mener une enquête et de recommander les sanctions à imposer aux lords en question.
Puis-je avoir cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président suppléant : La sénatrice demande cinq minutes de plus. Est-ce d'accord?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Dyck : Merci.
Dans ses rapports, le sous-comité de la conduite et des privilèges de la Chambre des lords a recommandé des suspensions d'une durée variable, allant de quatre mois à la durée restante de la session parlementaire. Par conséquent, dans ces cas, les lords qui n'avaient pas été accusés d'une infraction criminelle avaient, je crois, quand même été suspendus sans solde, mais seulement pendant quatre mois, une durée nettement inférieure à celle que nous envisageons dans ces cas-ci. Des rapports portant sur les suspensions recommandées ont ensuite été présentés à la Chambre, où ils ont été débattus et adoptés.
Comme l'ont déclaré plusieurs sénateurs, dans les motions de suspension dont nous sommes saisis, on met tous les sénateurs dans le même panier en se fondant sur des preuves fournies par le Comité de la régie interne et la firme Deloitte chargée de la vérification externe. Ce n'est pas un outrage ou une négligence grossière qui est à l'origine de la motion, mais une vérification. Notre processus est très loin de respecter le précédent établi par la Chambre des lords. Je pense que c'est cette Chambre qui devrait nous servir de modèle et que nous devrions respecter les précédents qu'elle a établis.
Nous devrions certainement permettre aux trois sénateurs de bénéficier d'une procédure équitable, ce qui assurerait le respect du principe de l'équité dans les procédures subséquentes.
Au Royaume-Uni et en Australie, comme je l'ai dit, lorsque se sont produits des problèmes semblables de dépenses non admissibles, les enquêtes ont été suspendues le temps que la police ait fini son travail. On a procédé ainsi là-bas pour ne pas s'ingérer dans des procédures judiciaires. Dans les cas qui nous intéressent, les sénateurs mis en cause pourraient soutenir qu'ils ont déjà été punis par le Sénat, ce qui serait bien le comble de l'ironie, honorables sénateurs. Ils pourraient faire valoir qu'ils ont été suspendus sans salaire jusqu'à ce que nous décidions de lever la sanction en vertu d'une règle quelconque qui dirait que c'est le temps de le faire. Ils pourraient se dire punis à un degré tel que les tribunaux ne pourraient absolument pas les punir davantage. Ils auraient été punis en vertu de l'autorité exclusive du Sénat. Donc, l'affaire pourrait prendre une tout autre tournure que ce que souhaitent les partisans de la punition.
(2230)
Je pense que nous sommes tous d'avis qu'il faut faire quelque chose. Les sénateurs doivent se voir imposer des sanctions, mais je pense aussi que nous ne devons pas procéder à la hâte, sans avoir dûment réfléchi. Honnêtement, je ne pense pas que le résultat sera bon. Si je me fie aux lettres que nous avons reçues, au début, l'opinion publique réclamait la tête des sénateurs. « Débarrassez- nous d'eux. Expulsez-les. Suspendez-les ». Mais maintenant, les lettres disent plutôt qu'à l'instar de tous les autres Canadiens, ils ont le droit d'être traités équitablement. Nous devons donc bien réfléchir. Comme nous sommes la Chambre de second examen objectif et que nous sommes en train d'établir un précédent au Parlement du Canada, nous devons faire le bon choix. Après avoir soupesé la question, nous devons rejeter cette motion et appuyer l'amendement. L'idéal, évidemment, serait de tout arrêter et de recommencer à neuf.
Son Honneur le Président suppléant : Des questions? Le sénateur Mitchell?
Nous poursuivons le débat avec le sénateur Lang.
L'honorable Daniel Lang : Chers collègues, je prends la parole aujourd'hui parce que nous, les sénateurs, devons rétablir la confiance du public envers le Sénat. Comme mon collègue, le sénateur Mockler, je constate qu'il s'agit d'un des débats les plus difficiles de ma carrière politique. Dans nos vies personnelles et dans nos vies publiques, il est important de comprendre qu'aucun sénateur n'est plus important que l'institution elle-même.
Lorsque nous avons accepté l'invitation de servir au Sénat, il était implicite que nous devions nous comporter de façon irréprochable. Autrement dit, on s'attend à ce que nos actes engagent toujours notre honneur personnel.
J'utilise l'expression « honneur personnel », qui est utilisée depuis des siècles dans le système parlementaire britannique pour décrire les principes directeurs qui régissent la conduite des parlementaires. Au bout du compte, on s'attend à ce que chacun d'entre nous agisse conformément aux normes prévues par le Sénat et le Parlement dans son ensemble.
J'attire l'attention des sénateurs sur les observations formulées par notre ancien collègue, le distingué sénateur Lowell Murray. Il a écrit ceci :
Aucun d'entre nous n'est au Sénat de droit et nul n'a été choisi par l'électorat. C'est un privilège extraordinaire que de participer pleinement et à titre presque inamovible au processus législatif national. Par conséquent, nous avons d'autant plus l'obligation de faire très consciencieusement notre devoir.
Le sénateur Murray a mis en évidence notre obligation de faire notre travail de façon consciencieuse et de manière à respecter les contribuables.
Honorables sénateurs, aucun sénateur n'est plus important que le bien-être de notre institution. C'est pour cette raison que la Constitution laisse au Sénat l'entière responsabilité de discipliner ses membres.
Les sénateurs qui ont pris la parole ont unanimement reconnu que la conduite des sénateurs concernés mérite une sanction, sous une forme ou une autre. La plupart des Canadiens voient très clairement quel est le problème. Des représentants du Sénat ont trahi la confiance qui leur a été accordée et ils doivent rendre des comptes. La décision qu'on nous demande de prendre consiste à choisir une suspension avec ou sans salaire.
Plus tôt au cours du débat, les sénatrices Cools et McCoy ont proposé un congé avec solde. Toutefois, je ne pense pas que cette approche rétablira la confiance du public à l'égard du Sénat.
Durant le débat, nous avons passé beaucoup de temps à déterminer si le Sénat a ou non le pouvoir de suspendre un sénateur sans salaire à cause de sa conduite. Comme la plupart d'entre vous, je n'ai aucun doute que nous avons ce pouvoir, et que nous en avons également la responsabilité.
Je tiens à préciser que, il y a moins de six mois, le Sénat a adopté le projet de loi C-42, Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada, qui a élargi le pouvoir de la GRC de suspendre un membre sans salaire pour violation du code de conduite, quelle que soit la possibilité que des accusations soient portées.
Comme nous avons fixé la norme pour les agents de la GRC, ne devrions-nous pas être tenus de respecter la même norme que nous imposons aux femmes et aux hommes de notre service de police national? Il n'est pas raisonnable, à mon sens, de proposer que nous suspendions les sénateurs avec salaire en attendant que les autorités ou un comité terminent leur examen. Le public n'acceptera pas une telle mesure puisque les sénateurs recevraient leur plein salaire et leurs avantages pendant des mois ou même des années en attendant la fin de l'enquête. Certains membres du public pourraient même affirmer qu'une telle sanction revient à des vacances payées. Ce n'est pas en imposant une suspension avec salaire que nous rétablirons la confiance du public dans le Sénat ou dans les sénateurs.
Certains d'entre nous ont soulevé la question du respect de la procédure. Bien que le processus ne soit pas parfait, il convient de signaler que les rapports dont nous sommes saisis ont été approuvés à l'unanimité par 15 membres du Sénat appartenant aux deux partis politiques. Chacun de ces collègues a eu l'occasion de consulter le vérificateur pour présenter ses arguments. Tous les sénateurs ont accepté la validité des rapports de vérification.
Durant le débat, certains ont recommandé que nous renvoyions la question à un comité spécial. Maintenant que le Sénat est saisi de l'affaire et que tous ses membres peuvent participer à l'examen, il faut se demander quel serait l'avantage de saisir un comité spécial de l'affaire ou de réexaminer le travail du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, qui a déjà été approuvé par tous les sénateurs.
Si nous suivons cette recommandation, nous aurons au bout du compte un autre rapport fondé sur les mêmes vérifications de Deloitte dont nous parlons depuis deux semaines et demie et qui ont déjà coûté des centaines de milliers de dollars aux contribuables. Un autre rapport nous ramènera au point où nous étions le 17 octobre. Ce n'est pas la façon de rétablir la confiance du public à l'égard du Sénat et des sénateurs. Nous sommes saisis de la question et nous devons nous en occuper. Un processus équitable, qu'on l'appelle comme on voudra, a lieu, même si cela ne nous plaît pas.
Chers collègues, nous avons eu au Sénat de nombreuses heures d'un débat qui ne pouvait pas être plus ouvert et transparent. Il faut maintenant prendre une décision. Quand le temps sera venu de voter, la décision que nous prendrons aura des répercussions permanentes sur la réputation du Sénat et la confiance du public à son égard et à l'égard de nous tous. Nous créerons un précédent en ce qui concerne les conséquences de la conduite des sénateurs. La gravité des infractions devra être mesurée à l'aune des décisions que nous prendrons.
Les motions sur lesquelles nous allons nous prononcer m'ont causé beaucoup d'angoisse, car j'ai comparé la vérification des dépenses du sénateur Brazeau faite par Deloitte avec celles de ses collègues pour essayer de voir en quoi elle leur ressemblait. Je souligne que le sénateur Brazeau satisfait aux quatre critères pour ce qui est de la résidence. Il a deux demandes de remboursement, l'une de 72,48 $ et l'autre de 72,49 $ que le vérificateur juge contestables, mais pour lesquelles il n'estime pas que le sénateur doive nécessairement rendre l'argent reçu. Les 28 déplacements effectués par le sénateur Brazeau entre Maniwaki et Ottawa ont été considérés comme conformes au Règlement et, contrairement aux autres, ni le comité, ni le Sénat n'a renvoyé le cas du sénateur Brazeau aux autorités appropriées.
Quand le sénateur Brazeau a réclamé le remboursement de ses frais de logement dans la région de la capitale nationale, il a déclaré au Sénat qu'à ce qu'il comprenait, il avait le feu vert des Finances pour réclamer un remboursement pour l'année tout entière. Il a d'ailleurs déposé un courriel le confirmant.
(2240)
Je suis d'accord avec le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration pour dire que le sénateur aurait dû être plus avisé. Toutefois, je ne crois pas que ses gestes justifient une sanction aussi longue que celle proposée pour les deux autres sénateurs. Sa conduite devrait lui valoir une suspension sans salaire pour une période plus courte. Pour cette raison, je vais m'abstenir de voter sur la motion applicable au sénateur Brazeau. Toutefois, dans le cas du vote sur les deux autres sénateurs, je vais appuyer les motions proposées.
Le sénateur Runciman : Monsieur le Président, j'aimerais poser une question au sénateur Lang.
Je tiens à lui faire savoir que je partage ses préoccupations quant à la sanction imposée au sénateur Brazeau, compte tenu de la vérification indépendante. Je me pose des questions — tout comme vous, j'imagine, compte tenu de vos commentaires — sur la position adoptée par l'opposition officielle, qui a indiqué à quelques reprises qu'elle souhaitait que la situation de chacun des sénateurs soit examinée séparément. Pourtant, ce soir, la leader adjointe de ce parti a pris la parole dans cette enceinte pour dire que son parti allait fouiller dans les règles et les procédures afin de trouver une façon de s'opposer à cela, si possible.
En même temps, l'opposition prétend qu'elle ne se livre pas à des jeux politiques au sujet de cette question très importante. Une possibilité s'offre à nous. Certains d'entre nous ont des préoccupations, tout comme l'opposition. Toutefois, celle-ci ne va pas nous permettre — du moins c'est la position adoptée par le leader adjoint, avec l'appui de ses collègues, je présume — de participer au vote comme nous le souhaitons. Qu'en pensez-vous?
Le sénateur Lang : Chers collègues, je partage ces préoccupations, mais je pense qu'au bout du compte, le bon sens l'emportera. Je pense que la motion dont nous sommes saisis est très claire. Loin de moi l'idée de conseiller le Président quant à la décision qu'il devrait prendre, mais il me semble que nous devrions avoir le droit et le privilège de voter sur la situation de chacun des sénateurs séparément.
Je pense que les sénateurs d'en face, une fois qu'ils auront réfléchi à la question, conviendront que c'est de cette façon que nous devrions procéder si nous voulons agir de manière équitable dans ce dossier. C'est un triste jour pour nous tous, et je crois que c'est de cette manière que les choses devraient se dérouler.
Son Honneur le Président suppléant : Le sénateur Dallaire a la parole.
Le sénateur Dallaire : Chers collègues, je pense que, à cette heure, une anecdote divertissante serait peut-être de rigueur.
J'aimerais parler brièvement de la visite de sir Winston Churchill au Canada dans le cadre d'une tournée de conférences. Lors d'une réception, il s'est retrouvé assis à côté d'un ministre méthodiste très collet monté. Quand il y avait seulement des hommes dans l'armée, nous avions l'habitude de ne pas parler des femmes ou de la religion dans le mess, mais ce que je vais raconter dans un instant va offenser les femmes et les gens religieux.
Comme je le disais, Churchill était assis à côté d'un ministre méthodiste collet monté quand une jeune serveuse espiègle est venue vers eux avec un plateau de verres de sherry. Elle a d'abord proposé un verre à Churchill, qui en a pris un, puis s'est tournée vers le ministre. Ce dernier était horrifié qu'on lui offre de l'alcool. « Jeune femme, lui a-t-il dit, je préférerais commettre l'adultère que de boire une boisson enivrante. » Sur ce, Churchill a lancé à la fille : « Revenez, mademoiselle. Je ne savais pas que nous avions le choix. »
Je ne suis pas sûr que nous ayons un choix à faire ce soir. Nous avons un vote, mais je ne suis pas sûr que nous ayons un choix.
L'argument que je veux faire valoir maintenant, c'est que nous sommes impliqués dans un processus disciplinaire qui n'existe pas. Nous agissons à l'improviste pour imposer des sanctions sévères à trois de nos membres qui ont commis ce que nous considérons comme des erreurs en matière de procédures et de règles.
Je dis que nous n'avons pas de procédure, parce que je ne la vois pas ici. Premièrement, les chefs d'accusation... Non, en fait, ils sont là, dans les motions; du moins, la première partie. Mais l'acte d'accusation énonce également les sanctions. Nous disons que nous suspendrons les sénateurs sans salaire, puis nous allons de l'avant.
Cependant, je ne vois pas, premièrement, le processus qui permet une application graduelle des sanctions. On ne dit nulle part à quelles sanctions correspondent les chefs d'accusation, pas plus qu'on ne définit une procédure qui nous permette de trancher et de prendre une décision éclairée.
Cette procédure n'a pas été établie. Il n'y a pas de procédure disciplinaire, sauf quand une personne est incarcérée pour un crime qu'elle a commis; dans ce cas, l'expulsion va de soi.
Il est question ici d'erreurs administratives, d'infractions de nature administrative, ce qui commande des mesures disciplinaires.
Alors, que faisons-nous? Trois motions nous ont été imposées, et elles sont maintenant regroupées, mais dans les trois cas on nous demande de nous prononcer à la fois sur les chefs d'accusation et sur les sanctions.
Et nous allons de l'avant. Si je puis dire, je vois le sénateur Carignan dans le rôle du procureur, puisque nous sommes tous solidaires, au-delà des considérations partisanes. C'est donc lui qui doit porter cette cause, ce qu'il a fait.
Il porte les accusations, il établit les sanctions, puis nous débattons, devant les accusés, dont le temps de parole consacré à leur défense est limité par les mêmes procédures auxquelles nous sommes assujetties.
Quand on a affaire à une procédure disciplinaire, on a certaines attentes. Par exemple, on s'attend à entendre l'avis des membres de la commission d'enquête, et à ce que les circonstances atténuantes soient présentées.
Ces trois personnes n'étaient pas des fantoches avant que nous réalisions qu'ils commettaient des erreurs importantes. Ils ont posé des gestes considérables dans leur domaine d'expertise respectif au bénéfice de leur parti, de leur pays, et c'est pour cela qu'ils ont été nommés par le premier ministre. Je n'ai entendu aucun sénateur, sinon un, peut-être deux, peut-être trois sénateurs — c'est comme chercher des Smarties verts dans l'herbe — mentionner le fait que ces sénateurs ont fait du bon travail pour nous. Ils ont joué un rôle.
Du travail, ils en ont fait. Dans une procédure où l'on tient compte des circonstances atténuantes, cela devrait peser dans la balance. Dans une telle procédure, on examine les circonstances atténuantes, on désigne un groupe pour les évaluer et pour voir quelles sont les sanctions possibles pour les accusations portées, puis une décision est prise.
Or, cela n'est pas possible en l'occurrence. On ne peut avoir 99 juges, 99 accusateurs, 99 personnes qui tentent de déterminer si vous êtes coupable ou innocent et quelle peine sera imposée. Ceci n'est pas une procédure disciplinaire; c'est simplement la façon habituelle d'exécuter les travaux du Sénat.
Toutefois, dans nos travaux ordinaires, nous tenons un débat, quelques personnes interviennent, puis nous renvoyons la question au comité, car c'est là que nous étudions le fond de la question. Nous convoquons des témoins, et cetera, puis cette information est ramenée ici et nous prenons alors une décision éclairée.
Cela dit, la motion associe à une procédure administrative très complexe une conséquence très punitive, à commencer par une peine d'une durée indéterminée. En effet, la fin de la présente session, ça signifie quelle date au juste? Peut-être savez-vous quelque chose que nous ne savons pas. Peut-être vous dites-vous qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter parce que vous allez déclencher des élections dans trois mois, si bien qu'on parle uniquement de trois mois sans solde. Or, il pourrait ne pas y avoir d'élections avant encore deux ans ou deux ans et demi, et la suspension sans salaire pourrait même durer encore plus longtemps si le Sénat en décide ainsi. Comment pouvez- vous imposer une peine de durée illimitée et faire valoir que celle-ci est juste et qu'en fait, nous avons accompli notre devoir, alors que premièrement, nous les avons jugés; que deuxièmement, nous avons écouté les facteurs atténuants pouvant jouer en leur faveur; que troisièmement, nous avons entendu leurs témoignages et pris connaissance des renseignements qui ont été communiqués; et que quatrièmement, nous avons pris une décision? Il s'agit d'une sanction de durée indéterminée, qui n'a pas fait l'objet d'un débat ou ne semble pas pouvoir faire l'objet d'un simple débat, et nous commençons maintenant à entendre, comme le montrent les exemples fournis par le sénateur Lang et quelques autres sénateurs, que ce type de justice expéditive n'est peut-être pas la bonne façon de procéder.
(2250)
Peut-être que nous ne sommes pas réellement à l'écoute des attentes des Canadiens en ce qui concerne la réforme de notre institution. Nous semblons plutôt être un groupe de personnes déterminées à se liguer contre certaines personnes et à se débarrasser du problème parce que nous avons des choses plus importantes à faire.
Loin de moi l'idée d'insulter ceux qui affirment que cela fait déjà deux semaines et demie que nous discutons de cette question et que nous gaspillons l'argent des contribuables. Cependant, j'aimerais vous rappeler que nous avons perdu un mois complet en raison de la prorogation. Nous aurions pu entreprendre notre travail en septembre et avoir déjà accompli beaucoup plus de choses qu'à l'heure actuelle. Nous n'avons pas pu le faire parce que le gouvernement a décidé de proroger le Parlement, et donc, nous avons perdu du temps. Les contribuables nous ont versé un mois de salaire pour rien, car nous attendions qu'on nous donne le feu vert pour accomplir notre travail.
Je ne comprends pas comment nous aborderons d'autres cas. C'est une chose de discuter des trois cas dont il est question ici et de le faire, je crois, en l'absence du processus disciplinaire fondamental dont s'est doté tout autre type d'institution. Comment allons-nous traiter les cas qui se présenteront par la suite? Quel sera le processus disciplinaire? Quelle sera la portée des sanctions et des peines que nous imposerons? Nous sommes déjà allés très loin en cherchant à leur imposer l'une des sanctions les plus sévères qui soient. La seule autre option qui s'offrait à nous était l'expulsion. Je me demande encore pourquoi vous n'avez pas retenu cette option. Vous ne semblez pas hésiter à utiliser tous les autres moyens à votre disposition ainsi que le terme « amendement humanitaire » afin qu'ils puissent conserver leur assurance médicale. D'ailleurs, ne convenez-vous pas qu'il s'agit d'un terme péjoratif? C'est tout juste si vous ne leur avez pas tranché la gorge. La question qui se pose est la suivante : qu'allons-nous faire si de nouveaux cas font surface? Et il y en aura d'autres, car nous savons que le vérificateur ne passera pas outre certaines dépenses, comme un verre de jus d'orange à 13 $. Ce n'est qu'un exemple. Comment traiterons-nous ces cas? Qui s'en occupera? Est-ce qu'une fois de plus, nous les aborderons tous ensemble?
En fait, les deux dernières semaines ont confirmé qu'il faut réformer le Sénat. Cette institution doit décider comment elle veut prendre soin d'elle et de ses membres, comment elle veut protéger ses membres et faire en sorte que, ce faisant, elle protège son rôle et ses responsabilités à l'égard des Canadiens. C'est impossible à faire en improvisant chaque jour les mesures que nous allons prendre pour régler ce problème. On ne prend pas ce genre de décision à la va-vite, comme on dit.
Eu égard à mon vécu, je ne peux même pas envisager de voter en faveur d'un éventuel amendement du libellé, car je suis d'avis que nous n'avons pas fait les choses correctement. Nous avons investi tout ce temps, alors qu'un petit groupe de sénateurs aurait tout simplement pu examiner la question et imposer des mesures disciplinaires. Il existe plusieurs façons de s'y prendre. Ces sénateurs nous auraient remis un rapport et le tour aurait été joué. Pendant ce temps, nous aurions pu continuer à travailler. C'est ce que nous aurions pu faire, mais nous ne l'avons pas fait. À mon avis, nous n'avons pas utilisé un processus équitable qui respecte les exigences.
En terminant, je vais parler des charges retenues contre eux et de la définition de négligence grossière. La sénatrice Wallin et d'autres sénateurs ont soulevé cette question.
Je souligne, et c'est intéressant, que l'organe administratif, le Comité de la régie interne, n'a pas recommandé de mesures disciplinaires. On nous a dit que cela ne relève pas de son mandat. Je ne le savais pas. Ce n'est écrit nulle part que cela ne relève pas de son mandat, mais apparemment c'est le cas.
Puisque le comité ne l'a pas fait, c'est à nous de prendre les mesures qui s'imposent. Ensuite, le procureur nous dit que c'est de la négligence grossière. Je n'ai même pas encore la définition. Qu'est-ce que la négligence et quelle sera la sanction pour cette infraction? Et qu'en sera-t-il du simple délit, comme un verre de jus d'orange à 13 $?
Chers collègues, nous devons agir, certes, mais comme une institution qui ne date pas d'hier, une institution à la méthodologie solide et aux traditions profondes, qui protège les Canadiens et protège ses membres, ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de présenter, d'appuyer et d'adopter les lois de notre pays.
J'aimerais simplement ajouter que, comme nous n'avons pas de processus disciplinaire en place, nous avons dû improviser, et nous en subirons les conséquences.
J'aimerais aborder une autre question parallèle, celle de la présence ou de l'absence de partisanerie dans le débat actuel. C'est une question intéressante. Supposons qu'un sénateur dise que le processus suivi laisse à désirer. Les sénateurs de ce côté-ci l'applaudissent, particulièrement quand il s'agit d'une personne de votre côté. Aucun d'entre vous n'applaudissez, mais nous le faisons. Quand nous entendons quelqu'un de votre côté présenter un argument en faveur d'un meilleur processus, tout le monde l'applaudit. Sommes-nous tous d'accord sur ce point? Dans ce cas, où sont les jeux partisans? Y en a-t-il vraiment?
Comme nous ne savons pas clairement si le vote sera individuel, j'aimerais citer quelques mots de la bible. Par « bible », j'entends ici le livre Protéger la démocratie canadienne : Le Sénat en vérité, rédigé sous la direction du sénateur Joyal.
Je profiterai des quelques minutes qu'il me reste et, je l'espère, d'une prolongation de cinq minutes, pour vous lire l'extrait que voici :
Le gouvernement n’est pas « comptable » devant le Sénat, en ce sens que son sort ne dépend jamais de l’issue d’un vote au Sénat. Pour cette raison, la solidarité partisane n’y est pas nécessaire et est même généralement mal vue dans les débats du Sénat.
Les fonctions constitutionnelles du sénateur, telles qu’elles sont énoncées dans son avis de nomination, ne font nullement état de la loyauté partisane. Quoi qu’en pensent le public ou les partis, les obligations constitutionnelles du sénateur priment l’allégeance au parti. Il ne s’agit pas là d’un idéal; c’est le mandat constitutionnel du sénateur qui l’exige. Même si certains soutiennent le contraire, la commission en vertu de laquelle la Reine invite des personnes à siéger au Sénat du Canada et le serment d’allégeance à Sa Majesté, qu’il faut prononcer avant d’entrer à la Chambre haute, ne sont pas de vaines formalités…
Son Honneur le Président suppléant : Le sénateur Dallaire demande-t-il cinq minutes supplémentaires?
Le sénateur Dallaire : Si vous le permettez, je vais prendre cinq minutes de plus.
Son Honneur le Président suppléant : D'accord pour cinq minutes.
Le sénateur Dallaire : Si c'est votre dernière offre, je l'accepte.
… ni les vestiges d’une pompe révolue. La commission est un document constitutionnel et le serment fait partie de la Constitution de notre pays. On ne voit pas donc pourquoi le devoir constitutionnel d’un sénateur énoncé dans la commission et le serment devrait céder le pas à la loyauté envers le parti.
Comme il me reste peu de temps, je vais passer directement à la fin. Je cite :
On l’a dit, les limites de l’allégeance partisane des sénateurs sont tracées par leur commission et leur serment. Le premier devoir du citoyen qui accepte de siéger au Sénat est de donner son avis et son assentiment en fonction de son seul jugement, lorsqu’il s’agit d’adopter des mesures législatives et d’examiner les politiques et activités du gouvernement. Les sénateurs ont expressément pour mandat de se faire les interprètes des intérêts des divers régions et de promouvoir les intérêts des minorités et les droits de la personne. À notre avis…
Ð à notre avis à tous, je l’espère Ð
… faire passer ses ambitions personnelles ou partisanes avant ses obligations constitutionnelles équivaut à un manquement au devoir.
Merci beaucoup.
(2300)
L'honorable Patrick Brazeau : Honorables sénateurs, je suis pleinement conscient que, selon le résultat du vote de demain, cette intervention pourrait être ma dernière. J'espère donc que vous m'accorderez le temps nécessaire pour que je puisse dire ce que j'ai à dire.
Je tiens à signaler que, ironiquement, les sénateurs LeBreton, Tkachuk et Stewart Olsen ainsi que Nigel Wright n'occupent plus leur poste. Je me demande bien pourquoi. Je pense que ces trois personnes, en particulier, en auraient long à dire aux Canadiens, c'est-à-dire l'histoire, toute l'histoire.
Mais je suis accusé aujourd'hui dans une farce éhontée, un procès pour l'exemple, un spectacle ridicule comme on n'en a jamais vu dans l'histoire canadienne. Le temps pourrait manquer pour que mon point de vue soit exprimé en entier, mais, pour le compte rendu, voici les faits.
Je comprenais que, pour se conformer à la politique du Sénat, certains sénateurs louaient une habitation dans la région de la capitale nationale toute l'année. Comme le Sénat ne siège pas toute l'année, j'ai demandé à mon bureau de clarifier la politique sur l'habitation. On s'attendrait à ce qu'un sénateur ne loue que pour les mois où le Sénat siège. Une demande de renseignements a été envoyée au Service des finances du Sénat le 8 mars 2011. La réponse a été reçue le même jour et disait que, pour respecter la politique, je devrais louer toute l'année.
J'ai fait confiance à mes collègues et au Service des finances du Sénat. Je ne m'attendais pas à ce que les règles changent. J'ai loué un appartement conformément à la politique. J'ai soumis le bail et j'ai rempli les formulaires nécessaires, conformément à cette politique.
En décembre 2012, dans un reportage de CTV très biaisé, sensationnaliste, trompeur, comme on en voit dans les tabloïds, M. Robert Fife a mentionné la règle selon laquelle, pour demander une allocation, notre résidence principale doit être à 100 kilomètres ou plus d'Ottawa. M. Fife n'a mentionné aucun autre élément de la politique, y compris le fait que c'est un système de désignation.
M. Fife a interrogé des citoyens de Maniwaki. Honorables collègues, les gens de Maniwaki ont leur vie à vivre et ont autre chose à faire que surveiller mon emploi du temps ou mes allées et venues. En plus de constituer une énorme intrusion dans ma vie privée, le reportage de M. Fife a donné l'impression que, parce que des habitants de Maniwaki ne m'avaient pas vu, je violais d'une manière ou d'une autre la politique du Sénat.
M. Fife n'a cité aucune règle, ligne directrice ou politique que j'avais enfreinte. Dans son reportage, il cherchait à montrer des irrégularités, mais il n'apportait aucune preuve de ce qu'il avançait. Certes, c'est une façon comme une autre de faire du journalisme d'enquête, mais on espère qu'il y a encore des journalistes qui accordent une certaine importance aux faits et qui ne se contentent pas de faire de simples insinuations. Ce que M. Fife a omis de montrer, ce sont les citoyens qu'il a interrogés qui ont confirmé que je vivais à Maniwaki. Mais il y reviendra peut-être une autre fois.
Immédiatement après la diffusion du reportage de M. Fife, mon père et d'autres membres de ma famille ont été assaillis et harcelés par les journalistes. Des amis et des connaissances à moi à Maniwaki ont également été la cible de journalistes à la recherche de la tache sur Brazeau. Le harcèlement dont ils étaient victimes a bouleversé la vie de tous les membres de ma famille. Il faut le vivre pour comprendre comment on se sent quand on se fait appeler à toute heure du jour et de la nuit, quand des journalistes se cachent derrière les buissons, quand des gens vous suivent. À force de se faire harceler par les médias, mes enfants ont eux aussi vécu du stress. Je suis désolé de leur faire vivre cela. Ils ne le méritent pas.
À la suite de la diffusion de ce reportage trompeur, irresponsable et incomplet, un sous-comité a été constitué et chargé d'en examiner le contenu. C'est le mandat qui lui a été confié. J'ai été invité à comparaître, ce que j'ai fait, et j'ai présenté les documents qui, je l'espérais, seraient utiles au comité. Heureusement que je les ai apportés, car les membres du comité n'avaient pas la moindre idée des questions à me poser pour déterminer mon lieu de résidence selon les règles du Sénat.
Chers collègues, si le Règlement du Sénat était vraiment aussi limpide que l'affirment les têtes dirigeantes du Sénat, pourquoi le comité a-t-il eu tant de mal à déterminer les questions à me poser? Si tout était aussi clair, pourquoi les membres du comité étaient-ils aussi perplexes? Si le Règlement est aussi clair et sans ambiguïté qu'ils le disent, ils auraient dû savoir aussitôt quoi me demander. Soit je respectais la politique du Sénat, soit je ne la respectais pas.
Mais ils n'avaient pas la moindre idée de la marche à suivre. Je leur ai remis mes documents, et je m'attendais alors à ce que le dossier soit clos. Après tout, je respectais la politique et j'avais produit les documents qui réfutaient les allégations et les insinuations de M. Fife.
Mais non, le dossier n'était pas clos, loin de là. Deloitte a reçu le mandat d'examiner mes demandes d'indemnité de logement. J'avais très hâte de rencontrer les gens de chez Deloitte, parce que je voulais tourner la page. Pas seulement prouver mon innocence, mais mettre fin au harcèlement continu et incessant dont ma famille faisait l'objet, de la part des médias et de toutes sortes d'autres personnes. J'étais convaincu que tous ces vérificateurs professionnels allaient vite confirmer que je respectais la politique et que l'affaire serait définitivement close.
Comme vous savez, l'affaire n'a pas été close cette fois-là non plus. J'ai reçu d'avance un exemplaire du rapport de Deloitte, mais étrangement, pas de celui du Sous-comité de la régie interne, ni du Comité de la régie interne, qui me fait aujourd'hui la vie dure.
Vous avez été nombreux à admettre que vous aviez lu ces rapports très rapidement. Or, ils ne pourraient pas être plus différents les uns des autres. Vous aurez peut-être le temps, avant de voter, de prendre connaissance des captivantes conclusions du Comité de la régie interne. À lire le rapport me concernant, mes supposés crimes sont si graves, si terribles, si innommables que je mériterais d'être fusillé derrière la Bibliothèque du Parlement pour escroquerie et imposture.
Nous savons tous que vous avez accepté le rapport de vos collègues sans penser à ce qu'ils ne vous avaient pas dit. Qu'ont-ils exactement omis de porter à votre attention? Est-ce peut-être quelque chose qu'ils préféraient ne pas voir? Qu'y avait-il dans le rapport Deloitte qui n'a pas retenu leur attention? Était-ce quelque chose de trop embarrassant pour qu'on en discute?
Le rapport Deloitte faisait état de déficiences graves de la politique du Sénat. Les cinq termes suivants n'y étaient pas définis ou avaient des définitions contradictoires : premièrement, le logement principal; deuxièmement, le logement secondaire; troisièmement, le logement dans la capitale nationale; quatrièmement, le logement provincial; et cinquièmement, le logement inscrit.
C'est là une énorme condamnation de la politique du Sénat. Les représentants de Deloitte ont trouvé la politique tellement mauvaise et incohérente qu'ils étaient incapables ne serait-ce que d'aborder la question de mon logement principal par rapport aux lignes directrices existantes. Ils ont confirmé que je satisfaisais aux quatre critères nouvellement établis en ce qui concerne le logement principal. Ils ont également confirmé que, contrairement à la plupart des sénateurs, je n'avais pas réclamé d'indemnité quotidienne pour les repas et les frais divers.
Chose étrange, le rapport Deloitte parle de ce que je fais de mon temps personnel, ce qui constitue une invasion intolérable dans ma vie privée. L'endroit où un sénateur va dormir ou passe son temps libre n'a rien à voir avec la politique sur le logement du Sénat. En toute franchise, je trouve que cela ne concerne personne d'autre que moi.
Je n'ai pas facturé aux contribuables le prix de différents déplacements en prétendant que j'étais en mission officielle, comme le font de nombreux sénateurs et députés. Soyons honnêtes, vous ne savez même plus ce que c'est que d'être en mission officielle.
Il faut poser la question suivante : Pourquoi les représentants de Deloitte ont-ils cherché à juger ma conduite par rapport à des lignes directrices qui n'existent pas? Est-ce une pratique standard d'audit? Je pourrais comprendre si on jugeait ma conduite par rapport à une politique antérieure ainsi qu'à une politique actuelle. Mais que faut- il penser si on cherche à juger ma conduite passée par rapport à une politique qui pourrait exister dans l'avenir? Est-ce une pratique standard d'audit?
Vous devez vous demander qui, au Sénat ou ailleurs peut-être, a chargé Deloitte de procéder à une vérification en se fondant sur des règles qui n'existent pas. Si vous n'êtes pas curieux de le savoir, si vous ne voulez pas connaître la façon dont le contrat de Deloitte a été géré et peut-être manipulé, alors je dois dire, avec tout le respect que je vous dois, que vous préférez volontairement rester dans l'ignorance.
Au lieu d'admettre les lacunes aussi embarrassantes qu'inexplicables de la politique du Sénat, la Régie interne a décidé de publier un travail fictif sous forme d'un rapport affirmant que les définitions sont, à ses dires, parfaitement claires et sans ambiguïtés. Chers collègues, dire d'une chose à la fois qu'elle manque de clarté et qu'elle est parfaitement claire, c'est un peu comme parler du son produit quand on applaudit d'une seule main ou quand un arbre tombe dans la forêt.
L'interprétation orwellienne du rapport de Deloitte produite par la Régie interne semble être le seul document que les sénateurs ont lu avant de voter sur de graves sanctions financières contre moi. Vous voulez maintenant m'imposer des mesures punitives sans mentionner une seule règle, une seule politique ou une seule ligne directrice à laquelle j'ai contrevenu et sans me donner une chance de me défendre devant la Chambre ou ailleurs.
Personne n'a accordé le moindre intérêt à mes demandes répétées et incessantes d'explications. On m'a ignoré. J'entends dire que je suis un ami que vous voulez seulement aider, mais on m'ignore. Pour moi, si un ami est traité injustement, on essaie de l'aider à obtenir justice, mais vous continuez à m'ignorer. J'aimerais bien savoir pourquoi.
Mon bureau a entrepris une campagne rigoureuse pour essayer de comprendre ce qui s'est passé, pour dénoncer l'absence d'une procédure équitable et pour faire réexaminer l'affaire. Une lettre en date du 16 mai 2013 a été envoyée au sénateur David Tkachuk, alors président du Comité de la régie interne. Ma conseillère Debby Simms a d'abord envoyé la lettre électroniquement par le système de courriels du Sénat. Une copie papier de la lettre a suivi. Les membres du sous-comité ont aussi reçu la lettre. Jusqu'à présent, je n'ai reçu aucune réponse de la part de David Tkachuk ou d'un autre membre du comité. Encore une fois, je pose la question : pourquoi?
(2310)
Comment ma lettre a-t-elle pu être ainsi ignorée? Est-ce ainsi que l'on respecte les garanties procédurales? Est-ce là votre version du second examen objectif? Il reste que je suis un être humain et que je mérite au moins un certain respect. En tant que collègue, je méritais et je mérite toujours une réponse substantielle à la lettre que je vous ai fait parvenir il y a plus de six mois.
J'ai aussi écrit au vérificateur général et à la conseillère sénatoriale en éthique pour leur faire part de mes préoccupations. Je me disais qu'il y avait sûrement quelqu'un qui voudrait se pencher sur les informations scandaleusement trompeuses que Deloitte présentait dans son rapport au nom du comité de la Régie interne. Nous avons appris que personne sur terre n'a le pouvoir de renverser ou de remettre en question les actions du Comité de la régie interne. Ses membres peuvent faire ce qu'ils veulent à qui ils veulent, quand ils le veulent et comme ils le veulent.
Le sénateur Segal : C'est honteux.
Le sénateur Brazeau : Ils n'ont pas besoin d'expliquer ou de justifier leurs décisions. Ils sont totalement au-dessus de la loi. Pourtant, ils doivent rendre des comptes aux Canadiens. Je parle de LeBreton, Tkachuk, et Stewart Olsen.
Le 17 juin 2013, tous les sénateurs ont reçu par courriel une liste de 20 questions concernant le non-respect des garanties procédurales dans le travail du Comité de la régie interne sur mes réclamations d'indemnité de logement. Trois réponses m'ont été envoyées, m'indiquant toutes que je ne devrais pas m'attendre à en recevoir. Non seulement ils refusaient d'expliquer quelle règle j'avais enfreinte, mais ils ne se donnaient même pas la peine de m'en parler.
Certains honorables sénateurs racontent des potins dans les médias sous le couvert de l'anonymat, prétendant vouloir sauver un Indien supposément ivre et toxicomane tout en se présentant devant les caméras de télévision pour faire valoir combien ils sont « dégoûtés » par mon comportement au regard des indemnités de logement. C'est une drôle de façon de « s'occuper » d'un « ami ».
J'ai également appris dans les médias qu'un honorable sénateur a dit que l'on devrait « prendre tout ce que je dis avec un grain de sel ». Je n'ai peut-être pas été à l'école privée, je n'ai écrit aucun livre et je n'ai pas accompli toutes sortes de choses dans le monde entier comme beaucoup d'entre vous, mais, du moins, pour le moment, je suis toujours un sénateur en fonction.
Mes préoccupations méritaient votre attention. On ne s'est pas soucié de mon droit à un traitement équitable; on n'a effectué aucun second examen objectif. Nous vous avons envoyé 20 questions il y a cinq mois. Vous avez jugé qu'elles ne méritaient pas de réponse. Vous vous fichez de ces questions; je vous demande de nouveau, pourquoi?
Après avoir en vain tenté de retenir l'attention de mes collègues, il ne me restait guère qu'à parcourir Internet pour lire ce qu'on disait à propos de mes réclamations. J'ai été frustré d'apprendre que la même erreur se répétait sans cesse. Elle est encore rapportée à ce jour. La semaine dernière, le Chronicle Herald a rapporté dans un éditorial ce même mensonge, que j'ai entendu encore il y a quelques jours dans un reportage de CTV reposant sur un courriel du Cabinet du premier ministre.
Le Cabinet du premier ministre, honorables sénateurs. CTV nous a appris que le bureau du premier ministre aurait affirmé qu'une vérification indépendante aurait trouvé que j'étais coupable de méfaits et déterminé que je devais de l'argent. Quel type d'information les leaders du Sénat transmettent-ils au Cabinet du premier ministre? Se sont-ils contentés d'envoyer le rapport du Comité de régie interne à leur quartier général en omettant le rapport gênant de Deloitte?
Il n'est pas toujours facile de dire la vérité aux puissants, mais c'est toujours une bonne idée. Les leaders du Sénat ont-ils dit la vérité au Cabinet du premier ministre? Comment se fait-il que ce dernier ait été si mal informé? Deloitte a conclu que je n'avais rien fait de mal, pourquoi donc le Cabinet du premier ministre affirme-t- il ceci maintenant? Je répète, pourquoi?
Chaque fois que cette fausseté était rapportée dans les médias, à savoir que Deloitte avait conclu dans son rapport que j'avais commis une faute, mon bureau communiquait avec le journaliste et lui demandait de consulter le rapport de Deloitte plutôt que de se fier au rapport du Comité de la régie interne.
Je dois féliciter ces journalistes dévoués, car ils ont consulté le rapport de Deloitte, et ils ont dûment changé leurs reportages. Deloitte a conclu que je n'avais commis aucun acte répréhensible. C'est un comité secret qui a modifié les faits au bénéfice de la joute politique. Deloitte a dit que c'était la politique du Sénat qui était en faute. C'est moi qui ai produit les seuls communiqués de presse qui témoignent de ce fait gênant.
Il n'est pas honorable de m'accuser d'avoir essayé de voler les contribuables alors que c'est faux; alors que c'est vous qui avez donné des centaines de milliers de dollars à Deloitte pour vous faire dire vos quatre vérités. Aviez-vous vraiment besoin de Deloitte pour vous faire dire que vos politiques laissaient à désirer? Pardonnez- moi, mais je pense que c'était une évidence.
Honorables sénateurs, comment le Comité de la régie interne a-t-il pu ne pas tenir compte de la mise en garde de Deloitte concernant les graves lacunes que renferment les politiques du Sénat? Pourquoi le comité a-t-il agi de la sorte? Je le répète, je ne comprends pas. C'est incompréhensible : le Sénat se contrefiche du fait qu'un vérificateur externe a estimé que ses politiques sont inadéquates à un point tel qu'elles sont complètement inutilisables. Or, je me retrouve ici en train de subir un procès. Deloitte ne m'a pas reconnu coupable. Il a conclu que la politique du Sénat était si totalement inadéquate qu'elle ne pouvait pas être utilisée dans le cadre d'une vérification.
En résumé, pour que tout le monde le sache, je n'ai pas réclamé d'indemnité quotidienne lorsque j'étais dans la région de la capitale nationale, contrairement à bon nombre d'autres collègues sénateurs et députés. Je ne veux pas que l'argent des contribuables paie mes repas, j'apporte mon propre lunch.
Je ne connais pas le chiffre exact, mais je crois comprendre que de nombreux sénateurs louent un logement à l'année dans la région de la capitale nationale. Il me semble que les sénateurs ne devraient louer un logement que lorsque le Sénat siège. Voilà pourquoi j'ai demandé des précisions au service des finances du Sénat. On m'a répondu par écrit que mes réclamations devraient viser l'année entière. J'ai tenu pour acquis que le service des finances du Sénat connaissait la politique et que je respectais donc les règles; qui plus est, j'en avais une confirmation écrite.
Mes frais de déplacement étaient très peu élevés comparativement à d'autres : moins de 6 000 $ sur une période de deux ans et demi.
Je me suis plié aux quatre critères de résidence que le Sénat a établis à cause de moi. Si beaucoup d'entre vous pouvez demander un remboursement aujourd'hui, c'est grâce à la documentation que j'ai présentée pour démontrer que ma résidence principale était bien celle que j'avais désignée. Mais le Comité de la régie interne en a décidé autrement, derrière des portes closes. Chaque fois que j'ai cru, une fois pour toutes, avoir démontré que je me conformais à la politique établie, quelqu'un a trouvé le moyen de changer les règles du jeu.
Le Comité de la régie interne a inventé de nouveaux critères. Le cabinet Deloitte a conclu que je les avais tous respectés, mais je suis quand même sur la sellette aujourd'hui. Je ne comprends pas. Le cabinet Deloitte a trouvé une seule période de déplacement pouvant être sujette à interprétation et devant être soumise au sous-comité. La somme en jeu est de 144,97 $. Remarquez que le cabinet Deloitte n'a pas dit que je devais rembourser cet argent. Selon le cabinet Deloitte, je ne dois aucune somme d'argent. Et voilà qu'on me fait un procès non pas pour une somme de 144,97 $ que je devrais remettre, mais parce que l'admissibilité de cette somme est remise en question.
Le cabinet Deloitte a constaté que la politique du Sénat concernant les résidences est en évolution constante et a de sérieuses lacunes. Les termes clés n'y sont pas définis. Une bonne politique commence toujours par une définition claire des termes. Pour des raisons qui m'échappent, le Comité de la régie interne a ignoré l'avis du cabinet Deloitte et a créé sa propre réalité dans un but politique et par opportunisme. Tout à coup, on m'a trouvé coupable de quelque chose. Mais on ne me dit toujours pas quelle règle j'ai enfreinte.
Pourquoi le Sénat du Canada ne s'est-il pas alarmé qu'une vérification indépendante relève de graves lacunes dans sa politique sur les résidences des sénateurs? Le cabinet Deloitte nous dit qu'il aurait voulu pouvoir déterminer la conformité de mes demandes de remboursement, mais qu'il n'a pas pu le faire étant donné que les règles du Sénat en la matière sont trop floues.
Le cabinet Deloitte n'a pu arriver à aucune conclusion, honorables collègues. Je le répète, le cabinet Deloitte n'a pu arriver à aucune conclusion, mais vous avez forgé vos propres conclusions. Pour des motifs politiques et par opportunisme, sacrifions ces sénateurs. J'ai le regret de vous apprendre que vous ne sacrifierez pas l'Indien que vous avez devant vous à moins d'avoir une solide justification.
Dans le monde de la politique, comme je l'ai appris spectaculairement, de la manière la plus humiliante qui soit, en public, si une personne peut vous accuser d'avoir trahi l'esprit de la loi pour arriver à ses propres objectifs, elle le fera. De là l'importance de bien définir les termes, de manière cohérente, solide, claire et précise. Si vous étiez à ma place, vous seriez du même avis. Je me fais juger par des sénateurs qui réclament des indemnités journalières alors qu'ils sont à Ottawa, qui ont des frais de déplacement beaucoup plus élevés que les miens, qui n'ont peut- être même pas respecté eux-mêmes les critères de résidence — peu importe la façon dont ils sont définis aujourd'hui — et dont le montant des dépenses contestées est certainement supérieur au mien, c'est-à-dire à 144,97 $.
(2320)
Prenons l'exemple de la sénatrice Stewart Olsen. Des doutes ont été exprimés à propos de certaines de ses dépenses. Elle faisait autrefois partie du Comité de la régie interne, mais elle est protégée par le parti. Sa conduite est jugée acceptable.
Il y a aussi le sénateur Boisvenu. Il y a plusieurs mois, il a lui- même admis noir sur blanc qu'il était dans une situation similaire à la mienne. Je me suis séparé de ma femme, ce qui a mené au problème. La même chose est arrivée au sénateur Boisvenu, et il a clairement admis qu'il avait présenté de fausses demandes. Il a remboursé approximativement 900 $ tout en disant aux journalistes qu'il retournerait à Sherbrooke une ou deux fois par mois. J'ai agi de la même manière, et je n'ai jamais caché mes intentions.
Ce que je fais dans mes temps libres ne regarde que moi. Pourquoi le sénateur Boisvenu est-il protégé et pas moi? Je me fais juger par des sénateurs qui réclament des indemnités journalières alors qu'ils sont à Ottawa et, comme je l'ai déjà dit, je subis tout ça pour des dépenses de 144,97 $.
Chers collègues, compte tenu de ces faits, je renonce à mes privilèges, et je demande que la transcription de toutes mes réunions avec le sous-comité du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, notamment toutes les réunions entre le Comité de la régie interne et Deloitte sur mon dossier, soit déposée. Je demande aussi que le coût de la vérification de mes allocations de logement soit déposé.
En outre, honorables sénateurs, je vous prie humblement d'examiner toutes les conclusions du rapport de Deloitte, y compris ses conclusions sur le caractère inadéquat de la politique sénatoriale, avant d'imposer les sanctions proposées le 17 octobre 2013.
J'aimerais élargir ma demande initiale et demander une enquête publique sur la question de la relation entre Deloitte et le Comité de la régie interne et ses membres. Quelle était la nature du mandat de Deloitte? Je ne l'ai jamais su. Le mandat de la société a-t-il changé en cours de route? Les membres de l'équipe de Deloitte étaient-ils tous à l'aise d'évaluer un comportement en regard de critères inexistants? Y a-t-il un compte rendu des conversations qui ont eu lieu entre le Comité de la régie interne et Deloitte ou le Cabinet du premier ministre? La firme Deloitte a-t-elle été victime d'une manipulation politique?
Vous pouvez m'écarter aujourd'hui, mais ces questions demeureront au compte rendu pour toujours.
J'estime qu'il est dans l'intérêt du public qu'un examen complet de la gestion du contrat de Deloitte soit fait afin que les Canadiens puissent enfin connaître toute la vérité. De plus, le Comité de la régie interne doit rendre des comptes à tous les Canadiens. Nous ne pouvons pas laisser ce comité se réunir à huis clos et prendre des décisions qui peuvent ruiner des vies pour protéger ses arrières.
Quand les gens ont quelque chose à cacher, ils changent de sujet, ils changent de poste, ils soutiennent qu'il n'y a rien à voir et qu'il faut passer aux choses plus importantes et plus sérieuses. C'est ce que nous avons vu au cours des deux dernières semaines. Quand on n'a rien à cacher, on cherche l'ouverture et la transparence. Quand quelque chose n'a pas de sens, on pose des questions jusqu'à ce qu'on trouve un sens.
Je pose des questions, j'en ai posées, mais je n'ai toujours pas de réponses. Pourquoi?
Je tiens à exprimer ma gratitude aux sénateurs qui sont venus me voir et qui sont disposés à procéder à un second examen objectif des motions qui me concernent. Chers collègues, je n'ai jamais voulu jeter le déshonneur sur le Sénat ni sur vous. Je n'ai jamais voulu causer de stress, d'embarras ou de honte à qui que ce soit ici. Je regrette sincèrement tout ce que vous avez vécu; pour 144,97 $, cela ne vaut pas la peine.
Je ne peux pas parler de l'expérience vécue par mes collègues, mais je peux certainement parler de ma situation. Je suis ici à cause d'une somme de 144,97 $. Parce qu'on a décidé de me sacrifier, et parce que le Comité de la régie interne n'a pas du tout tenu compte du rapport de vérification de la firme Deloitte, je devrai faire face à une suspension sans salaire, ce qui aura de graves conséquences pour mes enfants, dont un enfant qui a des besoins spéciaux, ainsi que pour les autres membres de ma famille.
Pour conclure, j'aimerais m'adresser directement à mes enfants, qui pourront, un jour, lire ma déclaration dans le compte rendu permanent.
Vous êtes trop jeunes pour comprendre ce qui se passe ici. Je comprends à peine, moi-même, et je suis bien plus âgé que vous. Vous devez comprendre que je ne suis pas coupable des fautes dont certaines de ces personnes m'accusent. Il est très important que vous sachiez que je ne suis ni un voleur, ni un escroc, ni un Indien ivrogne, ni un toxicomane, ni un raté, ni une loque humaine; voilà ce que je vous réponds, madame LeBreton. Votre père est un homme qui a pris les choses comme elles se présentaient, qui ne les a peut- être pas suffisamment remises en question. Je n'ai jamais cherché délibérément à prendre ce qui ne m'appartenait pas. J'ai essayé de suivre les règles, mais en cours de route, les choses ont mal tourné; j'en paie maintenant le prix, et je ne comprends pas pourquoi.
Vous devez savoir que votre père est un homme honorable, qui n'est pas parfait, mais qui tente toujours de s'améliorer. Je suis sincèrement désolé de ce que vous avez dû endurer. Nous nous remettrons de cette épreuve. Je vous aime.
Des voix : Bravo!
L'honorable Wilfred P. Moore : Honorable sénateur, accepteriez- vous de répondre à une question?
Le sénateur Brazeau : J'en serais ravi.
Le sénateur Moore : Chers collègues, j'aimerais avoir la réponse du sénateur Brazeau. Avez-vous déjà demandé à comparaître devant un comité sénatorial, en présence de votre avocat? Si c'est le cas, que vous a-t-on répondu?
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie de la question. J'ai effectivement essayé de... j'ai écrit, en tout cas, et j'ai déposé les documents visant à présenter cette demande au Comité de la régie interne et à lui poser des questions. Oui, j'étais accompagné d'un avocat lorsque j'ai comparu devant le sous-comité, sauf que, même si je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou le déplorer, le Fonds conservateur n'a pas payé mes frais d'avocat. À cause des conclusions auxquelles est arrivé le Comité de la régie interne — lors de la fameuse rencontre à huis clos où les membres du comité sont allés à l'encontre du rapport de Deloitte —, l'Administration du Sénat m'a dit que je devais payer moi-même mes frais d'avocat parce que mes arguments avaient été rejetés par le sous-comité de la régie interne. Mais à ce jour, je n'ai toujours vu aucune transcription ni aucun rapport provenant de ce comité.
Le sénateur Moore : J'ai une question complémentaire. Je tiens juste à ce que les choses soient claires. Vous avez donc demandé à comparaître devant un comité en compagnie de votre avocat, ce qu'on vous a permis, mais parce que vous avez dû vous-même en payer les frais, tout s'est arrêté? Pourriez-vous nous en dire davantage? Je n'ai pas bien compris ce que vous avez dit.
Le sénateur Brazeau : Je vais tenter de m'expliquer du mieux que je peux, mais même pour moi la situation demeure confuse.
Voici les faits : j'ai comparu devant le sous-comité de la régie interne en décembre, et les trois membres du comité m'ont clairement laissé entendre, à voir les belles façons qu'ils me faisaient, que j'avais bien fait valoir mes arguments. J'ai démenti le contenu des reportages, c'est-à-dire ce sur quoi le sous-comité devait se pencher. Mais voilà soudain que, des mois plus tard, toute l'affaire est renvoyée au Comité de la régie interne. Donc, j'étais accompagné de mon avocat lorsque j'ai comparu devant le sous- comité, mais parce que le Comité de la régie interne a jugé que je n'avais pas présenté les documents voulus — et ce, même si Deloitte en était arrivé à la conclusion opposée —, on m'a demandé de rembourser mes frais d'avocat parce que je n'avais pas franchi l'étape du sous-comité.
Mais je n'ai jamais comparu devant le Comité de la régie interne. En fait, on m'y a convoqué à une date que j'oublie, mais j'ai reçu la convocation quelque chose comme deux heures avant le début de la réunion, et on m'a dit que ni moi ni mon avocat ne pourrions prendre la parole, même si nous réussissions à être là à l'heure.
Son Honneur le Président : Y'a-t-il d'autres interventions?
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur?
Le sénateur Brazeau : Oui.
La sénatrice Jaffer : Sénateur Brazeau, nous avons souvent travaillé en étroite collaboration, vous et moi, au Comité des droits de la personne, et nous étions tous les deux en service commandé pour le comité lorsque l'interview de la CTV a été diffusée.
(2330)
Le lendemain matin, je vous ai demandé si vous aviez réussi à dormir, parce que j'étais hors de moi. Vous m'avez répondu que vous aviez très bien dormi.
Pouvez-vous nous dire comment il se fait qu'à l'époque, vous étiez aussi certain de n'avoir rien à vous reprocher?
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie encore une fois de votre question. Je vais vous dire pourquoi j'ai si bien dormi cette nuit-là.
Les médias seront toujours les médias. Ils ont un travail à faire, que je respecte, mais je dois dire que la campagne de salissage dont j'ai été victime a dépassé tout ce qu'on avait vu en fait de calomnies.
J'ai bien dormi cette nuit-là parce que je sais où se situe ma résidence. Je connais ma situation. Je savais que j'avais les documents pour prouver que ma résidence principale était là où j'avais dit qu'elle était, et j'ai produit les documents en question. Mais le Comité de la régie interne, avec à sa tête le sénateur Tkachuk, m'a opposé une fin de non-recevoir.
J'ai bien dormi parce que je n'avais rien à cacher. Je n'ai toujours rien à cacher, d'ailleurs. Je suis prêt à témoigner sous serment. Et vous, sénateur Tkachuk, êtes-vous prêt à témoigner sous serment? Et vous, sénatrice LeBreton, êtes-vous prête à témoigner sous serment? Et vous, sénatrice Stewart Olsen, êtes-vous prête à témoigner sous serment? Et le premier ministre, est-il prêt à témoigner sous serment? Moi, oui. Je n'ai rien à cacher, et c'est pour cette raison que j'ai bien dormi.
En fait, après avoir si bien dormi, j'ai eu une bonne conversation le lendemain avec le sénateur Tkachuk. Il m'a appelé. J'étais à Saskatoon, là où il habite, quand le téléphone a sonné : « J'imagine que vous avez vu les reportages. Avez-vous fait de fausses réclamations? »
Je lui ai répondu : « Absolument pas. » J'ai juré sur la tête de mes enfants que je n'avais jamais fait de fausses réclamations, ce que le rapport de Deloitte confirmait en tous points.
Il m'a alors dit : « Tant que vous n'avez pas fait de fausses réclamations, vous n'avez rien à craindre. »
Donc, non seulement j'ai eu bien dormi la première nuit, après la diffusion du reportage, mais j'ai bien dormi la deuxième nuit, parce que le sénateur Tkachuk m'a dit que je n'avais pas à m'en faire.
L'honorable Don Meredith : Sénateur Brazeau, puis-je vous poser une question?
Le sénateur Brazeau : Absolument.
Le sénateur Meredith : Sénateur, vous avez parlé avec tellement de passion et j'ai été ému lorsque vous avez mentionné vos enfants et votre lettre gravée au Sénat pour des générations, car je crois, contrairement à d'autres, que cette institution durera.
Je suis sous le choc ce soir de vous entendre répéter que vous êtes là ce soir pour 144,96 $. Pouvez-vous expliquer cela à l'assemblée? Avez-vous remboursé la totalité de la somme que Deloitte a dit que vous deviez ou que le Comité de la régie interne a dit que vous deviez? Où en êtes-vous maintenant en ce qui a trait aux sommes que vous devez au Sénat?
Le sénateur Brazeau : Merci de poser la question.
Tout d'abord, je ne dois rien à personne, car je n'ai rien fait de mal et, si c'était le cas, je serais le premier à prendre la parole ici pour dire que j'ai commis une erreur. Mais je n'ai pas commis d'erreur. Je n'en démords pas. J'ai tous les faits pour le prouver. Pourtant, des décisions ont été prises sans égard aux faits.
Maintenant, cela étant dit, je suis ici pour 144,97 $ parce que, lors de la vérification que votre Comité de la régie interne a commandée, une somme de 144,97 $ a soulevé des questions. Si les gens prenaient le temps de lire ce que dit le rapport Deloitte sur mon cas, ils le constateraient. Ce n'est pas Patrick Brazeau qui le dit. C'est le cabinet Deloitte qui l'a dit. En fait, il n'a jamais dit que je devais rembourser les 144,97 $. Il s'est interrogé sur la nature de la facture. On ne m'a pas demandé de la rembourser. Et voilà qu'après quelques mois, soudainement, le Comité de la régie interne dit que je dois non seulement 144,97 $, mais aussi deux ans et demi d'allocation de logement que je n'aurais pas dû demander.
Eh bien, j'ai des preuves écrites, noir sur blanc, que j'étais admissible, de la part de l'Administration du Sénat. Mais ce n'est pas tout; j'ai été la cause type, le bouc émissaire en ce qui concerne les quatre critères de la résidence principale. Pourquoi, alors, le Comité de la régie interne est-il allé à l'encontre du rapport Deloitte et dit : « Non, non, non, sénateur Brazeau. Vous satisfaites aux quatre critères, mais nous avons décidé que ça ne fonctionnait pas. »
Donc la question s'adresse peut-être à vous : pourquoi?
Le sénateur Meredith : Question complémentaire. Ce que vous dites, en somme, sénateur Brazeau, c'est que Deloitte a soumis son rapport et que le Comité de la régie interne du Sénat en a fait fi et que, même si ce rapport ne vous culpabilisait d'aucune manière, le comité a agi à sa guise. Est-ce bien ce que vous dites au Sénat ce soir?
Le sénateur Brazeau : Oui.
Le sénateur Plett : Sénateur, accepteriez-vous de répondre à une autre question?
Le sénateur Brazeau : Absolument.
Le sénateur Plett : Outre les problèmes personnels que vous pouvez avoir, sénateur, la GRC mène-t-elle une enquête actuellement sur ce qui s'est passé ou non au Sénat?
Le sénateur Brazeau : Eh bien, en ce qui concerne cette affaire en particulier, j'ai lu dans les journaux que la GRC menait une enquête sur mes dépenses, donc de toute évidence, oui. J'ai dit, et je l'ai dit sur les ondes de CBC plus tôt cette semaine, que la GRC n'avait pas communiqué avec moi. Pourtant, cela fera un an à la fin novembre que toute cette affaire est sortie. Je fais donc depuis un an l'objet de ces allégations, ce dont beaucoup d'entre vous n'avez pas fait l'expérience. C'est tout ce que je peux dire pour le moment.
Son Honneur le Président : Y a-t-il d'autres interventions? Le sénateur Moore a la parole.
Le sénateur Moore : J'aimerais poser une question. Je regarde la lettre que vous avez déposée au Sénat le 24 octobre.
Vous avez posé la question suivante — ou j'imagine que votre adjointe a posé la question à votre place : si on loue un appartement à Ottawa, est-ce que le loyer sera remboursé uniquement pour les mois au cours desquels siège le Sénat? On vous a répondu ceci : si on loue un appartement, il faut présenter une copie du bail, et les dépenses sont remboursées pour toute l'année, jusqu'à concurrence des limites du budget. Puis, on inclut un lien vers les lignes directrices pertinentes, que l'on peut consulter à... Et le lien est précisé.
Avez-vous pris connaissance de ces lignes directrices et vous a-t- on dit que vous vous conformiez à celles-ci?
Le sénateur Brazeau : Oui.
L'honorable David Tkachuk : J'aimerais obtenir des précisions sur la lettre que vous m'avez envoyée. Je pense que cette lettre a été rédigée après le dépôt du rapport au Sénat. Sénateur Brazeau, était- ce bien le cas?
Le sénateur Brazeau : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Je tiens simplement à rappeler aux sénateurs — je devrais peut-être en parler dans mes observations. Je pense que c'est ce que je vais faire, tout simplement répondre à certaines des préoccupations qui... Je vais répondre à certaines des préoccupations qui ont été soulevées par le sénateur Brazeau.
Son Honneur le Président : Nous poursuivons le débat. Le sénateur Tkachuk a la parole.
Le sénateur Tkachuk : Je tiens simplement à relire le rapport afin de mettre en contexte certaines des allégations formulées par le sénateur Brazeau dans cette enceinte.
Le sénateur Brazeau : Pour vous protéger.
Le sénateur Tkachuk : Je n'ai pas besoin de me protéger, sénateur Brazeau.
Le sous-comité du Comité de la régie interne...
Le sénateur Brazeau : Vous êtes un menteur.
Le sénateur Tkachuk : ... se composait de trois...
Je veux bien fournir des réponses, mais je ne pense pas que je doive accepter que le sénateur Brazeau me traite de menteur dans cette enceinte lorsque j'essaie de donner suite à ses observations.
Son Honneur le Président : Le sénateur Tkachuk a la parole.
Le sénateur Tkachuk : Si vous me le permettez, sénateur Brazeau, j'aimerais poursuivre ce que je disais.
Le sous-comité de la vérification, qui était présidé par la sénatrice Marshall et était composé de la sénatrice Marshall, du sénateur Campbell et du sénateur Comeau, a présenté un rapport au Comité de la régie interne. Il s'agissait du 23e rapport, qui a été soumis le 9 mai. Il a été présenté au Sénat à la même date et a été adopté par la suite.
Question de rafraîchir la mémoire des sénateurs, voici ce qu'on peut lire dans le rapport du comité :
Votre comité reconnaît l'observation de Deloitte concernant l'absence de critère de détermination de la résidence principale. Néanmoins, il estime que la Déclaration de résidences principale et secondaire en usage pendant la période sous enquête et signée par le sénateur Brazeau est amplement claire comme le sont aussi le but et l'objet des lignes directrices (une « politique » à partir de juin 2012) sur le remboursement des frais de subsistance. En résumé, la Déclaration oblige les sénateurs à affirmer que leur résidence principale « se trouve dans un rayon de 100 kilomètres de la Colline du Parlement » ou « à plus de 100 kilomètres de la Colline du Parlement ». La politique a pour but et objet d'éviter aux sénateurs dont la résidence se trouve à plus de 100 kilomètres de la Colline du Parlement et qui n'auraient pas affaire à Ottawa s'ils n'étaient pas sénateurs, de supporter des frais de logement additionnels à Ottawa pour participer aux travaux du Sénat. Pour qu'un sénateur puisse demander l'indemnité de subsistance dans la RCN, la résidence qu'il possède ou qu'il loue doit être une résidence secondaire, non celle où il habite d'ordinaire, mais celle qu'il occupe lorsqu'il se trouve dans la RCN dans l'exercice de ses fonctions de sénateur. Le Sous-comité estime qu'il n'y a là aucune ambiguïté et qu'un sénateur qui réside principalement dans la RCN n'a clairement pas droit à l'indemnité de subsistance dans la RCN.
(2340)
C'est le rapport du comité qui a été déposé au Sénat et qui a été adopté à l'unanimité. Sénateur Brazeau, il n'y a eu aucun complot ici. Le rapport a été adopté à l'unanimité par le sous-comité. Le Comité de la régie interne, qui est composé de libéraux et de conservateurs, a adopté le rapport à l'unanimité avant de le déposer au Sénat. Nous avons eu l'occasion d'en débattre, puis il a été adopté par le Sénat.
Donc, le rapport a déjà tiré des conclusions concernant votre comportement, sénateur Brazeau. Une décision a été prise et on vous a demandé de rembourser l'argent que vous avez réclamé durant cette période.
Le sénateur Brazeau : Deloitte ne l'a pas fait. Acceptez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Tkachuk : Oui.
Le sénateur Brazeau : Merci, sénateur Tkachuk. Beaucoup de mots imprécis, mais ça va.
Vous avez bien dit que le Comité de la régie interne a reçu le rapport du sous-comité le 9 mai? Et à quelle date le Comité de la régie interne a-t-il présenté son rapport concernant mes réclamations pour mes indemnités de logement?
Le sénateur Tkachuk : Je crois que nous avons reçu le rapport le 8 ou 9 mai et il a été déposé au Sénat l'après-midi même.
Le sénateur Brazeau : Y a-t-il une raison pour laquelle je n'ai jamais obtenu de copie d'avance ou reçu une indication de la part du sous-comité de la régie interne concernant ses conclusions, avant que la version définitive du rapport soit déposée? Les mêmes questions s'appliquent au rapport du Comité de la régie interne, au sujet duquel je n'ai pu répondre à aucune question ni fournir de documentation supplémentaire. Il me semble un peu étrange que vous ayez reçu le rapport de la part du sous-comité le 8 mai, comme vous venez de le mentionner, mais que vous ayez rendu public le rapport du Comité de la régie interne le 9 mai.
Cela me semble un peu bizarre, parce que j'ai comparu en décembre devant le sous-comité de la régie interne et il a fallu que s'écoulent plusieurs mois avant que vous n'obteniez le rapport. Pourquoi?
Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas certain de saisir ce que vous me demandez exactement, sénateur Brazeau. Peut-être pourriez- vous être plus explicite.
Le sénateur Brazeau : Je vais être très clair. J'ai comparu devant le sous-comité de la régie interne en décembre 2012.
Le Comité de la régie interne a produit son rapport le 9 mai 2013, et vous venez tout juste de dire que vous aviez reçu le rapport du sous-comité le 8 mai. Pourquoi alors a-t-on dû attendre si longtemps avant de recevoir le rapport du sous-comité de la régie interne? Et le moment du dépôt, n'est-il pas quelque peu curieux?
Vous devez consulter votre caucus?
Le sénateur Tkachuk : Sénateur Brazeau, je voulais simplement consulter la présidente du sous-comité.
Après la réunion à laquelle vous avez participé, le sous-comité a décidé de renvoyer l'affaire à Deloitte, qui lui a par la suite présenté son rapport. Le sous-comité a pris un certain temps pour discuter du rapport et pour tirer ses propres conclusions. Voilà exactement ce qui s'est produit.
Le sénateur Brazeau : Quelles étaient ces conclusions? Je n'ai jamais vu le rapport.
Le sénateur Tkachuk : Sénateur Brazeau, les conclusions ont été déposées au Sénat, et j'en ai lu un extrait. Tout sénateur peut facilement y avoir accès.
Le sénateur Brazeau : Une dernière question. À titre d'ancien président du Comité de la régie interne, répondrez-vous à la lettre que je vous ai fait parvenir il y a six mois? Oui ou non?
Le sénateur Tkachuk : J'ai répondu à la lettre en vous disant que je l'avais reçue, et deux documents avaient déjà été présentés. Premièrement, l'affaire était classée, et, deuxièmement, je vous demandais dans la lettre que je vous ai ensuite envoyée de rembourser l'argent que vous deviez.
Le sénateur Brazeau : Eh bien, j'ai menti, car voici une dernière question. Si Deloitte a confirmé dans sa vérification que je respectais les quatre conditions liées à la résidence principale, pourquoi le Comité de la régie interne, dont vous occupiez la présidence, en a-t-il décidé autrement?
Le sénateur Tkachuk : Je crois que le Comité de la régie interne a estimé, pour dire les choses carrément, qu'une personne devrait savoir où se trouve sa résidence principale.
Son Honneur le Président : Poursuivons le débat. Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Débat.
L'honorable Hugh Segal : Chers collègues, je n'abuserai pas indûment de votre patience. Je sais qu'il est tard et que les échanges ont été intenses, vigoureux et difficiles.
Je dirai pour commencer que le problème, en ce qui concerne la motion à laquelle je m'oppose fermement, telle qu'elle nous est présentée, c'est qu'il est question d'une peine avant qu'on sache exactement ce qui pourrait avoir constitué les infractions, comment elles pourraient s'être produites, pourquoi elles se sont produites, s'il y a vraiment eu confusion au sujet du Règlement et si Deloitte s'est servi de normes ayant fait l'objet d'une vérification indépendante, comme sont censés le faire les vérificateurs judiciaires. Rien de tout cela n'a été examiné.
Je respecte le président du comité, mon bon ami, le sénateur Comeau. Je ne suis certainement pas de ceux qui ont déjà utilisé le mot « conspiration », mais je crois que de bonnes personnes œuvrant au sein d'un comité peuvent arriver à des conclusions malheureuses et pas forcément en rapport avec les faits lorsque les normes sont inappropriées, les valeurs imposées au sujet de ce qui s'est produit ou ne s'est pas produit sont vagues et la vérification manque de clarté.
Il ne s'agit pas d'un jugement sur l'intégrité des bonnes personnes qui ont fait partie du comité, le travail qu'elles ont accompli ni même la compétence professionnelle et la perspicacité de Deloitte. Il s'agit plutôt de voir où nous en sommes. Ce soir, un des trois sénateurs concernés nous a exposé sa situation.
Je serai très clair : il n'y a jamais eu, dans ce prétendu processus, de réponse aux questions concernant l'absence d'une vérification indépendante des normes utilisées et le fait que nous n'avons jamais discuté ici du 27e rapport.
Nous allons, aujourd'hui ou demain, passer à une motion, à un vote, qui impose une lourde sanction à ces sénateurs, même si nous n'avons jamais examiné le rapport qui est à l'origine de cette proposition de sanction : nous ne l'avons jamais examiné, nous n'en avons jamais discuté ou débattu. Nous avons eu droit à des extraits de ce rapport; les divers intervenants les ont cités comme bon leur semblait, mais nous n'avons jamais examiné la version intégrale du rapport.
Sénateur Nolin, je ne vais pas longuement citer Edmund Burke concernant l'application régulière de la loi, mais, la dernière fois que j'ai vérifié, ce dernier n'était pas Américain. Si je me fie à ma mémoire, c'était un conservateur qui, à l'époque de la Révolution américaine, croyait dans une société britannique libérale, ouverte et équitable, et qui plaidait en faveur de l'équité et du processus.
[Français]
Le sénateur Nolin : C'est pour ça que c'était écrit dans leur Bill of Rights.
[Traduction]
Le sénateur Segal : Et ce n'est pas, comme vous l'avez laissé entendre, une proposition étrangère à ce pays. J'ai trouvé renversant de vous entendre dire qu'une procédure solide n'est pas vraiment digne de nous parce que les Américains y attachent de l'importance, eux aussi. Je trouve cette idée offensante.
(2350)
Des voix : Hé, hé! Allons donc!
Des voix : À l'ordre.
Le sénateur Segal : Chers collègues, nous n'avons pas examiné toutes les préoccupations qui ont été soulevées. Je pense par exemple aux nouvelles règles établies en mai 2012 et annoncées en juin 2012, qui interdisent les dépenses liées à des activités partisanes non seulement en période électorale, mais aussi pendant les périodes entre les élections, alors que les sénateurs avaient pour pratique bien établie de se rendre dans les associations de circonscription et des organismes de financement pour parler du travail du Sénat et de leur comité et soutenir leur affiliation politique, ce que permettaient les premières lignes directrices que nous avons reçues quand nous sommes arrivés ici.
Les nouvelles règles contiennent des changements à cet égard, je le reconnais. Je sais aussi que, d'après les nouvelles règles, ces dépenses ne sont plus appropriées. Par contre, quand on parle de déclarer coupable une personne comme la sénatrice Wallin, qui a respecté les règles concernant les activités partisanes tant qu'elles étaient en vigueur, des règles qui ont changé; quand on parle d'utiliser les nouvelles règles rétroactivement dans le cadre d'une vérification comptable; quand on parle d'imposer une sanction dont la valeur dépasse de beaucoup le montant en cause, on est vraiment loin d'une procédure équitable, si vous me passez l'expression, sénateur Nolin. On ne respecte pas la présomption d'innocence. On choisit plutôt de rendre un jugement rétroactif, arbitraire, injuste qui correspond, sur le plan professionnel, à une peine de mort.
Je suis de ceux qui ne voient aucune faiblesse à faire preuve de compréhension, plus que nous ne l'avons fait jusqu'ici. Je ne me rappelle pas avoir entendu la sénatrice Wallin prétendre à la perfection. Je ne me rappelle pas l'avoir entendue dire qu'elle ne commettait jamais d'erreurs. En fait, parmi les sénateurs mêlés à cette controverse, elle a été la première à participer à une entrevue à la CBC et à répondre ouvertement aux questions
Mais l'idée que nous passions maintenant à une motion de détermination de la peine simplement parce qu'il est temps d'en finir avec cette histoire, parce qu'elle monopolise trop le temps du gouvernement au Sénat, l'idée que nous jetions des gens en bas de la falaise parce que c'est une solution rapide, est-ce vraiment la réputation que nous souhaitons donner au Sénat?
Les membres distingués de cette Chambre qui ont pratiqué le droit ou ont servi dans des corps policiers, dans la magistrature ou au sein de divers gouvernements en tant que ministres élus croient- ils qu'une telle façon de faire améliorera et protégera la réputation du Sénat?
Chers collègues, je vous soumets très respectueusement que c'est précisément cela qui mènera le Sénat à sa perte. C'est précisément cela qui fera dire aux Canadiens : les sénateurs ne sont pas élus; ils se sont octroyé d'énormes pouvoirs; ils ont ainsi montré qu'en vertu de la Constitution, ils sont au-dessus de la Charte des droits. La Charte ne s'applique pas à nous. La présomption d'innocence, c'est une idée intéressante pour le reste de la plèbe, mais elle ne s'applique pas à nous. Nous sommes spéciaux. Nous avons le droit de faire ce que bon nous semble, et pour cause, nous allons traiter trois membres de notre assemblée comme bon nous semble simplement parce que nous le pouvons.
N'est-ce pas un merveilleux exemple de l'esprit canadien, du principe de traitement juste et équitable?
[Français]
L'idée de justice, d'équilibre, de respect pour tout le monde.
[Traduction]
C'est vers cela que nous nous dirigeons avec la motion que nous étudions ce soir.
Chers collègues, permettez-moi de donner un autre petit exemple, tiré des transcriptions qui sont maintenant du domaine public. Les médias ont soulevé une nouvelle controverse concernant un ancien employé de la sénatrice Wallin, qui aurait écrit une lettre — à laquelle la GRC semble s'intéresser — contenant des allégations de toutes sortes.
Honorables sénateurs, le Comité de la régie interné a étudié cette question. Il l'a examinée et le compte rendu de ses travaux nous a été distribué lundi dernier. C'était le compte rendu de la séance du mardi 13 août 2013.
Lors de cette séance, nous voulions savoir ce qui se passe lorsqu'un employé mécontent fait des allégations. J'ai posé la question suivante aux juricomptables qui comparaissaient devant nous : « Comme vous êtes juricomptables, les employés mécontents doivent être votre gagne-pain, et pas seulement dans cette affaire, mais de façon générale. Ce sont vos sources d'information. Les gens sont mécontents; ils ont peut-être des raisons valables de l'être. Lorsque vous avez interviewé les anciens employés du bureau de la sénatrice Wallin, avez-vous fait une entrevue avec cette dame? » Ils ont répondu : « Oui ». Ils étaient très avenants. Ceux qui étaient là s'en souviendront. « Ce qu'elle a dit était-il utile? » Ils ont répondu : « Non, pas du tout. Les deux autres personnes à qui nous avons parlé ont été très coopératives et avenantes. Elles nous ont donné des renseignements qui nous ont aidés à juger de la situation, mais le témoignage de cette dame n'a pas été utile. » En toute justice, ils ont dit que son témoignage avait une « utilité limitée ».
Mais que se passe-t-il, honorables sénateurs, lorsque nous transformons le Sénat en tribunal? Il se passe qu'il n'y a pas de processus de base régissant la présentation de la preuve. Ce processus n'existe absolument pas. Les médias disent une chose, puis le lendemain les journaux en disent une autre. Tout finit par être contaminé. Nous essayons comme nous le pouvons de mettre de l'ordre dans tout cela, d'être raisonnables, justes et humains, mais, sans garanties procédurales, nous n'avons pas la protection nécessaire pour faire notre travail comme il se doit.
Comprenez-moi bien, ce n'est la faute de personne parmi nous : ceux qui ne sont pas d'accord avec moi à ce sujet tiennent autant à la probité et à l'équité que tout autre sénateur. Je ne suis pas en train de dire que j'ai raison et que tout le monde a tort sauf moi.
Chacun se fait sa propre conception de ce qui est juste et essaie de trouver la meilleure façon d'agir. J'en suis conscient. Cependant, nous n'avons pas établi de procédures qui nous permettent d'examiner la preuve convenablement, de mener un contre- interrogatoire approprié, de répondre à des accusations, de faire subir aux accusés un contre-interrogatoire plus rigoureux. Ces procédures n'existent pas. Ce n'est pas ainsi que le Sénat fonctionne.
Par conséquent, chers collègues, nous sommes sur le point, à mon avis, de rendre une décision sévère, difficile et injuste en imposant des sanctions avant la tenue d'un procès.
Nous pouvons prendre cette épreuve à la légère en nous disant que ce problème ne nous concerne pas puisqu'il pourrait y avoir une enquête policière, et que nous ne faisons que résoudre un petit problème interne parce que nous devons régler nos propres affaires. Croyons-nous que le fait d'invoquer la négligence grossière sera sans conséquence pour le travail que les policiers tentent d'effectuer, de façon honorable et honnête, afin d'établir les faits et de recueillir les éléments de preuves qui pourraient, un jour, être utilisés par un avocat de la Couronne?
Croyons-nous vraiment pouvoir conclure à la négligence grossière et imposer une amende équivalente à plusieurs fois le montant en cause, pour tous nos collègues, sans que les honnêtes policiers, qui font de leur mieux pour maintenir l'ordre, n'y voient un message de notre part? Je crois qu'une telle naïveté est indigne.
Pour conclure, chers collègues, je veux seulement parler du processus auquel nous avons dû faire face.
Il me semble que les procédures ou les circonstances appropriées nous permettent notamment d'établir les liens qui existent entre ceux qui jugent et ceux qui sont jugés.
(0000)
Nous comprenons tous quelles sont les règles dans un contexte judiciaire ou quasi-judiciaire. Dans ce Sénat si mouvementé, nous siégeons tous à des comités, nous sommes adversaires dans certains dossiers et partenaires dans d'autres. Des rapports se nouent. Certains sont bons, d'autres ne le sont pas, et d'autres encore sont conflictuels. Tout cela est nuancé. Rien de tout cela ne figure dans le compte rendu. Personne ne le sait. Nous ne cherchons pas à savoir ce que ressent un certain membre d'un certain comité à l'égard d'un autre. Nous n'avons aucune façon de le savoir. En fait, dans un contexte judiciaire, on ne peut se permettre de se mêler de tout ça. Il faut que ce soit très clair. Il arrive qu'il faille se récuser si, pour quelque raison que ce soit, on ne doit pas participer à une proposition donnée.
Si on me demandait de juger un de nos distingués collègues pour qui j'ai beaucoup de respect et d'affection et avec qui je suis même devenu ami, je pense que je devrais admettre que je n'en serais pas capable. Je devrais me récuser. Ce serait injuste. Je ne pourrais faire preuve de l'objectivité ou de l'équilibre nécessaires.
Le problème, ce soir, c'est que nous ne pouvons savoir quelles étaient les dynamiques entre les membres du comité qui ont fait de leur mieux et les trois sénateurs jugés par ce comité. On nous demande maintenant, à la lumière de ce jugement, d'adopter une motion qui leur imposerait la peine la plus grave de l'histoire de notre enceinte.
Chers collègues, je vous exhorte à réfléchir un instant aux options que nous avons, à réfléchir à ce que nous avons entendu ce soir et à vous demander comment on est censé défendre l'honneur de notre institution, les principes et les valeurs du Canada qu'elle a toujours défendus, et comment faire la bonne chose. À mon avis, ce n'est pas en votant pour la motion dont nous sommes saisis ce soir.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Sénateur Segal, comment pouvez- vous expliquer que cela ait pris de la fin juin jusqu'au mois d'octobre avant de présenter les motions sénatoriales? On est maintenant dans les motions gouvernementales, mais on est toujours dans la même salade. Alors comment expliquez-vous que cela ait pris trois mois avant que ces trois motions soient déposées? À ma connaissance, on n'a jamais été consulté de ce côté-ci à ce sujet.
J'aimerais également savoir à partir de quelles normes on a pu établir des sentences identiques pour trois personnes qui ont des rapports tout à fait différents.
Je crois que c'est un précédent. Je n'ai jamais vu un tel cas. D'abord, que quelqu'un soit déjà condamné à la suite du transfert de son dossier à la GRC, que la personne soit expulsée de votre caucus — ce qui est une pénalité extrêmement sérieuse —, et que finalement, on passe à une autre étape. Est-ce que c'est une ou deux sentences sur la même infraction?
À notre connaissance, il me semble que vous n'avez pas eu l'occasion d'avoir la preuve qu'il faut pour rendre une sentence?
Le sénateur Segal : Merci pour votre question. Je n'ai jamais critiqué la bonne foi ni du gouvernement ni de notre leader du gouvernement en Chambre. Je pense que la motivation de rendre une décision est tout à fait claire. Notre chef a mentionné que la population canadienne est très mécontente de voir à quel point les dépenses publiques ne sont pas gérées de façon efficace.
Je pense que certains sénateurs en position d'autorité ont décidé qu'il faut faire quelque chose pour montrer aux Canadiens et aux Canadiennes qu'on est prêt à agir pour nettoyer tout cela de façon assez claire.
Je n'ai jamais inscrit quelque chose contre la bonne foi ni contre l'idée d'agir. Tout le monde, y compris votre propre chef, a mentionné le fait qu'on devrait peut-être appliquer d'autres sanctions, dans une situation ou une autre.
[Traduction]
Je n'ai jamais vu d'inconvénient à ce qu'on cherche à aborder ce problème, ni mis en doute la bonne foi du leader du gouvernement au Sénat à cet égard ou son désir d'apaiser les craintes de la population en ce qui concerne la saine gestion des fonds publics. Je respecte ce souhait. Ce qui me pose problème, c'est le moyen choisi. Je crois que la motion dont nous sommes saisis comporte de graves lacunes, et ce, même si elle part de fermes intentions. Cela dit, je ne remets pas en question la bonne foi du leader ou son désir de réagir à la colère exprimée par les Canadiens, qui ont l'impression que les fonds publics ne sont pas dépensés judicieusement et prudemment.
Son Honneur le Président : Le sénateur Segal souhaite-t-il demander cinq minutes de plus?
Des voix : D'accord.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Quelle que soit la décision qui a été prise subséquemment, ne croyez-vous pas que si on prenait cette attitude pour toutes les questions politiques au Canada, ce serait vite la cacophonie?
Il me semble qu'on a un mandat, on représente nos propres provinces et c'est à nous de prendre des décisions. Je crois que le fait que nous allons tous être vérifiés par le vérificateur général devrait être suffisant pour rassurer la population canadienne que cette institution importante du Parlement fait les choses correctement.
Je ne comprends pas comment un Parlement, dans un gouvernement démocratique, peut appliquer des règles — même pas des règlements, je parle des règlements en vertu d'une loi — rétroactivement.
D'une part, je ne comprends pas cette question de rétroactivité et, d'autre part, il faut se rappeler que c'est l'opinion publique qui gouverne nos décisions.
[Traduction]
Le sénateur Segal : Madame la sénatrice Hervieux-Payette, comme je l'ai déjà mentionné, et je l'ai souligné lorsque j'ai pris la parole au premier tour au sujet des motions dont nous sommes saisis, ce qui me pose problème, c'est le précédent qui sera établi en lien avec cette motion et les répercussions qu'il aura dans divers domaines.
[Français]
J'étais troublé par l'idée qu'une majorité de nos collègues peut décider de faire exclure n'importe qui, quelle que soit la raison.
[Traduction]
Ce précédent me préoccupe énormément. Divers facteurs, comme le fait que nous imposions des sanctions, qu'une enquête policière soit en cours et que certaines sanctions moins sévères aient été imposées auparavant, ont contribué à la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons. C'est une autre raison pour laquelle on a l'intention d'imposer des sanctions, et d'ailleurs, je félicite le gouvernement d'essayer de prendre de telles mesures. Je crois que, à de nombreux égards, cette intention reflète l'opinion publique et les valeurs que nous partageons tous, en l'occurrence la nécessité de bien gérer les fonds publics. Cela dit, pour moi, le problème demeure le moyen qu'on nous propose pour ce faire.
Le sénateur Wallace : Est-ce que le sénateur Segal accepterait de répondre à une autre question?
Le sénateur Segal : Bien sûr.
Le sénateur Wallace : Honorable sénateur, la motion de suspension dont nous sommes saisis soutient que les sénateurs Wallin, Brazeau et Duffy ont fait preuve de négligence grossière. Est-ce que vous avez des commentaires à faire sur ces accusations de négligence grossière à l'égard de la sénatrice Wallin, ainsi qu'à l'égard des sénateurs Duffy et Brazeau?
Le sénateur Segal : J'ai dit, sénateur Wallace, quand j'ai pris la parole pour la première fois, que les seules réunions de comité auxquelles j'ai assisté étaient les séances du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration qui ont eu lieu les 12 et 13 août, et c'était ces séances qui portaient sur le rapport Deloitte concernant la sénatrice Wallin. C'est pour cette raison que je suis au courant de suffisamment de détails pour répondre à votre question. Je ne suis pas ici pour répondre au nom de la sénatrice Wallin, mais j'ai l'impression, pour avoir assisté à la réunion en question, pour avoir lu le rapport et pour avoir entendu les réponses des gens de chez Deloitte aux questions que les autres membres du comité et moi-même leur avons posées, que des erreurs ont été commises. La sénatrice Wallin elle-même jugeait que certaines demandes de remboursement étaient inappropriées, simplement parce que les reçus n'avaient pas été envoyés au bon endroit. Elle a remboursé ces sommes sans rechigner, avant même le début de la vérification.
(0010)
Il y avait aussi toute une catégorie de dépenses qui ne faisaient pas consensus, disons, notamment parce que les gens de chez Deloitte n'avaient pas la même définition de ce qui constituait une demande de remboursement acceptable. Je me rappelle un cas en particulier — et j'invite tout le monde à consulter la transcription — où on ne s'entendait pas sur une date quelconque. La sénatrice s'était rendue à Ottawa, au 24 Sussex plus précisément, pour une réception donnée en l'honneur d'artistes et de musiciens des Prairies qui se produisaient au Centre national des arts. Le premier ministre rendait hommage à ces extraordinaires jeunes artistes qui étaient venus passer l'été à Ottawa dans ce but-là, et la firme Deloitte a conclu que la décision de la sénatrice d'accepter l'invitation à cette réception relevait d'un choix personnel et n'avait rien à voir avec les affaires du Sénat.
Je tiens à être juste envers les vérificateurs, dont je ne remets pas en question le professionnalisme ou quoi que ce soit d'autre. Je leur ai demandé s'ils ne pensaient pas que le jugement qu'ils posaient sur tout ce qui relève, ou pas, des affaires du Sénat pourrait influencer la perception d'autres personnes, et ils m'ont répondu que 73 p. 100 des dépenses pour lesquelles la sénatrice avait réclamé un remboursement... je répète que, dans le cas des indemnités de logement, toutes ses demandes de remboursement ont été jugées recevables, tout comme, selon Deloitte, 73 p. 100 des demandes de remboursement portant sur les autres types de dépenses, alors il est ici question de 27 p. 100 des demandes de remboursement de la sénatrice. En ce qui concerne la question que je leur ai posée concernant la réception donnée au 24 Sussex, les vérificateurs m'ont dit qu'ils devaient y aller selon leur bon jugement, alors aussi bien dire que c'est du vent.
Si vous le permettez, je tiens à préciser que, lorsque la réputation d'une personne est en jeu, on ne peut pas dire que c'est du vent. Les jugements qui ont été portés m'ont profondément troublé et ils me troublent encore. Est-ce que je pense qu'ils ont été portés de bonne foi? Oui. Est-ce que je pense qu'ils ont été portés sans malveillance? Tout à fait. Est-ce que je pense qu'ils étaient tous exacts? Est-ce que je pense qu'ils ont compris le fonctionnement du Sénat? Certainement pas.
Son Honneur le Président : Je crains que le temps de parole du sénateur Segal ne soit écoulé. Nous poursuivons le débat. La sénatrice Fraser a la parole.
La sénatrice Fraser : Honorables sénateurs, j'aimerais dire quelques mots sur cette motion. J'interviens en vue d'appuyer la motion d'amendement proposée par le leader de mon parti, le sénateur Cowan. Auparavant, j'aimerais répondre à certaines des observations formulées par les sénateurs Plett et Runciman.
Je trouve très intéressant de constater que, à deux reprises déjà, le sénateur Plett a décrit ce qui, selon lui, constituerait un régime approprié de mesures disciplinaires au Sénat. Je trouve cela intéressant, car il a décrit précisément ce que prévoient actuellement nos règles. Selon nos règles, lorsqu'un sénateur est inculpé d'une infraction criminelle par voie de mise en accusation, il est mis en congé avec salaire. À la première condamnation, le sénateur est suspendu sans salaire, puis, lors de la décision finale, si la condamnation est annulée, il se voit rembourser l'argent perdu. Sinon, nous suivons les voies constitutionnelles bien connues. C'est exactement ce que prévoient les règles actuelles.
Je suis d'accord avec ce que le sénateur Mockler a dit plus tôt et, d'après ce que j'ai entendu et constaté, il est vrai que lorsqu'il a décrit les différentes mesures possibles à son caucus, le leader du gouvernement n'a pas parlé du congé avec salaire. C'est la décision qu'il a prise. Je ne fais pas partie du caucus du sénateur, mais j'ai trouvé intéressant qu'il ait omis d'en parler.
J'attire aussi l'attention du sénateur Plett sur un cas qui s'est produit avant son arrivée au Sénat. Le sénateur Day a parlé de l'affaire Lavigne et a mentionné le sous-comité qui avait examiné le dossier Lavigne. Le sous-comité a effectué un travail très rigoureux et complet. Il était alors présidé par un de nos anciens collègues, le sénateur Yoine Goldstein, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un long éditorial l'autre jour dans le National Post, où l'on disait qu'il était l'un des avocats les plus respectés du pays et que le Sénat avait bien besoin d'autres Yoine. Il pourrait toujours y avoir plus de Yoine. C'est un homme de très grande qualité en plus d'être un avocat remarquable.
Dans ce sous-comité, le sénateur Lavigne avait son propre avocat, un expert de renom, et il est particulièrement intéressant de souligner que le sénateur Nolin était vice-président de ce sous- comité. Je suis certain qu'il se souvient très bien de ces évènements. Le parallèle n'est pas parfait, mais il importe de le souligner, selon moi.
Le sénateur Runciman — et je lui pardonne parce que nous sommes tous fatigués — jette un doute sur ma sincérité et celle de mon leader. Je le regrette profondément. Je considère le sénateur Runciman comme un bon collègue et un ami, et je tiens à assurer à tous mes collègues que nous agissons dans la plus grande sincérité. Permettez-moi de m'expliquer auprès de ceux qui croient qu'il y a là contradiction.
J'ai dit depuis le début que je considérais comme approprié le fait que le sénateur Carignan ait inscrit trois motions distinctes sous la rubrique « Autres affaires ». Je trouvais que c'était là une façon de procéder honorable. En effet, comme je l'ai souligné dans mon recours au Règlement la semaine dernière, les conservateurs auraient même pu proposer ce qui revient à une attribution de temps, des mesures d'organisation du temps relativement à ces motions, s'ils avaient trouvé que le débat s'éternisait. Ils ne s'y sont tout simplement pas pris de la bonne façon.
Si nous sommes contre cette façon de procéder, c'est en partie parce qu'il y a eu des maladresses procédurales en cours de route. J'ai commis pour ma part un certain nombre de maladresses procédurales, alors je ne voudrais pas adresser des reproches excessifs à qui que ce soit, mais il y a eu passablement de maladresses dans ce cas, et c'est ce qui explique que nous en soyons là présentement.
Je suis contre la proposition du sénateur Nolin voulant que nous séparions les votes sur cette motion non pas parce que je serais fondamentalement opposée à l'idée de traiter les trois cas séparément. Comme nous l'avons fréquemment dit, ce ne sont pas des cas identiques. Si je suis contre, c'est qu'à l'instar du leader adjoint du gouvernement, mon travail de leader adjoint de l'opposition consiste à préserver l'intégrité de l'institution. Nos fonctions l'exigent, peu importe le parti auquel nous appartenons. Je suis d'avis que la proposition faite par le sénateur Nolin s'écarte radicalement de nos pratiques et de nos conventions et que, si nous l'adoptions, elle constituerait un important précédent, dont nous n'avons même pas eu l'occasion de jauger les conséquences pour l'avenir. Il faudrait, avant de procéder ainsi, apporter tous les éclaircissements nécessaires. Je regrette d'avoir été obligée d'adopter cette position, mais je pense qu'elle est essentielle, car il nous incombe non seulement d'examiner la question qui nous est soumise, comme telle, mais également les conséquences qu'aura notre décision sur les délibérations futures dans cette enceinte.
Le sénateur Carignan et beaucoup d'autres sénateurs n'ont ménagé aucun effort pour nous expliquer que nous avons le droit, voire le devoir exclusif de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre des sénateurs. Je suis d'accord. Je pense même que tout le monde souscrit à ce principe, mais la question est la suivante : comment devons-nous assumer ce pouvoir, nous acquitter de ce devoir ou exercer ce droit?
N'oublions pas que nos décisions sont sans appel. Nous avons entendu des gens nous parler de leur vécu. Je me souviens d'avoir déjà suspendu un journaliste qui, selon moi, avait commis trois violations de l'éthique journalistique parmi les plus graves que l'on puisse commettre. Je l'ai suspendu. Il avait un droit d'appel et, à ma grande déception, il a gagné sa cause en appel. Mais il avait ce droit, et il l'a exercé. Ces sénateurs ne pourront jamais en appeler d'une décision du Sénat.
Trop de questions restent sans réponses. Je pense notamment à la question des critères utilisés pour parvenir à ces sanctions très sévères. Mais permettez-moi de vous donner un exemple de trois questions qui sont en suspens et auxquelles il faudrait à mon avis répondre avant que nous prenions une décision.
Quelqu'un a posé la question suivante : puisqu'il faut siéger six ans pour avoir droit à une pension, une suspension de deux ans compte-t-elle dans les six ans? Le Sénat a répondu qu'il ne disposait pas de l'information en ce moment. Sur quoi nous prononçons-nous exactement?
(0020)
Voici une autre question : si le sénateur Brazeau ne recevait pas de salaire, comment pouvons-nous le saisir? La réponse à toutes ces questions c'est que ces renseignements ne sont pas du domaine public. Sur quoi nous prononçons-nous alors? Nous l'ignorons.
Il y a une autre question qui me trouble. La motion du sénateur Carignan et la motion de la sénatrice Martin s'apparentent en grande partie au libellé de nos règles concernant la suspension. Il est question de ne pas autoriser l'accès aux fonds, aux biens, aux services et aux locaux, ainsi qu'aux indemnités de déménagement, de transport, de déplacement et de télécommunications et ainsi de suite. Le libellé est semblable à de nombreux égards, mais il y a une différence importante.
La disposition du Règlement qui traite de la suspension indique que le sénateur voit son indemnité de session être réduite de la somme qui lui aurait été payable une fois effectuées les déductions prévues par toute loi fédérale. Autrement dit, l'indemnité de session est versée mais, dans les faits, elle est réduite à une valeur nette nulle pour le sénateur. Cette motion indique toutefois que les sénateurs ne recevront « aucune rémunération [...] incluant toute indemnité de session ou indemnité de subsistance ». J'aimerais savoir pourquoi il y a une différence ici alors que le reste des motions est si semblable. Je ne suis pas certaine de ce que cela peut avoir comme conséquence en ce qui concerne, par exemple, l'assurance-santé. Je ne le sais pas.
Nous ne savons pas sur quoi nous nous prononçons et c'est pour cette raison, honorables sénateurs, que j'appuie aussi vigoureusement la motion du sénateur Cowan, qui vise à renvoyer toute cette affaire au Comité du Règlement.
J'en reviens au parallèle établi avec le Comité de la régie interne. On a mentionné que le Comité du Règlement pourrait former un sous-comité. Je pense qu'il serait préférable d'avoir cinq personnes au lieu de trois. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de toutes sortes de réponses que nous n'avons pas, et nous ne les obtiendrons pas avant que le couperet ne tombe.
Enfin, avant de décider de leurs sanctions, nous devons mieux comprendre ce que ces sénateurs pensaient et la situation dans laquelle ils se trouvaient. Avaient-ils des motifs raisonnables, quels qu'ils soient, de croire que ce qu'ils faisaient était légitime? Je ne conteste pas qu'ils doivent rembourser ces sommes. Nous avons tous convenu que les dépenses n'étaient pas admissibles, mais pourquoi les ont-ils réclamées? Pensaient-ils qu'il était justifié de le faire?
Le sénateur Duffy a présenté des éléments de preuve documentaires qui révèlent que le bureau du leader du gouvernement de l'époque lui avait dit que tout était conforme. Il pouvait vivre 99 p. 100 du temps ici, et tout de même présenter une réclamation. Un avis du bureau du leader du gouvernement, c'est d'ordinaire coulé dans le béton, non? Le sénateur Duffy a aussi présenté des éléments de preuve documentaires selon lesquels le pauvre Nigel Wright, sur qui on jette le gros du blâme, lui a aussi dit que tout était conforme, qu'il ne s'agissait que de salissage. La sénatrice Wallin a également affirmé qu'elle avait reçu des avis de sources fiables selon lesquels elle était en droit de réclamer ce qu'elle avait réclamé.
Le sénateur Brazeau nous a dit dans son intervention ce soir qu'il croyait, et qu'il croit encore, qu'il n'a rien fait de mal. À mon sens, il semble très évident que le sénateur Brazeau a très mal compris les règles concernant la résidence principale aux fins de la Constitution et les règles auxquelles sont assujettis les gens qui vivent à plus de 100 kilomètres de la Colline du Parlement, et ce malentendu peut être cause de bien des maux.
Avant de rendre un jugement hâtif et de décider d'imposer cette sanction excessivement dure — peut-être pas excessivement, mais disons extrêmement dure — nous devons en savoir davantage. Le sénateur Wallace a affirmé que nous ne pouvions nous pencher que sur ce qui a été dit et présenté au Sénat. Mais j'estime qu'il ne faut pas s'imposer de telles limites, comme l'a tranché la présidence. Le rapport visant la sénatrice Wallin, par exemple, n'a jamais été présenté au Sénat, mais le Président a conclu que nous pouvions en tenir compte. Je pense qu'il en va de même pour la déclaration que le premier ministre a faite à l'autre endroit lorsqu'il a affirmé qu'il avait examiné les dépenses de la sénatrice Wallin et que, à son avis, tout était en ordre.
Nous devons pousser l'examen plus loin que ce que nous avons pu faire au Sénat. Autrement, nous tombons, à mon avis, dans une pratique très dangereuse où nous adoptons des mesures arbitraires.
Ceux qui lisent le Globe and Mail connaissent la célèbre citation de Junius : « Un sujet d'une loyauté absolue envers la magistrature suprême ne conseillerait pas le recours aux mesures arbitraires et refuserait lui-même de s'y soumettre. » Je pense citer la phrase correctement; en tout cas, j'en ai certainement l'essentiel.
Mais c'est ce que nous nous proposons de faire ici, chers collègues. Si nous rejetons cet amendement et adoptons la motion principale, nous proposons des mesures arbitraires. Nous ne savons pas pourquoi cette peine a été choisie, si ce n'est parce que le sénateur Carignan trouvait que c'était une bonne idée. Nous en ignorons les conséquences. Nous ne savons même pas quelles sont les répercussions factuelles de ces motions.
Je vous exhorte, chers collègues, à voter tous en faveur de l'amendement, ce qui nous donnera la possibilité dont nous avons grandement besoin en toute justice — non seulement envers ces trois sénateurs, mais envers le Sénat et les futurs sénateurs. Cela nous donnera la possibilité de leur rendre justice à tous.
L'honorable Jim Munson : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Fraser : Bien sûr.
Le sénateur Munson : Je suis curieux, après tout ce qui s'est passé, j'allais dire « ce soir », mais nous sommes déjà un autre jour. Avez- vous une idée de ce qui va se passer demain, avec le vote? Qu'arrivera-t-il aux trois sénateurs? A-t-on prévu qu'ils allaient tout simplement sortir d'ici, un point, c'est tout? Avez-vous une idée du processus qui sera suivi? Y a-t-il eu consultation au sujet du processus qui pourrait être suivi si la motion est adoptée?
La sénatrice Fraser : Personne ne m'a consultée. Il va sans dire que la question est très intéressante. Je continue d'espérer que, demain, nous déciderons de procéder à un deuxième examen objectif au comité. Je n'ai jamais vu un sénateur se faire sortir de force du Sénat. J'espère que ça ne se passera pas cette fois-ci, mais cela risque seulement d'arriver si la motion d'amendement que j'ai l'intention d'appuyer est rejetée. Or je pense que les sénateurs ont suffisamment de bon sens pour l'appuyer.
Des voix : Bravo!
L'honorable Terry M. Mercer : Sénatrice Fraser, l'une des propositions consiste à permettre aux sénateurs de garder leurs avantages et leur assurance-vie mais, si je me souviens bien, cette assurance est basée sur notre salaire. On est assuré pour un an de salaire. En cas d'accident, je pense que c'est deux ans. Puisque les trois sénateurs ne toucheront aucun salaire, qu'en est-il de l'assurance-vie? Et quel assureur accepterait d'offrir une telle police?
La sénatrice Fraser : Je pense que c'est là une excellente question, mais par crainte de manquer de temps, je n'en ai pas parlé parce que le sénateur Segal l'avait déjà soulevée. C'est une question de toute première importance à laquelle je n'ai pas de réponse. La motion dont nous sommes saisis dit...
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre adopté par le Sénat plus tôt, hier, six heures s'étant écoulées, je suis tenu de mettre aux voix la motion d'amendement proposée par l'honorable sénateur Cowan, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser, que cette motion soit renvoyée à notre Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour étude et rapport; que les sénateurs Brazeau, Duffy et Wallin soient invités à comparaître; que les délibérations soient télévisées, compte tenu de l'intérêt public que suscite la question et conformément à l'article 14-7(2) du Règlement.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que tous les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
(0030)
Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.
Et deux sénateurs s'étant levés :
Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Honorables sénateurs, conformément à la procédure, comme deux sénateurs se sont levés, le vote par appel nominal aura lieu demain après-midi, à 17 h 30. Puis, la question principale sera mise aux voix à 17 h 30 demain après-midi.
Honorables sénateurs, comme il est plus de minuit, je déclare que, conformément à l'article 7-4(6) du Règlement, le Sénat s'ajourne au mardi 5 novembre 2013, à 14 heures, par décision du Sénat.
(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à plus tard aujourd'hui, à 14 heures.)